Il me fut, en effet, donné de découvrir un jour dans le quotidien Le Monde daté du 11 février 1970, une « libre opinion » sous le titre : « Si j’étais communiste… » de ce professeur de la Faculté de théologie protestante de Paris, orateur aux « Semaines de la pensée marxiste ».
Quel fut mon ravissement de découvrir ces judicieuses constatations : « Je serais bien certain que la condamnation, démocratiquement préfabriquée, prête à cet orthodoxe des hérésies qu’il ne professe pas, afin de le mieux exclure, découvre dans cet animal emporté une rage imaginaire afin de le mieux noyer ». Puis se faisant l’avocat de l’inculpé et le procureur de la société agressée, il interrogeait innocemment : « N’a-t-il pas dit tout haut ce que l’on pratique déjà sans oser le dire, et n’a-t-il pas également obligé à penser ce que le confort intellectuel de l’orthodoxie rassemblée évite de confronter ? »
Et l’orateur, invité aux « Semaines de la pensée marxiste » en induisait le plus raisonnablement du monde que « même condamnés, ceux qui s’y risquent sont toujours écoutés si l’on sent que leur lutte n’est pas la marque hypocrite d’une renonciation intérieure… puisqu’une condamnation n’a jamais eu pour effet d’enterrer une question véritable. »
Que lisais-je donc là ? N’étais-je pas ébloui par un fantasme ? Notre cher théologien poursuivait sa pertinente démonstration : « Le problème des pluralismes théologiques légitimes à l’intérieur d’une même communauté de foi… devient singulièrement formel et menacé, si le détenteur de la plus grande puissance s’arroge le droit d’interrompre toute expérience qui ne corresponde pas à un dogme clérical qui exclurait de la lutte révolutionnaire ceux qui ne le partagent pas. Davantage, il souhaite une émulation libre au sein d’un dialogue effectif qui préserve le parti communiste de la stagnation menaçante dans tout ghetto idéologique… Peut-être le plus grand tort de Roger Garaudy est-il d’avoir porté devant des témoins externes des débats difficultueux qu’il eût mieux valu « centralistement » étouffer au sein des organes internes... De ce « mal », je l’espère, nous serons tous finalement bénéficiaires ».
À l’issue de ma lecture, je me suis mis à rêver et j’allais écrire au professeur André Dumas pour le remercier d’avoir pris devant le grand public dans un prestigieux organe de presse français la défense et illustration de l’expérience de Tourcoing !
Mais qui ne se souvient de la parabole de « la paille et de la poutre » ? Alors, je me suis ravisé après avoir quitté mon rêve, j’ai préféré adresser, à mon tour, au quotidien Le Monde une correspondance qui fut publiée le 19 février 1970 sous le titre : « Si j’étais protestant… », retournant ainsi au professeur Dumas ses propres questions.
« L’Église réformée au cours de ces dernières années n’a-t-elle pas connu ce confort intellectuel de l’orthodoxie rassemblée » qui craint la confrontation ? Ne s’est-il pas trouvé un certain nombre de chrétiens protestants trop gênants pour avoir osé exprimer tout haut ce que beaucoup ressentaient profondément et n’osaient ou ne pouvaient pas dire ? N’y a-t-il pas eu de ces chrétiens qui ont eu le tort d’avoir raison trop tôt sur la situation de leur Église et de l’Église dans le monde contemporain ? L’Église réformée, malgré les pluralismes légitimes à l’intérieur d’une même communauté de foi, n’a-t-elle pas interrompu, elle aussi, des expériences qui ne correspondaient pas à sa propre situation ? Pour mémoire, les expériences de Corbeil, de Tourcoing, la première forme du Centre de recherche de Lille et le renvoi de son directeur... ?
L’attitude exemplaire de Roger Garaudy n’est-elle pas maintenant récupérée à trop bon compte par le protestantisme français ? N’y a-t-il pas eu dans l’Église réformée des chrétiens (pasteurs et laïcs) qui, comme Garaudy dans le parti communiste, ont voulu une « émulation libre au sein d’un dialogue effectif » qui préserve l’Église réformée de France de la stagnation menaçante dans tout « ghetto idéologique » ? N’y a-t-il pas eu des chrétiens protestants dont le plus grand tort a été d’« avoir porté devant des témoins externes des débats difficultueux qu’il eût mieux valu « centralistement » étouffer au sein d’organes internes » ?
Alors, peut-être aussi, de ce « mal » dénoncé par le professeur Dumas serons-nous « tous finalement bénéficiaires » ?
Je n’en ai jamais reçu le moindre écho de quiconque...