ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Pour  une  nouvelle  théologie




La nouvelle théologie



Introduction


L'opposition


La critique


La nouvelle théologie



La logique ou l'art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 es nouvelles tendances prétendent sau­ver les exigences de la conscience mo­derne tout en restant dans les limites de la recherche théologique. Cela signifie que leur souci est, non seulement l’hom­me, comme s’il s’agissait de réa­liser un « hu­manisme chrétien », mais aussi le Christ et Dieu lui-même. Elles sont théologiques parce qu’elle veulent rendre Dieu possible à l’homme, et de même l’hom­me non-contradictoire à Dieu, dans le cadre des Écri­tures.

Constater l’échec de la théologie classique n’est pas chercher à la condamner, mais seulement à souligner la fin d’une époque, l’épuisement d’une longue et complexe réflexion théologique sur la base des caté­gories de pensée héritées de la philosophie grecque.
   Nous devons rendre hommage à la richesse, à la complexité, à la profondeur et à la variété de cette théologie. Mais nous devons reconnaître qu’elle a échoué à expliquer la présence de Dieu à cet homme. Nous devons rechercher de nouvelles catégories pour permettre une théologie qui rende possible, dans le même temps, Dieu et l’homme.

Mais où trouver ces nouvelles catégories ? Nous pen­sons que la Réforme avait déjà donné la réponse à cette question : en Jésus-Christ. En effet, ce qui caractérise la Réforme, le principe par lequel elle est toujours actuelle et universelle, n’est pas le « sola scriptura », mais le fait de considérer le Christ des Écritures comme critère unique de la connaissance théologique. Le Christ n’est pas un des objets dont s’occupe la théologie, mais l’événement central, la réalité matrice, l’être par lequel tout objet théologi­que est connaissable.
   Toute la théologie classique, des Pères de l’Église jusqu’au Moyen-Âge, donne du Christ la même défi­nition ontologique que de Dieu. Le Christ n’est donc connaissable que dans la mesure où il est « notio­nalisé » dans le schéma ontologique de l’être. La Réforme, au contraire, prétend pouvoir connaître le Christ par lui-même, et donc soustraire la théologie à l’assujettissement non seulement de la philosophie grecque, mais aussi de toute philosophie.
   C’est une prétention révolutionnaire qui aurait pu conduire les Réformateurs à refondre entièrement la théologie en la dégageant des thèses catholiques et aussi des catégories de pensée propres à ces thèses. Mais les Réformateurs se sont contentés d’un réfor­misme. Ils n’ont pas été de véritables révolutionnai­res, parce que leur principe d’herméneutique théolo­gique a été en conflit avec le principe d’ecclésiologie de l’autorité et de l’authenticité des Conciles œcu­mé­niques.

Le principe d’autorité des Conciles a conduit les Ré­formateurs à reconnaître comme authentiques, et donc comme ayant autorité en matière de foi, les quatre premiers Conciles qui présentent tous les ca­ractères œcuméniques.
   C’était sans doute le signe que les Réformateurs ne voulaient pas fonder une nouvelle Église, mais seu­le­ment réformer l’unique Église du Christ. Toute­fois, cette prétention ecclésiologique les a empêché d’aller au terme. Car ils n’ont pas vu que ces quatre Conciles étaient, eux aussi, et peut-être plus encore que les autres, liés à l’ontologie grecque en raison, précisément, de la doctrine trinitaire et christo­logique.
   Les théologiens ultérieurs se sont, bien entendu, rendu compte de la difficulté ; et presque toute la théologie protestante est marquée par cette tentative de sortir du cercle de l’ontologie grecque, jusqu’à risquer de sortir aussi de l’orthodoxie. Cependant, en tant qu’Église, par sa liturgie, par ses confessions de foi, par l’arrière-plan dogmatique de sa catéchèse et de sa prédication officielle par les décrets synodaux, la Réforme est toujours restée fidèle aux Réforma­teurs, donc liée aux quatre Conciles œcuméniques, et elle n’a jamais cessé d’exprimer sa foi à travers les catégories propres à la théologie classique des 3ème et 4èmes siècles.

Aujourd’hui, la Réforme est placée devant un dou­ble choix, qui ne va pas sans lui faire courir de ris­ques ni lui poser de graves questions. En effet, elle est tiraillée entre l’exigence œcuménique qui la pous­se à entrer plus avant dans les catégories de la théo­logie classique, jusqu’à renoncer à son principe révo­lutionnaire et à l’exigence de l’homme moderne qui l’invite à aller au bout de sa réforme en rejetant les catégories classiques.

Par le second choix, la Réforme risque de se mettre en question comme Église institutionnalisée pour se retrouver dans son service des hommes. Par le pre­mier choix, elle parviendra à une forme ecclésio­logique plus structurée et plus liée aux autres Égli­ses, mais son esprit sera étouffé par l’institution. Si la Réforme cherche à se sauver comme institution tradi­tionnelle, elle se perdra pour le monde. Au contraire, si elle cherche à être pour le monde, elle risque de se perdre comme institution.

Tous ceux qui empruntent la voie nouvelle ont choisi une Église pour le monde ; c’est-à-dire qu’ils désirent les conséquences ultimes des principes de la Réfor­me, afin de fonder leur réflexion théologique, sans définition préalable, uniquement sur le Christ de l’Évangile.

Mais que signifie « fonder la réflexion théologique sur Jésus-Christ » ? Nous voulons dire tout d’abord que Jésus-Christ doit être le point de départ de toute la théologie et qu’une réflexion est théologique à partir de Jésus-Christ. Nous voulons dire aussi que c’est en Jésus-Christ que nous pouvons comprendre les Écritures, car il est la réalité des images, des symboles et des prophéties contenus en elles. Jésus-Christ est donc le thème de toute la théologie, comme il en est la thèse.
   Nous voulons enfin considérer Jésus-Christ com­me étant le principe gnoséologique de la théologie. Si la théologie est une science, un discours à travers lequel on parvient à la connaissance de Jésus-Christ qui est l’objectivité de la Parole, nous dirons que le critère d’intelligibilité propre à ce discours est Jésus-Christ lui-même. Le Christ est donc objet de con­naissance et critère de son intelligibilité.
   Mais comment extraire du Jésus-Christ des Évan­giles des catégories de connaissance valables pour toute la théologie sans connaître Jésus-Christ ? Si nous le connaissons d’avance, ce sera précisément en raison de catégories préalables.

Pour éviter cette objectivation et afin de ne pas re­tomber dans une connaissance du Christ préalable a sa compréhension, nous dirons qu’il faut partir du Christ phénoménologique. En effet, l’Évangile pré­sente le Christ non seulement par rapport à sa per­sonne exprimée par différents noms (fils de Dieu, fils de l’homme, roi, Seigneur), mais aussi par rap­port à ses actions (ses voyages, sa prédication, ses contacts avec les hommes, sa souffrance et sa mort). Si nous cherchons à comprendre le Christ à partir des noms que la Bible lui a donnés, il sera impos­sible d’échap­per à la tentation de l’ontologisme, et nous le défini­rons encore par un être qui précède son existence.
   Par contre, nous éviterons l’ontologisme si nous cherchons à définir le Christ par les faits de son existence, par son apparaître aux hommes. Nous ne devons pas oublier que le Christ lui-même, pour se faire connaître, a renvoyé les hommes à son œuvre, c’est-à-dire aux faits qui ont marqué sa vie. Le Christ est connaissable en ce qu’il opère, en ce qu’il est là parmi les hommes, auprès des malades et des souf­frants, pour les morts et pour les vivants, en conflit et en conversation avec les hommes, suivi et persécuté, mort et ressuscité pour les hommes. Le Christ phé­noménologique est donc le Christ connu par les faits, défini et saisi par son existence. Malgré les titres que l’Évangile lui confère, son être est toujours mis en relation avec son action et défini par elle.

Il s’agit de voir si, dans la description que les Évan­giles font du Christ, il est possible de dégager des catégories universelles qui permettent, précisément, de trouver dans le Jésus de l’Évangile le principe gnoséologique de la théologie.
   Fort heureusement, l’Évangile ne se contente pas de nous décrire le Christ, mais il exprime aussi sa vie par des formules globales qui englobent tout le mou­vement de son existence. Par exemple, nous lisons qu’il est venu pour sauver les hommes du péché, qu’il a été envoyé dans le monde , qu’il est la Parole qui s’est faite chair, etc. Toutes ces descriptions glo­bales du Christ présentent un grand intérêt si l’on re­marque que leur signification est surtout appuyée sur des prépositions. C’est pourquoi, nous disons qu’el­les nous décrivent la phénoménologie du Christ en nous la manifestant dans sa relation d’existence.
   Sans cette relation, non seulement il resterait in­connu, mais il n’existerait même pas ! La relation aux autres représente son être, ainsi que son appa­raître aux autres. Sans aucun doute, au cours de l’étude théologique, on devra se demander si l’être du Christ (sa relation aux autres) est son apparaître lui-même, ou bien s’il transcende cet apparaître. Pour l’heure, il nous suffit de considérer sa phéno­ménologie com­me le point de départ de la réflexion théologique.

Jetons un rapide coup d’œil sur la courbe que ces prépositions relationnelles tracent dans le quatrième Évangile. Jésus-Christ est présenté dans le Prologue en ce qu’il était en tant que Logos en relation avec Dieu : ce qu’il était au commencement. Mais lorsque ce même Évangile veut définir le Christ en ce qu’il est, il le met en relation avec les hommes. Il est en tant qu’il devient homme. Il est en tant qu’il se don­ne lui-même pour les hommes. Puisque le « mon­de » (les hommes) représente l’autre, nous pouvons dire que le Christ est dans la mesure où il est dans l’autre, où il est l’autre, où il est pour l’autre.

Cet être relationnel et phénoménologique du Christ prétend ainsi à une valeur universelle, lorsqu’on le compare à l’être ontologique par lequel la théologie classique définit Dieu et le Christ. L’être onto­logi­que a exprimé Dieu comme « être en-soi » ; ici, le Christ se définit « dans l’autre ». Là, Dieu est « soi-mê­me » ; ici, le Christ est « l’autre ». Là, Dieu est « pour-soi » ; ici, le Christ est « pour l’autre ».

Or, si la notion d’en-soi et de pour-soi, en dépit de sa puissance logique et systématique, échoue à ré­soudre le problème fondamental de la théologie, Dieu et l’homme en Jésus-Christ, nous pensons que la nouvelle catégorie de l’être dans l’autre et le pour l’autre peut constituer le principe de la nouvelle recherche. Certes, rien n’est dit encore ; cependant il est possible d’affirmer avec certitude que tout en restant en relation avec l’homme, notre démarche est théologique, puisque cette relation n’exprime rien d’autre que l’existence du Christ lui-même.




mai 1965




Retour à l'accueil La critique Haut de page

t561300 : 13/12/2017