ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  naissance  de  Jésus



Matthieu 1: 18-25




Regard rétrospectif







Le texte

Regards sur le récit

Analyse du récit

Regard rétrospectif




   Je jette ce dernier regard pour mettre en relief la logique du processus d’argumentation du récit que je viens d’ana­lyser. Écrit dans le but de raconter la naissance de Jésus-Christ, le récit commence par la nouvelle que Marie, la mère de Jésus, s’est trouvée enceinte par le Saint Esprit. L’affirmation est tellement stupéfiante qu’on se demande d’où elle peut venir. D’autant plus que le récit n’en donne aucune preuve et que Marie, qui aurait été la seule person­ne à pouvoir en témoigner, demeure muette tout au cours du récit.
   Cette nouvelle est suivie par l’affirmation que Joseph, l’époux de Marie, ignore tout à fait qu’elle est enceinte par le Saint Esprit, convaincu, au contraire, qu’elle l’est par viol. Opposition donc entre Marie et son époux. Lequel, par surcroît, prépare un plan d’abandon de Marie, sans pour autant déclarer que l’enfant n’est pas de lui.
   Mais voilà qu’un ange lui apparaît en rêve pour lui annoncer précisément que Marie est enceinte par le Saint Esprit d’un enfant, qui est le Sauveur. Il appuie cette annonce sur un passage prophétique des Écritures, dans lequel il serait affirmé précisément que la mère de l’enfant était demeurée vierge.
   Ce que l’évangéliste raconte serait donc garanti par l’an­ge et par les Écritures. Or l’analyse que nous venons de faire de ce texte montre qu’il n’en est rien, et qu’il relate autre chose que la vierge enceinte. Qu’est-ce qu’on doit donc penser de l’auteur du récit ? Serait-il un faussaire, qui cherche à faire croire comme vrai ce qu’il estime faux ? Ce serait trop dire. Il écrit l’évangile parce qu’il croit que Jésus est le Christ et souhaite que le lecteur y croie aussi. Son propos n’est donc pas de mentir. Il se trompe alors ? Sans doute ! Mais son but est plutôt celui de communiquer une conviction de foi, non de résoudre un problème, en sorte que son discours n’est pas une démonstration mais un message. Discours qui possède une articulation propre et différente de celle de l’argumentation. Bref, il n’est pas régi par la logique de la démonstration, mais par celle de la représentation. Cela m’oblige à une digression qui, je l’es­père, ne sera pas trop longue.

   L’homme croit en une finalité de son existence dans la mesure où il a conscience d’avoir un commencement, mais il ignore aussi bien l’une que l’autre. Cela ne l’em­pêche pas d’y réfléchir continuellement et anxieusement, poussé surtout par les vides et les angoisses, les désirs et les utopies, bref le non-sens qui, par la mort, recouvre le cours de son existence. À ce propos, les religions lui of­frent matière de méditation et de foi par des événements porteurs d’une motivation et de sens à son existence. Quant à la religion chrétienne, elle annonce que Jésus-Christ, par sa mort et sa résurrection, a pour but de con­duire l’homme à l’immortalité de son origine.

   La religion chrétienne puise ses principes dans les Écri­tures, précisément dans les premières pages de la Genèse. Ayant fait l’homme avant que la terre ne soit achevée, Dieu le place avec Ève, sa femme, dans un jardin de déli­ces, fait pour lui à l’Éden. Sa vie aurait dû se développer éternellement d’une façon paisible et heureuse. Mais ayant péché pour avoir mangé du fruit défendu, l’homme fut envoyé sur terre pour vivre une vie d’être mortel. Dieu ne remet pas à l’homme sa peine, mais établit une alliance avec la génération d’Abraham, pour qu’elle se donne au service de sa royauté dans le monde. Elle fut élevée à la dignité de peuple élu, médiateur entre Dieu et les hommes. Mais après la splendeur de la royauté davidique et de celle de Salomon, le peuple élu ne fut plus dans les conditions de fidélité et de stabilité requises pour être au service de la royauté divine. Dieu maintint cependant son élection, et ce fut alors que, selon des interprètes, il se proposa d’envoyer sur la terre le Christ, pour qu’il offre sa vie en expiation du péché originel, permettant ainsi à l’homme le retour au jardin d’où il fut chassé aux origines.

   Par incidence, je note que cette interprétation des tex­tes, principe fondateur du christianisme, marque en même temps une rupture et une continuité avec le judaïsme : rupture, parce que Dieu pardonne enfin l’homme de son péché, lui permettant le retour à l’immortalité originelle ; continuité, parce que le péché a été réparé par la mort du Christ, en équité parfaite avec l’exigence de la divine jus­tice, propre au Dieu des Écritures. Dieu ne pardonne qu’après la réparation du péché selon l’exigence de la justice. Il est Juste.

   Les croyants au nouvel ordre du salut furent donc en attente du Christ, et les disciples de Jésus le reconnurent en lui. Il suffit de nous rapporter aux évangiles pour com­prendre que les auteurs n’entendent parler de Jésus que dans la mesure où il est le Christ. C’est pourquoi ils dési­gnent ouvertement comme objet de leur évangile non pas Jésus, mais Jésus-Christ. Comment sont-ils parvenus à le reconnaître ? Par un processus de connaissance très com­plexe, car ils ne se sont pas limités à exposer ce qu’ils ont pu constater pendant leur vie avec Jésus ou par des in­formations sur lui, mais par la compréhension de son existence, de ses paroles et de ses actes, de sa vie et de sa mort par le Christ des Écritures. Ils ont accompli une syn­thèse par le modelage de Jésus par le Christ des Écritures, et de celui-ci par Jésus, aboutissant à un personnage : « Jésus-Christ ». Une synthèse donc. Ainsi Jésus a été sublimé dans le Christ des Écritures. Mais cette sublima­tion a imposé aussi le refoulement de sa propre indivi­dualité concrète.

   Si Jésus est le Christ, on doit rapporter en lui tout ce que le Christ comporte et lui ôter tout ce qui empêcherait qu’il le soit. Or, dans la condition naturelle de l’être hu­main, la femme devient enceinte par son union sexuelle avec un homme, mais puisque cette union est tachée de péché car c’est par elle que se transmet aussi le péché originel, il est nécessaire de supprimer la copulation et de la remplacer par l’intervention de l’Esprit de Dieu. C’est Dieu alors qui transmettrait à la femme la semence mascu­line afin qu’elle soit enceinte. La génération s’opère ainsi sans péché, car l’enfant est celui qui doit libérer l’homme du péché. Marie est donc fécondée sans rupture de son sein et donc en restant vierge. Dieu donc agit et comme époux de Marie et comme père de l’enfant ! La virginité de la femme en devient le signe.
   Mais ce remplacement pose des problèmes qui demeu­rent sans réponse dans le processus de fécondation et donc dans la génération de l’enfant. Par exemple, d’où ce sper­me vital porté par l’Esprit de Dieu vient-il ? A-t-il été pris par Dieu à Joseph, l’époux de Marie ? Ce serait logique, mais on peut remarquer que le germe vital masculin est lui aussi taché par le péché, comme sa transmission par l’ac­couplement. Serait-il purifié par le souffle de l’Esprit de Dieu qui le transporte ? Et d’où Dieu a-t-il pris ce sperme fécondateur qui porte les caractères qui lient l’enfant à la génération de David ?

   Ces questions nous amènent au centre du système théo­logique de l’incarnation de Dieu et de la déification d’un homme ! Affirmation à la fois sublime et aberrante ! Mais il convient de nous arrêter dans ces élucubrations. Prenons simplement acte par ces pages que les évangiles ne sont pas des récits historiques mais plutôt les trames d’un poème épique sur Jésus en tant que héros de l’œuvre du Christ des Écritures. L’actant des évangiles n’est donc pas Jésus, mais Jésus-Christ.






Le 18 août 2008




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t383000 : 20/01/2021