ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Pour  une  nouvelle  théologie




La critique théologique



Introduction


L'opposition


La critique


La nouvelle théologie



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI tant donné l’ampleur du domaine de la théologie, il serait prétentieux d’entre­prendre une critique théologique. Notre intention est plus modeste : il s’agit de porter une attention critique sur la théo­logie dans ses rapports avec les exi­gences de la con­science moderne et celles de la prédication de l’Égli­se. En d’autres termes, se demander si celle-ci est fondée sur l’Évangile ou est subordonnée à une « systématique ».

Le problème central de la théologie systématique est celui de la définition de Dieu. L’Ancien Testament offrait aux Pères de l’Église et aux théologiens une affirmation de Dieu « Je suis celui qui est », qui pré­sentait tous les caractères propres à une définition métaphysique aux yeux d'hommes instruits dans la philosophie platonicienne et aristotélicienne. Il n’é­tait pas difficile pour eux d’interpréter ce verbe « est » comme signifiant « l’être » (« to on » en grec), propre à la métaphysique de la philosophie grecque. Dieu est « celui qui est » au sens où il est l’existant qui comprend en lui-même la perfection de l’être.
   L’union de la notion métaphysique grecque de Dieu avec la révélation mosaïque était donc inévi­table. C’est pourquoi, la notion de Dieu à la base de toute la théologie, des Pères aux Réformateurs, est précisément cette synthèse greco-biblique.

Mais que signifie cette notion grecque de Dieu ? En premier, elle est une notion « intellectualiste », car elle conçoit et définit Dieu par rapport au processus de la pensée : Dieu est celui dont la pensée est son être. En lui se trouve identifiée la pensée à l’être et l’être à la pensée. Il faut donc affirmer que ce que Dieu est, est immanent à son JE. Dieu est l’en soi, puisque rien n’est en dehors de lui-même. Si tout est en lui, il est aussi le tout. Son être n’est pas une détermination de l’être, mais l’être dans sa plénitude et son universalité. Enfin, si tout est en lui et s’il est aussi le tout, tout est aussi pour lui. Dieu est ainsi, pour la philosophie grecque, l’en-soi, le soi-même, le pour-soi absolu, universel et total.

Il n’était pas utile de posséder une connaissance bi­blique profonde pour s’apercevoir que « Yahvé », le Dieu qui se proclame « celui qui est » ne pouvait pas se reconnaître dans cet être absolu-immanent de la philosophie grecque.
   Pourquoi ? Il suffit de lire le récit de la manifes­tation divine pour apercevoir que « Yahvé » ne se manifeste pas dans son en-soi, mais en ce qu’il est « pour le peuple ». Il parle à des hommes dont il a d’avance écouté les cris de souffrance et de révolte, pour leur annoncer le salut qui leur est promis, qui vise leur histoire, les délivrant des entraves à leur croissance en tant que peuple et nation. Dieu est sur la terre pour le peuple et pour l’homme. Il sera « avec Moïse ». Sa présence parmi les hommes ne sera pas le reflet d’une existence céleste, mais une histoire qui est celle des hommes. Par opposition au dieu grec, « Yahvé » se manifeste comme celui qui est dans le monde et parmi les hommes : un Dieu qui n’est pas « pour soi », mais « pour les hommes ».

Tout cela était incompréhensible à des hommes qui n’avaient d’autre métaphysique de l’être que celle de l’essence. Pour comprendre théologiquement le Dieu de l’Exode, il aurait fallu disposer de cette méta-physique de l’existence qui apparaîtra beaucoup plus tard.

Nous ne pouvons pas développer l’évolution de tou­tes les thèses de cette spéculation théologique. Im­puissante à comprendre « Yahvé », le Dieu de la ré­vé­lation, la théologie s’est montrée incapable de saisir tous les événements de cette Révélation, tels que la création, Jésus-Christ, la rédemption… Par­tout, nous sommes amenés à dénoncer la substitution où le « pour soi » l’emporte sur le « pour l’autre ».

Examinons la christologie, la base de toute doctrine du salut. L’expression du prologue du quatrième évan­gile (« le logos s’est fait chair ») a donné aux Pères de l’Église l’occasion de traduire la notion d’en-soi de Dieu par la doctrine de latTrinité. Le logos devenu chair est conçu à l’intérieur de Dieu comme une relation personnelle de l’en-soi et du pour-soi de Dieu à côté de la relation particulière au Père et au Saint-Esprit. Cette « Trinité » loin de briser l’absolu de Dieu le réalise pleinement.

Le Logos personnel, un moment de l’en-soi de Dieu, définit le Christ comme l’hypostase de la nature hu­maine dans la personne divine du « Logos ». Ce mot inconnu de la philosophie grecque en dérive ce­pen­dant. Il signifie que le principe qui soutient la « réa­lité » du Christ, le lieu métaphysique de son exis­tence, est la personne divine du « Logos ». En d’au­tres termes, le Christ existe, vit, subsiste dans le « logos » qui est Dieu lui-même.
   Or leCChrist dans les Évangiles est précisément celui qui a été « envoyé dans le monde » et qui, en tant que « Logos » était « dans le monde ». Com­ment concilier, alors, son existence « temporelle » avec son existence « éternelle », son être « sur la terre » et son être « dans le ciel » ? Naturellement, son exis­tence céleste prévaut sur l’autre ; et sa situation ter­restre n’a pas tous les caractères de l’existence, car Jésus ne naît pas comme les autres hommes ; il ne vient pas « du monde ». Sa situation humaine ne par­vient pas à en faire une victime de l’ignorance, du péché, ni même complètement de la souffrance et de la mort. En effet, cette souffrance, même dans l’an­goisse, ne lui ôte pas la joie propre à son existence céleste et la mort ne l’anéantit pas comme tout un chacun.

Lhypostase suppose aussi que la personne divine a assumé la nature humaine. La nature humaine est in­sérée dans l’être propre de la nature divine, et non l’inverse. Il est possible de dire que le Christ est hom­me. Mais quel homme ? Il l’est en raison d’une nature « assumée », retranchée de la situation propre aux hommes, séparée de leur histoire, coupée des autres natures, afin de constituer avec Dieu un nou­vel en-soi divin, un nouvel absolu.

Lhypostase, enfin, fait du Christ un principe de fi­nalité, car étant Dieu, le Christ est pour soi. L’hom­me n’est plus l’aboutissement de la création, mais c'est le Christ. Ce n’est plus l’homme que Dieu aime, mais le Christ, et l’homme pour le Christ ! Le Christ, après son apparition parmi les hommes, re­tourne chez lui, dans le ciel et attend que l’histoire des hommes s’accomplisse sans lui jusqu’à son épui­se­ment. Ainsi, le Christ vient dans le monde, se fait homme pour sauver les hommes en portant leurs péchés. Cependant, il semble voler aux hommes tout ce qui leur est propre : leur humanité, leur sei­gneu­rie, leur gloire.
   En réalité, le « Christ théologique » ne vient pas pour l’homme, mais pour lui, pour sa gloire. Son ap­pa­rition dans le monde ressemble au passage d’un roi conquérant. Il ne fait que passer pour retourner dans ce ciel d’où il était venu et qu’il n’avait, en réalité, jamais quitté. Son apparition dans le monde ne s’intègre pas à l’histoire des hommes, qui conti­nuent à vivre dans leur souffrance, leurs combats, dans l’espoir que leur offre leur désespoir.
   Le Christ semble avoir convoqué les hommes à un rendez-vous, qui se situe à la fin de leur histoire, quand elle les aura convaincus qu’ils n’étaient pas les sujets qu’ils prétendaient être. La fin révèlera, en effet, aux hommes que leur langage ne leur a rien appris, puisqu’ils ne sont pas parvenus à la connais­sance de la vérité. Elle leur montrera que leur effort éthique a été inefficace devant la violence du péché. Quant à leur histoire, elle leur apparaîtra insigni­fiante, s’achevant comme l’ont été ses différents épi­sodes, sans conclusion ni accomplissement.
   Alors, quand l’homme sera anéanti en tant que sujet de sa connaissance, de son éthique et de son histoire, le Christ reviendra. Pour quoi ? Pour révéler sa gloire et conférer à des morts une vie qui leur était étrangère, pour se glorifier lui-même sur les ruines de l’humanité et recréer une nouvelle terre qui sera hors du temps, mais dans l’éternité.

La doctrine de l’hypostase reproduit donc dans l’in­dividualité du Christ le même absolu de l’en-soi et du pour-soi que nous avons découvert en Dieu lui-même. Le Christ, comme Dieu, est retranché des hommes, il est un être séparé parce qu’il est absolu. La christologie classique se trouve donc dans l’in­capacité de faire jouer au Christ le rôle de médiateur que la Révélation lui accorde. Certes, comme hom­me-dieu, il présente la structure idéale du « média­teur », mais comment cette médiation est-elle pos­sible si le médiateur absorbe en lui-même la nature de l’homme et celle de Dieu quand, précisément il doit relier Dieu aux hommes ? C’est pourquoi, la caté­gorie de l’hypostase rend sans effet la médiation et donc le Christ.

La prédication chrétienne exprime cette incapacité de la théologie à laquelle elle est soumise. À travers cet absolu de Dieu et du Christ, elle s’adresse aux hommes sans pouvoir établir le dialogue entre eux-mêmes et Dieu. En raison d’une « humanité » du Christ devenu un absolu, la « Parole », propre à une nature divinisée, propose une perfection impossible à vivre par des hommes pécheurs. Parce qu’elle est étrangère à l’histoire, la « Parole » annonce aussi une existence qui débute au moment où cette même histoire s’achève dans l’anéantissement terrestre de l’homme.




mai 1965




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t561200 : 13/12/2017