ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Introduction  au  séminaire  théologique





Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI n séminaire théologique au sein du corps pastoral de l’Église n’est pas une innovation, car souvent les pasteurs se rassemblent au niveau consistorial ou régional afin de réfléchir ensemble à des problèmes théologiques qui intéressent la vie de l’Église. Le sémi­naire théologique n’a d’autre prétention que celle de donner à cette réflexion un caractère permanent, et à tous les pasteurs le moyen de s’y engager en raison de leur ministère pastoral. Car le pasteur est avant tout un théologien.

On a coutume de considérer la théologie comme du ressort des professeurs de Faculté. On ne pense pas que la théologie universitaire est une réflexion théo­logique partielle, ne répondant pas à toute problématique de la foi.

La théologie des facultés a pour objet la parole de Dieu en elle-même, en cherchant à connaître le contenu des Écritures dans leur objectivité univer­sel­le. Elle est une science, à savoir une connaissance absolue, universelle, abs­traite de la Parole de Dieu.

Mais la réflexion théologique ne s’arrête pas à cette synthèse scientifique. À côté d’une considération absolue et universelle de l’objet de la foi, il y a aussi la possibilité d’une considération particulière, relative à l’Église. Il ne s’agit pas de connaître ce que l’Écriture dit sur l’Église, car cette connaissance aussi serait universelle et scientifique, mais ce que les Écritures peuvent répondre aux besoins et aux interrogations de l’Église. Il s’agit, en d’autres termes, de saisir l’actualité de la parole de Dieu par rapport à l’actualité de l’Église.

En effet, en dehors de son sens objectif universel, la Parole de Dieu possède une signification actuelle, selon l’actualité du temps, car elle est avant tout le langage de Dieu à l’homme dans l’histoire. Les théologiens, dès l’âge patristi­que, se sont beaucoup intéressés au problème des multiples sens de l’Écriture. On a cherché à distinguer le sens réel historique du sens caché allégorique, sans faire attention au fait que même le sens caché est profondément histo­ri­que.
   Celui qui parle dans les Écritures est Yahvé, Dieu dans la personne de Celui qui vient. Il faut souligner la prérogative toute spéciale de ce nom. Il n’est pas « Celui qui est venu », mais « Celui qui vient ». Il s’ensuit qu’il ne faut pas connaître la révélation actuelle de Dieu par celle du passé, mais au contraire celle du passé par la manifestation du présent. L’expression « le Dieu d’Abra­ham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » signifie précisément que les an­ciennes révélations, en s’accomplissant dans les nouvelles, doivent être in­ter­prétées par celles-ci.

Il en est de même de la Parole de Dieu. De même que Dieu accomplit sa révé­lation dans le présent successif, de même Sa Parole possède une signification qui dépasse la limite historique de l’instant qui s’écoule pour s’accomplir dans le présent qui vient. L’interprétation qu’on a donnée dans un moment histori­que déterminé n’a pas épuisé la signification totale des Écritures. Il reste dans celles-ci un sens caché qui sera manifesté dans le présent futur par Dieu lui-même.
   C’est ce sens caché qui constitue la vitalité et la pérennité de l’Écriture, qui est toujours Parole du Dieu présent pour l’homme d’aujourd’hui.

Ce que nous disons pour la Parole de Dieu aux prophètes est aussi valable pour la parole de Dieu en Christ. Le Seigneur n’a pas confié aux Douze un livre à mémoriser et à gloser, mais une parole à connaître par le Saint Esprit. C’est celui-ci qui traduit la parole du Seigneur selon la compréhension de notre cœur, qui l’interprète pour nous, qui la relève de son sens caché. Sans le Saint Esprit, les Écritures seraient un recueil de sentences aptes à nourrir une Synagogue, mais non à susciter le langage d’une Église vivante.

La théologie scientifique cherche à saisir la signification universelle de la Paro­le en accordant les divers sens historiques reçus dans le passé, mais elle ne peut pas, précisément par son universalité et son abstraction, connaître la Parole en tant que réponse de Dieu à la souffrance et à l’interrogation du pré­sent. Pour parvenir à cette connaissance, il faut dépasser l’analyse scientifique pour atteindre l’inspiration de Dieu. Les yeux ouverts sur les Écritures, l’âme dans l’attente du Saint Esprit, notre réflexion aboutira à une théologie, qui sera marquée par un caractère prophétique.



Théologie scientifique et théologie prophétique, les voilà les deux connais­sances où la réflexion théologique doit s’accomplir et s’intégrer. Il existe dans l’Église une crise, quelquefois très aiguë, entre les deux théologies.
   Déjà, lors de nos études en Faculté, nous avons senti nous-mêmes la théo­logie scientifique éloignée des problèmes concrets de notre vie, toujours pleine de notions abstraites, rarement capable de donner une réponse aux interro­gations vitales de notre foi. Nous avons accusé les professeurs en théologie d’être des hommes qui parlent « ex cathedra », arrachés au moment historique de notre existence, penchés sur le passé.
   Cette accusation subsiste encore dans notre ministère pastoral, dans lequel nous avons un peu la crainte des professeurs, conscients que la vie de l’Église, étant pratique et dans le concret, demande autre chose que les élucubrations de l’école. Les professeurs en théologie, par contre, nous accusent de paresse intellectuelle et d’activisme aveugle.

Ces accusations réciproques amènent souvent à une rupture entre les Facultés et le corps pastoral : alors il en résulte que les pasteurs cessent d’étudier une théologie qu’ils ont mal faite, et que les professeurs s’éloignent de plus en plus de la vie concrète de l’Église.

Heureusement, tous les professeurs ne se ressemblent pas, de même que tous les pasteurs n’ont pas fermé les portes de leur presbytère à la théologie. Il faut cependant confesser que les pasteurs et les professeurs commettent une erreur fondamentale dans leurs accusations réciproques.
   Car les pasteurs exigent des Facultés une théologie qu’elles ne peuvent pas donner, de même que les professeurs poussent les pasteurs à une réflexion qui est en dehors de leur ministère. Bien que les professeurs cherchent à s’insérer dans la vie de l’Église, leur théologie restera toujours abstraite, en raison pré­ci­sément du caractère scientifique de leur réflexion.
   Il ne s’agit pas, à notre avis, d’inviter les professeurs à être des théologiens pratiques ou d’amener les pasteurs à une réflexion scientifique, mais de recon­naître la nécessité d’une autre théologie, la prophétique, dont les théologiens sont précisément les pasteurs.
   L’accusation de manque de vie et d’actualité doit se retourner contre nous, pasteurs, qui avons oublié la tâche fondamentale qui nous est confiée, celle d’être les interprètes de la Parole de Dieu par rapport à la situation actuelle de l’Église. Le pasteur est l’homme que le ministère constitue théologien et pro­phète. Ministre de la Parole, il vit au milieu de ceux auxquels il prêche. Il en connaît la fidélité et le péché, il en subit la souffrance, il se réjouit de leur salut. La tâche de prêcher la Parole de Dieu l’engage à l’étude continue des Écri­tures, mais en même temps à saisir dans celles-ci le sens caché pour le temps présent où son peuple vit. Il doit faire correspondre la parole à l’attente du peuple et à la manifestation du Saint Esprit dans l’Église. Ses yeux fixés sur les Écritures, il s’élève par la prière à la communion du Saint Esprit.
   Le ministère de la prédication relève d’un charisme profond et mystérieux, celui de l’interprétation. Le pasteur est prédicateur pour autant qu’il est pro­phète.



Ce charisme demande cependant que les pasteurs soient unis dans la commu­nion fraternelle. Le Saint Esprit est un souffle communautaire, qui saisit l’indi­vidu dans l’Ecclesia, à savoir dans la communion fraternelle. Étant unis par le même ministère et par la même situation d’existence, il faut que nous soyons unis dans la recherche biblique et dans l’attente du Saint Esprit pour l’Église d’aujourd’hui. L’effort des isolés, bien que toujours louable et souvent remar­quable, aboutit à la solitude et à l’individualisme le plus stérile. Ensemble, nous pouvons partager nos expériences et celles de nos Églises, nous pouvons situer notre recherche dans le présent de notre siècle et dans la présence de Celui qui vient.

Le séminaire théologique doit avoir pour tâche de nous unir dans cette recher­che et dans l’attente du Saint Esprit. Il ne s’agit pas de constituer une associa­tion, ni un centre d’étude, mais seulement de nous unir pour l’interprétation des Écritures, afin de trouver dans celles-ci leur sens pour l’Église d’au­jour­d’hui. Il s’agit de situer l’Église dans la Parole de Dieu.



L’Église souffre d’un manque de théologie, et plus encore d’un manque d’actualité dans sa parole et dans ses structures. L’Église catholique romaine envisage de résoudre le problème en constituant des Commissions permanen­tes, qui ont la tâche de fixer aux théologiens, aux exégètes et aux historiens la limite de tolérance dans l’interprétation de leur foi. Nous ne pouvons pas accepter des Commissions, car nous estimons que leur tâche nous appartient. S’il y a un jugement à prononcer, le Séminaire théologique représente ce juge­ment continuel de l’Église sur elle-même, par rapport à la parole de Dieu. Notre réflexion doit intervenir toutes les fois qu’il y a une crise dans l’Église entre sa tradition et son présent, ce qu’elle est et ce qu’elle est appelée à être, son langage et son existence, son message et ses institutions, sa foi et ses hommes. Le Séminaire théologique nous réunit pour nous juger et pour nous renouveler dans la Parole.

En nous jugeant, il représente aussi la continuation de cette Réforme dont notre Église porte le nom. Le temps amène l’Église à devenir institutionnelle, résidentielle, synagogale. Même la Réforme, si on la considère comme déjà acquise, n’est plus une réforme mais une institution. La Réforme est un pro­ces­sus spirituel et historique qui ne s’accomplit jamais, parce que jamais Dieu ne cesse de se rendre présent dans l’histoire. Le Séminaire théologique tend à réformer l’Église dans l’actualité de la Parole. Le Dieu qui vient, Yahvé, veut une Église qui vient et qui se renouvelle dans sa Parole.



Un dernier mot sur la méthode du Séminaire. Sans doute nous chercherons une technique, la plus convenable, pour nos recherches de même que pour nos séances. Toute méthode doit cependant être subordonnée à la prière commu­nautaire. Ce que nous cherchons, la Parole de Dieu comme réponse à l’Église d’aujourd’hui, ne peut pas être l’effet d’un raisonnement, mais le fruit du Saint Esprit. Notre recherche doit ressortir de la Communion fraternelle. Le parfait amour nous pousse à partager nos expériences et nos recherches, de même que nos sentiments et notre service. C’est par ce partage que nous parviendrons à l’unité de la pensée, car nous serons un dès le commencement.
   Les séances de nos séminaires ne doivent pas s’inspirer de la rencontre de Wartbourg, où Luther avait conditionné la communion fraternelle à l’accord doctrinal. Luther n’a pas pu parvenir à l’accord doctrinal avec Zwingli, parce qu’il n’était pas dans la vérité de l’amour. L’esprit de notre méthode sera la vérité dans l’amour avant la vérité dans la pensée. L’Esprit, qui nous unit dans l’existence, nous unira aussi dans la connaissance de sa parole.




Conférence du 22 mars 1960




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t538000 : 07/12/2017