ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie



L’utopie  dans  tous  ses  états


(Réflexions  sur  une  crise  d’identité  protestante)



Comprendre



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Comprendre

La question des limites

Sortir de l'impasse


lus de trente ans se sont écoulés depuis ce jour de no­vembre 1968 où je dus quitter Tourcoing avec ma fem­me et ma fille pour Marseille. Quitter aussi le ministère pastoral au cours duquel j’avais eu le singulier privilège d’être contemporain de vingt années lourdes d’événe­ments qui ont marqué l’histoire de la seconde moitié du vingtième siècle depuis la seconde guerre mondiale et l’époque, glorieuse et ambiguë, de la libération du nazi­sme, puis de la décolonisation du Tiers-monde, accou­chée au forceps des terribles épreuves du Vietnam, mais aussi des pays du Sud-est asiatique, de l’Algérie, mais aussi des pays d’Afrique noire ; et encore la nouvelle montée des périls de la « guerre froide » entre l’Est et l’Ouest, et à nouveau la menace atomique ; encore et encore les conflits du Moyen-Orient, Israël et les Ara­bes ! Quitter le cœur serré et pourtant la tête haute pour une nouvelle aventure...

Quelle nécessité si impérieuse me prescrit-elle de sous­traire à l’oubli ces dix-huit années, à la vérité bien éphé­mères, et de les ramener à la mémoire ? Tout simple­ment, comprendre ! Découvrir, si possible, les non-dits qui amenèrent cette déchirure prémonitoire dès Cler­mont l’Hérault. Comprendre cette psychose qui en a ga­gné tant et tant dans l’Église réformée de France à cette époque, et que le directeur du Centre du Nord, Ennio Floris, exprimait dans sa lettre de mars 1968 au secré­taire général de l’Église Réformée de France, à mon en­droit : « Les uns et les autres se sentent heurtés chaque fois qu’il parle ; et s’il se tait, son silence est inter­prété comme un affront. S’il est absent, on le juge ; s’il est là, cette présence crée une sorte de psychose ». L’incompatibilité d’humeur en épuise-t-elle la raison ?

Comprendre cette époque de l’Église et de la société, appréciée aujourd’hui comme un moment conflictuel passager, désormais de l’ordre de l’événementiel margi­nal et aberrant ! Sans doute, serait-il présomptueux au regard d’un grand nombre d’insinuer que cette utopie proclamée en ces années-là dans l’Église et dans la so­ciété peut avoir laissé dans notre histoire contemporaine des traces qui demeureront toujours un défi et une es­pérance ! Même si elle a produit ce paradoxe qu’a sou­ligné avec un humour caustique Edwy Plenel, journa­liste du Monde : « Nous, cette génération confuse qui crut s’offrir un monde autour de Mai 68 et dut, en vieillissant, se contenter de provinces et de fiefs, de places et de situations, d’envies et d’ambitions ». Mê­me si notre monde, en crise de plus belle, semble au­jourd’hui avoir perdu ses repères à l’exception de ceux du pouvoir et de l’argent, et si les intégrismes de toutes origines (chrétienne, juive ou musulmane) s’infiltrant sournoisement ou brutalement dans nos sociétés, s’acharnent à combler l’espace laissé vacant dans les consciences déboussolées.

Comprendre tout cela à partir de ces dix-huit années où un certain nombre d’entre nous ont eu l’extravagance de croire que l’utopie n’était pas étrangère à l’histoire, qu’elle était, au contraire, la source et la semence créa­trice d’avenir, que précisément, sans elle, l’histoire s’af­faisse en une succession d’événements absurdes et me­naçants ! Notre utopie fut celle de l’Évangile et de Jésus le Nazaréen. Au fil de ces dix-huit années, elle a, sans doute, subi une transformation dans son apparen­ce : de l’influence barthienne à la théologie du monde, de la théologie du monde à la mort du Dieu « tout au­tre » !

Pour comprendre aujourd’hui les obstacles et les exclu­sions, comme les silences de l’Église Réformée de Fran­ce, je m’interroge. Les apparences sont-elles parvenues à trahir l’essentiel ? Cette utopie « dans tous ses états » a-t-elle franchi le seuil de l’hérésie ? Comprendre avec le recul des années suppose faire la part des choses, c’est-à-dire apprécier les événements de cette époque dans l’état d’esprit où nous nous trouvions alors, puis tels qu’après l’élargissement et l’approfondissement de la recherche de ces dernières années, je suis à même aujourd’hui de les percevoir.




1995




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tc131000 24/12/2017