ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
Ennio FlorisPour une nouvelle théologie |
La critique théologique |
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Introduction L'opposition La critique La nouvelle théologie |
tant donné l’ampleur du domaine de la théologie, il serait prétentieux d’entreprendre une critique théologique. Notre intention est plus modeste : il s’agit de porter une attention critique sur la théologie dans ses rapports avec les exigences de la conscience moderne et celles de la prédication de l’Église. En d’autres termes, se demander si celle-ci est fondée sur l’Évangile ou est subordonnée à une « systématique ». Le problème central de la théologie systématique est celui de la définition de Dieu. L’Ancien Testament offrait aux Pères de l’Église et aux théologiens une affirmation de Dieu « Je suis celui qui est », qui présentait tous les caractères propres à une définition métaphysique aux yeux d'hommes instruits dans la philosophie platonicienne et aristotélicienne. Il n’était pas difficile pour eux d’interpréter ce verbe « est » comme signifiant « l’être » (« to on » en grec), propre à la métaphysique de la philosophie grecque. Dieu est « celui qui est » au sens où il est l’existant qui comprend en lui-même la perfection de l’être. Mais que signifie cette notion grecque de Dieu ? En premier, elle est une notion « intellectualiste », car elle conçoit et définit Dieu par rapport au processus de la pensée : Dieu est celui dont la pensée est son être. En lui se trouve identifiée la pensée à l’être et l’être à la pensée. Il faut donc affirmer que ce que Dieu est, est immanent à son JE. Dieu est l’en soi, puisque rien n’est en dehors de lui-même. Si tout est en lui, il est aussi le tout. Son être n’est pas une détermination de l’être, mais l’être dans sa plénitude et son universalité. Enfin, si tout est en lui et s’il est aussi le tout, tout est aussi pour lui. Dieu est ainsi, pour la philosophie grecque, l’en-soi, le soi-même, le pour-soi absolu, universel et total. Il n’était pas utile de posséder une connaissance biblique profonde pour s’apercevoir que « Yahvé », le Dieu qui se proclame « celui qui est » ne pouvait pas se reconnaître dans cet être absolu-immanent de la philosophie grecque. Tout cela était incompréhensible à des hommes qui n’avaient d’autre métaphysique de l’être que celle de l’essence. Pour comprendre théologiquement le Dieu de l’Exode, il aurait fallu disposer de cette méta-physique de l’existence qui apparaîtra beaucoup plus tard. Nous ne pouvons pas développer l’évolution de toutes les thèses de cette spéculation théologique. Impuissante à comprendre « Yahvé », le Dieu de la révélation, la théologie s’est montrée incapable de saisir tous les événements de cette Révélation, tels que la création, Jésus-Christ, la rédemption… Partout, nous sommes amenés à dénoncer la substitution où le « pour soi » l’emporte sur le « pour l’autre ». Examinons la christologie, la base de toute doctrine du salut. L’expression du prologue du quatrième évangile (« le logos s’est fait chair ») a donné aux Pères de l’Église l’occasion de traduire la notion d’en-soi de Dieu par la doctrine de latTrinité. Le logos devenu chair est conçu à l’intérieur de Dieu comme une relation personnelle de l’en-soi et du pour-soi de Dieu à côté de la relation particulière au Père et au Saint-Esprit. Cette « Trinité » loin de briser l’absolu de Dieu le réalise pleinement. Le Logos personnel, un moment de l’en-soi de Dieu, définit le Christ comme l’hypostase de la nature humaine dans la personne divine du « Logos ». Ce mot inconnu de la philosophie grecque en dérive cependant. Il signifie que le principe qui soutient la « réalité » du Christ, le lieu métaphysique de son existence, est la personne divine du « Logos ». En d’autres termes, le Christ existe, vit, subsiste dans le « logos » qui est Dieu lui-même. L’hypostase suppose aussi que la personne divine a assumé la nature humaine. La nature humaine est insérée dans l’être propre de la nature divine, et non l’inverse. Il est possible de dire que le Christ est homme. Mais quel homme ? Il l’est en raison d’une nature « assumée », retranchée de la situation propre aux hommes, séparée de leur histoire, coupée des autres natures, afin de constituer avec Dieu un nouvel en-soi divin, un nouvel absolu. L’hypostase, enfin, fait du Christ un principe de finalité, car étant Dieu, le Christ est pour soi. L’homme n’est plus l’aboutissement de la création, mais c'est le Christ. Ce n’est plus l’homme que Dieu aime, mais le Christ, et l’homme pour le Christ ! Le Christ, après son apparition parmi les hommes, retourne chez lui, dans le ciel et attend que l’histoire des hommes s’accomplisse sans lui jusqu’à son épuisement. Ainsi, le Christ vient dans le monde, se fait homme pour sauver les hommes en portant leurs péchés. Cependant, il semble voler aux hommes tout ce qui leur est propre : leur humanité, leur seigneurie, leur gloire. La doctrine de l’hypostase reproduit donc dans l’individualité du Christ le même absolu de l’en-soi et du pour-soi que nous avons découvert en Dieu lui-même. Le Christ, comme Dieu, est retranché des hommes, il est un être séparé parce qu’il est absolu. La christologie classique se trouve donc dans l’incapacité de faire jouer au Christ le rôle de médiateur que la Révélation lui accorde. Certes, comme homme-dieu, il présente la structure idéale du « médiateur », mais comment cette médiation est-elle possible si le médiateur absorbe en lui-même la nature de l’homme et celle de Dieu quand, précisément il doit relier Dieu aux hommes ? C’est pourquoi, la catégorie de l’hypostase rend sans effet la médiation et donc le Christ. La prédication chrétienne exprime cette incapacité de la théologie à laquelle elle est soumise. À travers cet absolu de Dieu et du Christ, elle s’adresse aux hommes sans pouvoir établir le dialogue entre eux-mêmes et Dieu. En raison d’une « humanité » du Christ devenu un absolu, la « Parole », propre à une nature divinisée, propose une perfection impossible à vivre par des hommes pécheurs. Parce qu’elle est étrangère à l’histoire, la « Parole » annonce aussi une existence qui débute au moment où cette même histoire s’achève dans l’anéantissement terrestre de l’homme. |
t561200 : 13/12/2017