’Église catholique est étroitement liée à un État, l’État du Vatican, reconnu par le droit international ou par des concordats entre les différentes nations et lui-même. Bien sûr, l’Église catholique refuse d’être confondue avec cet État, qui lui est extérieur et qu’elle considère comme un moyen temporel pour permettre l’exercice de sa mission dans le monde avec toute liberté et autonomie.
Mais de fait, et aussi de droit, l’autorité de cet État – au moins dans son instance suprême – est celle du Pape lui-même, chef de l’Église. La distinction administrative des deux pouvoirs ne réussit pas à soustraire l’Église catholique à l’équivoque de ce double jeu de l’Église et de l’État.
Si l’on a accusé autrefois l’Église d’avoir été esclave du jeu politique des empires chrétiens, on peut l’accuser aujourd’hui de se rendre esclave d’elle-même en tant qu’empire. Car, en raison de l’union qui existe entre l’Église et l’État, cet État, bien que minuscule, reçoit de l’Église la possibilité d’étendre son pouvoir dans le monde entier, cependant que l’Église reçoit de l’État la possibilité de transformer son action spirituelle en pouvoir temporel.
C’est ainsi, par exemple, que l’économie de l’offrande se transforme en économie productive d’argent, que la mission d’évangélisation devient action politique, que le message de l’Évangile revêt les caractères d’un enseignement public, et qu’enfin la liberté propre à la foi devient un droit sur les peuples.
Selon la théologie réformée, l’argent dans l’Église ne peut avoir d’autre mouvement que celui de l’offrande : le don, la collecte, puis la distribution. Dans ce mouvement d’amour et de solidarité fraternelle, on ne permet pas à l’argent de devenir productif. Par contre, lorsqu’on s’engage avec l’Église catholique dans un service de solidarité pour le monde, on constate que ses offrandes ont suivi tout un processus de productivité monétaire au profit de l’Église-État. Autrement dit l’offrande, avant d’être distribuée, a été capitalisée.
Au sein de l’Église catholique, l’aumône des fidèles a donc un pouvoir d’achat. C’est ainsi que tout, chez elle, peut être productif : ses écoles et ses musées, ses messes et ses dévotions, et elle n’a pas de scrupule à investir ces profits dans des banques ou en actions. Par l’État, l’Église devient donc un système économique mondial.
Selon la théologie réformée, l’Église de Jésus-Christ doit se mettre au service du monde pour que puissent se réaliser la paix et la fraternité parmi les hommes. Elle doit jouer un rôle de réconciliation entre les nations, de consolation dans les détresses, délivrer les pauvres, sans pour cela faire, à son profit, une politique.
Au contraire on remarque que l’Église catholique a une politique qui lui est propre et qui est – rendons-lui cet hommage – parmi les plus expérimentées et les plus savantes du monde. Son secrétariat d’État, dans le domaine des affaires étrangères, élabore une politique qui est mise en action dans les différents pays du monde par les nonces apostoliques. La présence des nonces trahit la réalité de cette politique centralisée du Vatican : ils sont là pour imposer aux évêques et aux mouvements les lignes directrices de la politique vaticane par opposition à la politique de l’État où ils sont. N’était cette volonté de centralisation, les évêques suffiraient, par eux-mêmes ou par leur collégialité à l’échelon national, à régler les rapports entre l’Église et l’État.
L’Église catholique donc, tout en étant Église, est aussi en réalité État dans l’État, et par conséquent empire. D’autant plus qu’elle possède ses syndicats, ses mouvements de jeunesse et d’adultes, ses groupes professionnels grâce auxquels elle peut faire naître une « voix populaire », précéder les décisions du gouvernement, détourner ses intentions, fléchir sa politique, influencer les élections, corrompre les électeurs. Là aussi, l’Église est monde.
Les protestants professent que l’Église de Jésus-Christ doit annoncer prophétiquement le message de l’Évangile en s’adressant, par sa prédication, librement à tous afin de donner à tous la possibilité de connaître la signification de leur existence en Jésus-Christ. Cette prédication ne doit pas se substituer à l’action culturelle et à l’instruction dispensée par l’État : elle ne pourrait le faire sans compromettre l’existence même de l’Église en tant qu’Église.
Mais l’Église catholique, si elle annonce également le message de l’Évangile par la prédication, conçoit et exerce aussi une autre forme d’enseignement qui, par les écoles libres, les universités, les instituts et les centres de culture, prétend supplanter et parfois contrecarrer l’enseignement de l’État. Elle peut lui soustraire des individus de leur enfance jusqu’à leur formation complète, les soumettant ainsi exclusivement à son pouvoir afin qu’ils soient ensuite des instruments de sa politique (au moins de la politique d’enseignement qu’elle exercera dans cet État).
Il faut enfin ajouter que l’Église catholique, pour défendre la liberté de l’Évangile dans le monde et celle de sa propre prédication, tend à imposer aux autres – nations, églises ou religions – son Droit, prétendant par là être arbitre suprême en matière de religion et de morale. Par ses concordats, en effet, tout en cédant à certaines prétentions des États en matière de religion, elle cherche à imposer son droit aux nations – en ce qui concerne, par exemple, le mariage, le divorce, la liberté de presse, la liberté religieuse, etc. Si elle est minoritaire, elle s’appuiera sur ses droits d’Église, mais si elle est majoritaire, elle insistera sur les droits de la majorité, de la religion d’État, motifs qui relèvent tous d’une Église devenue monde.
En soumettant les autres à son Droit, elle se rend à son tour esclave de ce Droit, car tout revêt, chez elle, un caractère juridique : les ministères et les sacrements, la prédication et la foi, l’obéissance et la piété.