ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie



L’utopie  dans  tous  ses  états


(Réflexions  sur  une  crise  d’identité  protestante)



Sortir de l’impasse



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Comprendre

La question des limites

Sortir de l'impasse


ne démarche nouvelle permettrait-elle de sortir de l’im­passe ? Ennio Floris l’a tentée. Son ouvrage, publié en 1987 sous le titre Sous le Christ, Jésus, a abouti à formuler une méthode inédite d’analyse des récits évan­géliques, fondée sur une approche linguistique des textes et sur l’historicisme de Jean-Baptiste Vico (1668 - 1744), qui présuppose que la nature d’un phénomène est connaissable par sa genèse comme « événement de parole et de culture ».
   Le mythe est le « produit de l’activité métaphorique des hommes à l’âge de leur enfance culturelle »; « Pour connaître ce phénomène (le « Jésus » du texte) et pour répondre au problème qu’il pose, il faut re­chercher la structure du langage des Évangi­les » (Ennio Floris, Sous le Christ, Jésus, page 36). C’est pourquoi, « la foi comme valeur doit être mise entre parenthèses… On ne pourra saisir Jésus qu’à travers le mécanisme qui lui a permis, pour ainsi dire, d’entrer dans le discours » (p. 38).
   La démarche d’Ennio Floris n’est donc pas exégé­tique et sémantique, mais référentielle. « Une fois con­nu ce que le texte dit, la démarche cherche à quoi se réfère le « dit » du texte » (p. 38). L’Église primitive avait perdu la « mémoire » du Jésus historique : « Au temps des évangélistes, l’Église était séparée de cette parole par une distance historique et culturelle. Pour y accéder, il fallait une médiation par la lecture et l’interprétation » (p. 76). L’Église dut faire un effort de remémorisation, et son discours s’est constitué au mo­yen d’un « processus dialectique avec des opposants juifs qui, sans croire au messianisme de Jésus, le connaissaient assez pour en discuter » (p. 86). Paul et les évangélistes n’ont pas eu recours à la mémoire de leur passé, mais à l’anamnèse, c’est-à-dire à leur mé­moire ressuscitée.

Ainsi, le langage des Écritures est lié à un code qui unit le signe (Jésus) à son signifié (le Christ). Par exemple, dans le récit d’Emmaüs, « les disciples ne voient pas le Ressuscité en personne, mais perçoivent seulement des signes par lesquels ils le reconnaissent » (p. 75). « Ainsi, ils recherchèrent dans les informations sur Jésus les énoncés, les expressions, les mots mêmes qui avaient un rapport naturel avec le Christ des Écritu­res. Ils établirent un parallèle entre Jésus et le Christ par la médiation de deux récits : les informations et les récits messianiques » (p. 88).
   Jésus-Christ devenait ainsi parole-image (p. 91), se présentant comme une personne historique quand on voulait le considérer comme un mythe, et comme un personnage mythique quand on voulait le situer dans l’histoire ; ce qui explique l’ambiguïté des récits évan­géliques qui sont à la fois des faits mythisés et des mythes historicisés, et non point des faits historiques.

Comment tenter de parvenir au Jésus de l’histoire ? Si cela s’est avéré impossible par l’exégèse classique, on peut observer à l’intérieur hétérogène des récits évangé­liques des « hiatus » des apories, révélateurs du Jésus de l’histoire. « Des lambeaux d’information sur Jésus sont juxtaposés à des fragments scripturaires sur le Christ » (p. 102). Si les évangiles sont le « tombeau de Jésus », comment l’en faire sortir ?
   Après avoir séparé « le discours sur le Christ em­prunté aux Écritures du discours sur Jésus, propre aux informations » (p. 102), on trouvera au terme de ce processus « des bribes de paroles, des mots, des énoncés et des trames » (p. 104), à l’image de la dépose des fresques qui « permettait de détacher la dernière couche d’enduit, celle qui supporte la peinture, de la première sur laquelle le peintre avait tracé en sépia l’esquisse qui devait lui servir de base » (p. 12). On procèdera ensuite à la reconstitution du discours d’information à la manière de l’archéologue qui resti­tue un vase ou une demeure antique à partir des frag­ments retrouvés et selon les modèles connus.

Ainsi, dans l’énoncé « Marie fut trouvée enceinte… », il devient possible, « en se fondant sur les écrits an­ciens, juridiques et mythiques, de reconstituer les péripéties auxquelles était exposée une femme quand elle était trouvée enceinte en-dehors de la légalité. Dénoncée, elle était condamnée à mort. Ainsi, une fois le fait repéré, il est possible d’établir une trame hypo­thétique sur laquelle reconstituer le récit d’infor­mation » (p. 109) « Bref – conclut Ennio Florisil faut exhumer le corpus des informations, les interpréter et reconstituer le discours. Il faut faire sortir Jésus du tombeau des textes pour le donner à l’histoire » (p. 115).

À partir du fait historique de l’origine bâtarde de Jésus, Ennio Floris dessine le « profil » d’un homme qui, à travers une profonde crise de conscience à l’épreuve du désert, en quête de son identité par une lecture de l’Ancien Testament, découvre dans sa condition de fils bâtard sa vocation prophétique de purification, mais échoue dans une action surhumaine de délivrance du peuple d’Israël, en butte à l’incompréhension de ses amis et à la haine mortelle de ses ennemis, qui, enfin, pour échapper à sa situation d’homme bâtard, ne put retrouver sa liberté d’homme que lorsque les conditions de sa bâtardise furent accomplies en lui. « La foi en la résurrection qui lui fut propre, lui fit comprendre que la mort était pour lui l’unique chemin de la rencontre avec le Père… Ceux qui, les premiers, le reconnurent comme Christ » virent en lui « l’homme qui, ayant donné sa vie pour les autres, fut sauveur par sa mort » (p. 219).

Dans le sillage du prophète Osée, Jésus fut le prophète de l’amour, capable de susciter en l’homme l’énergie créatrice d’humanité. Prophète (et non « homme-Christ » en qui les hommes seraient appelés à renoncer à leur humanité), c’est-à-dire celui qui annonce et décla­re aux hommes que cette créativité est cachée au fond d’eux-mêmes à l’état de germe prometteur d’amour et de vie. Prophète qui annonce à l’homme : « Deviens ce que tu portes en toi-même ! ».




En définitive, la question essentielle n’est-elle pas celle-ci ? La foi est-elle certitude ou inquiétude ? Non cer­tes, crainte de l’inconnu, de l’incertain, du mystère de l’« à-venir », ni défaut d’« avoir ». Mais incomplétude d’être, c’est-à-dire questionnement sans cesse renouve­lé, attente de la réponse qui, à nouveau, redevient pro­blématique nouvelle. Perdre son être, voilà la crainte. Mais l’inquiétude des remises en cause « bannit la crain­te », car elle atteste qu’en l’homme la capacité d’être surmonte sans répit l’inertie corruptrice et se perpétue à l’infini.

En fin de parcours, je garde l’assurance (pari risqué) qu’au-delà de notre « visible », englué dans la haine et la violence, le mensonge et l’hypocrisie, l’intolérance et le cynisme, l’argent et le pouvoir, l’intégrisme inexorable et le dogme infaillible, mais encore l’oppression et l’injustice, la famine et la maladie, la misère et la guerre, apparaîtra par les conduites et les luttes désintéressées des hommes de ce monde, l’utopie de l’amour comme unique et évidente histoire possible de la conscience humaine. Les traces hésitantes que nous en laisserons sur notre passage au fil d’un cours indéfiniment menacé et réhabilité, attesteront – je l’espère – que nous ne nous sommes pas trompés de chemin...








ESPÉRANCE  D’UTOPIE…
QUITTER  UN  MONDE  BON  !



Il est une vérité
Que j’ai apprise et qui vaut pour chacun
Et en mourant je vous la dis :
Vos bons sentiments que signifient-ils
Si rien n’en paraît au dehors ?
Qu’en est-il de votre savoir
Si ce que vous savez n’a point de conséquence ?
Moi-même qu’ai-je fait ? Rien.
Quelles que soient les apparences
Que rien ne soit compté comme une bonne action
Si ce n’est une aide réelle.
Que rien ne soit tenu pour honorable
Hormis ce qui change le monde,
Définitivement : il en a grand besoin.
Moi, pour les exploiteurs je vins à point nommé !
Hélas ! Bonté sans conséquence ! Sentiments
Qui n’ont pas laissé la moindre empreinte !
Non ! je n’ai rien changé.
Quittant sans peur un monde où j’ai passé si vite,
Je vous dis :
Lorsque vous quitterez ce monde à votre tour,
Ayez comme souci non d’avoir été bons

Cela ne suffit pas
Quittez un monde bon.


Bertold Brecht
(Sainte Jeanne des Abattoirs    )








« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. Et quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la con-naissance, quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des mon-tagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, cela ne sert de rien ».


Paul aux Corinthiens   
I Co 13: 1-3 )




1995




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tc133000 24/12/2017