Cette guérison s’opère à la synagogue de Capharnaüm, où Jésus se rend pour la deuxième fois à la fin de sa tournée en Galilée (Mc 1: 33-39). Cette première période de la vie publique de
Jésus va de
Capharnaüm à Capharnaüm : le point qui en marque le commencement et la fin est la synagogue de
cette ville. La première fois
qu’il s’y était rendu, il avait chassé des esprits impurs d’un démoniaque (
Mc 1: 23-28), cette fois,
il guérit la paralysie de la main d’un homme.
Le fait est aussi simple que bref, et peut être résumé en quatre points.
Premièrement
Jésus, en entrant dans la synagogue, y trouve, entre autres, un homme à la main sèche, inlassablement suivi par des responsables du lieu pour voir
s’il allait le soigner.
Deuxièmement, après avoir appelé cet homme à se mettre au milieu,
il s’apprête à défendre le principe selon lequel on doit soigner les malades aussi le jour du sabbat.
À sa plaidoirie, les responsables de la synagogue répondent par un silence méprisant, au point que
Jésus se met en colère.
Enfin,
Jésus s’adresse à l’homme à la main sèche, lui ordonnant de l’étendre, et il l’étend.
Jésus opère donc un miracle de guérison.
Un doute, cependant, surgit à ce moment dans l’esprit du lecteur, car l’ordre donné par
Jésus d’étendre la main peut être motivé par deux raisons : pour que cet homme sache que sa main est guérie, ou pour le contraindre à avouer, par le fait, qu’elle est saine et qu’il en simulait l’arthrose. Bref, il s’agirait de la part de
Jésus soit d’un miracle de guérison, soit de la dénonciation d’un piège que les
pharisiens lui auraient tendu pour
qu’il accomplisse un faux miracle. En effet,
Jésus emploie un impératif catégorique
qu’il adressait d’habitude à la maladie causant le mal dont l’infirme était victime, et non pas au malade, le miracle étant une force de libération du mal par la puissance divine.
Ce doute nous étonne et nous oblige à rechercher la cause du double sens, qui peut être attribué à une erreur d’écriture ou à l’intention de
l’écrivain. Dans ce dernier cas,
il refoulerait un fait décrit par l’information en le remplaçant par un fait qui s’y oppose,
il remplacerait la fin de la simulation d’une maladie par un miracle de guérison. Mais le changement laisse ses traces dans le récit.
Une lecture du récit qui ne supposerait pas chez le lecteur un souci de vérité peut bien se passer de résoudre ce problème. D’ailleurs, son interprétation ne peut s’appuyer que sur l’affirmation du récit que «
sa main fut guérie » (
Mc 3: 5 ;
Lc 6: 10). Mais une lecture critique ne peut pas le négliger pour découvrir pleinement son sens. Le critique n’a pas de complexes et doit mettre à nu le récit ; naturellement, dans cette analyse, il ne peut suivre qu’un schéma hypothétique qui cependant doit le conduire à la vérité.
Je suppose donc que
l’auteur de l’évangile se trouve devant un texte d’information selon lequel
Jésus, se trouvant dans la situation de devoir guérir un faux malade, non seulement s’abstient de le guérir, mais en démasque la tromperie. Je chercherai, à partir du récit de l’évangile, à reconstituer le sens du récit d’information dont
il s’est servi. Ensuite, j’analyserai à nouveau le récit pour savoir s’il nous permet de valider cette hypothèse. S’il la confirme, il conviendra de rechercher pour quelle raison
l’auteur de l’évangile a changé le sens de l’information.
Deux récits, donc : l’un qui reconstitue le jugement porté par
Jésus sur l’homme qui simulait la main sèche, l’autre la guérison
qu’il aurait opérée sur le même individu, en ne supposant pas l’existence de cette simulation. Il est cependant opportun de préciser que les deux récits que je propose de faire ne relèvent pas d’une analyse exacte, disons « scientifique », du récit de l’évangile, mais de deux lectures interprétatives, l’une à partir de la présupposition que
Jésus révèle l’intrigue qu’on lui avait ourdie afin
qu’il opère un soi-disant miracle de guérison sur un homme sain, et l’autre ne supposant pas cette intrigue sur le miracle de guérison. Les deux interprétations permettront au lecteur de saisir dans le récit le mélange de deux faits, l’intrigue d’un faux miracle et le miracle de guérison.