ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



À  Gethsémani,  Jésus  avait-il  l’intention  de  s’enfuir  ou  de  se  livrer  ?


(Marc 14:42)




   « Chez Marc comme chez Matthieu, Jésus déclare ˝ Venez, partons ˝ (Mc 14:42 ; Mt 26:46) à Gethsémani, après les instants d’angoisse qu’il connaît au jardin juste avant son arrestation ; dans le quatrième évangile, il pro­nonce ces paroles avant de quitter le lieu du dernier repas et ne se rend au jardin qu’après avoir discouru encore un moment. » (H. Schonfeld, Le mys­tère de Jésus, p. 137).
   L’exégèse des textes nous fournira les raisons du déplacement du logion opéré par Jean.



   « Il revient pour la troisième fois et leur dit : dormez maintenant et repo­sez-vous ! C’est assez. L’heure est venue : voici le fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Réveillez-vous, partons ! Voici celui qui me livre s’ap­proche. » ()


   Essayons de donner à ces paroles leur sens véritable, en les dissociant de l’affirmation sur Judas.
   Pour la troisième fois, Jésus s’approche de ses disciples : les deux premières il les avait exhortés à veiller pour ne pas tomber en tentation. Cette fois, il les réveille, mais il leur parle alors qu’ils sont encore endormis, pour les exhorter à dormir et à se reposer ! Ce qui suppose que les raisons pour lesquelles ils devaient veiller n’existent plus. Ils le doivent, en effet, pour l’avertir à temps au cas où les juifs se présenteraient pour le saisir, comme Jésus le redoute, mais aussi pour se tenir prêts à l’arrivée des Grecs avec lesquels il devra partir. En les voyant dormir, Jésus s’exclame « dormez et reposez-vous ! » parce qu’il croit, en entendant du bruit, que les Grecs sont arrivés et que l’heure de sa libération et venue.
   L’annonce de l’approche de Judas apparaît tout à fait étrangère au sens de cette exclamation et surtout à l’émotion que Jésus éprouvait à ce moment : cette annonce n’est pas de Jésus, mais de la tradition théologique. Au contraire, les paroles « Réveillez-vous, partons ! » doivent être interprétées en accord avec la situation de ce moment où toute appréhension cesse, car il n’y a plus de crainte. Si Jésus a nommé Judas, c’était pour se réjouir qu’il ait réussi à repousser le moment de son arrestation.


   Le quatrième évangile reprend ces paroles : « Je ne parlerai plus guère avec vous, car le prince du monde vient ! Il n’a rien en moi, mais afin que le monde sache que j’aime le Père et que j’agis selon l’ordre que le Père m’a donné. Levez-vous, partons d’ici ! » ( ) (Jn 14:30-31).

   Le logion est donc le même, suivi du pronom « d’ici », mais il a été pro­noncé dans des circonstances différentes, et il indique un autre événement que le départ de Jésus du pays. En effet, à la fin de la cène, Jésus se trouvait en­core en ville, avant de prendre le chemin de Gethsémani. Mais il convient de suivre l’enchaînement des faits depuis le commencement.

   1- « Avant la fête de la Pâque Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père ( ) et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux » (Jn 13:1).
   La Pâque, dont la signification est un « passage », est une fête qui re­mémorait l’événement de la fuite du peuple de l’Égypte. Cet événement est, pour Jean, la figure prophétique de l’autre, celui de la mort de Jésus, qui mar­que son « passage » de ce monde au Père. La mort du Christ est la Pâque véritable, accomplissement de la Pâque originelle. Ainsi, tout ce qui se passe autour de Jésus dans cette dernière période qui aboutit à sa mort, s’inscrit dans l’événement de cette Pâque. La Pâque des origines est assimilée à celle du Christ et accomplie dans sa signification. Dès lors, on peut affirmer que, dans ce passage, tout souvenir ou toute information concernant le départ de Jésus du pays s’éclipse.

   2- « Pendant le souper, alors que le diable avait déjà mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, Jésus qui savait qu’il était venu de Dieu et qu’il allait à Dieu… »

(Jn 13:2).
   Notons qu’après Jésus, les principaux personnages de ce « passage du mon­de au Père » sont le diable et Judas ! Quant au diable, il convient de traduire le texte à la lettre : « le diable déjà lancé dans le cœur afin que Judas le livre ». Il s’agit du diable, qui vient en personne dans le monde, pour habiter le cœur de Judas pour qu’il livre Jésus. « Le prince de ce monde vient », affirme Jean (Jn 14:30), qui précise qu’il demeure en Judas pour qu’il livre Jésus. Mais est-ce le diable ou Judas, qui livre Jésus ? Le diable se sert de Judas comme ins­tru­ment, et Judas devient l’exécutant de l’action du diable.

   3- Des faits accompagnent ces paroles : le lavement des pieds, l’annonce de la trahison sur la parole des Écritures (Ps 41:10), la déclaration que le traître est l’un des douze, enfin l’indication que le traître est Judas, par l’offre du mor­ceau de pain trempé et la sortie de Judas pour le trahir après avoir pris le pain (Jn 13:30). Le discours d’adieux fait suite à ces faits (Jn 13:17). Ce discours est donc prononcé en l’absence de Judas, c’est-à-dire au moment où Judas trahit Jésus. Le disciple trame sa trahison et le maître en révèle la signification : elle a pour fin la Rédemption.

   4- À la fin du discours, Jésus et ses disciples se rendent à Gethsémani, mais il n’y a pas de séjour prolongé, car dès l’arrivée de Jésus « Judas, ayant pris la cohorte et des huissiers qu’envoyèrent les principaux sacrificateurs et les phari­siens, vint là avec des lanternes, des flambeaux et des armes. » (Jn 18:2)

   L’aboutissement de cette chaîne d’événements permet de saisir le sens du logion « Réveillez-vous, partons d’ici » chez Jean.
   Il s’agit de quitter la ville et l’endroit de la scène pour se rendre à Geth­sé­mani. Mais puisque Jésus se rend dans ce lieu pour être livré et condamné à mort, le logion n’a d’autre référence que le « passage de Jésus de ce monde au Père ». Dans les synoptiques, au contraire, il prend sens du fait que Jésus de­vait rencontrer des Grecs pour l’amener dans la terre des gentils. Le dé­placement du logion n’est donc pas littéraire, mais théologique : il censure et sublime l’affirmation des synoptiques quant au départ de Jésus du pays dans le sillage de Jonas.




Lundi 8 mars 1999




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