ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Réforme,  ou  reconversion  de  l'Église ?




L'Église pour les autres



Introduction


L'Évangile et les autres


L'Église pour les autres


L'Église institutionnelle, église « en Christ »


De l'Église « en Christ » à l'Église « pour les autres »



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI e mettrai d’abord entre parenthèses la conception classique de l’Église, telle qu’elle se présente dans les églises existantes, afin d’être libre de rechercher l’Église à partir de l’événement de l’Évangile. Il ne s’agit donc pas de savoir comment l’Église existante pourrait se mettre au service des autres, mais quelle Église surgit de l’Évangile, en tant que parole et événement pour les hommes.

LÉvangile étant l’appel lancé à tous les hommes de se rendre proches les uns des autres et le surgissement de cette proximité comme acte libérateur de l’aliénation des hommes, L’Église ne peut se concevoir qu’en fonction de cette libération en vue de l’existence sur la terre d’hommes nouveaux à travers une nouvelle conscience d’homme. Il s’agit d’hommes qui ont compris et assumé l’appel de l’Évangile et qui se réunissent pour l’approfondir par rapport aux situations concrètes des hommes.
   On peut donc l’appeler Église parce que des hommes se réunissent autour de cette parole. Mais il faut préciser aussitôt que cette parole ne s’adresse pas aux hommes religieux (Mt 9:13, Lc 2:17, Lc 5:32), sans les exclure pour autant. L’appel de l’Évangile, sa parole pour l’homme, est destinée à tous les hommes, religieux et non-religieux, précisément parce qu’il n’exige des hommes ni une confession ni une situation religieuse.
   De plus, lorsque les hommes sont réunis autour de cette parole, ils n’en deviennent pas, pour autant, des hommes religieux. En effet, l’Évangile agit en eux dans la mesure où ils prennent conscience de l’aliénation humaine, où ils cherchent à découvrir toutes les raisons psychologiques et sociales, économiques, politiques, culturelles, et même religieuses, qui les aliènent les uns des autres. Ils assument par cette même parole pour les autres la conscience de cette aliénation ainsi que la conscience de l’homme nouveau, parce qu’ils partagent la même situation d’existence. Aucun domaine ne doit échapper à leur recherche, puisqu’ils cherchent à découvrir l’homme. Mais cette conscience, non seulement ne les sépare pas des autres, mais les insère en leur sein. Ils peuvent assumer la conscience des hommes dans la mesure où ils leur restent solidaires, parlant le même langage, engagés dans la même lutte existentielle.

En même temps que, éclairés par cette parole, ils cherchent à découvrir cet homme, ils se mettent au service de son avènement là où ils sont engagés, dans le travail et dans l’industrie, dans la science et la technique, dans leurs relations individuelles et sociales. Ils s’efforcent de rechercher que l’événement de l’Évangile surgisse non entre eux, mais dans le monde, au lieu où les hommes vivent, luttent, souffrent et travaillent, se réjouissent ou pleurent. Il ne s’agit pas d’un service exercé par surcroît, mais qui peut seul les définir, les justifier dans le monde, ainsi que vis-à-vis de l’Évangile comme étant des hommes « rassemblés ».

Bonhœffer avait bien aperçu cette Église lorsque, dans Ébauche d’une étude, il affirme : « L’Église doit collaborer aux tâches profanes de la vie sociale, non en dominant, mais en aidant et servant. Elle doit manifester aux hommes de toutes les professions ce qu’est une vie avec le Christ, ce que signifie vivre avec les autres. Notre Église spécialement devra s’opposer aux vices de l’hybris, de l’adoration de la force, de l’envie et de l’illusionnisme qui sont les racines de tous les maux » (Résistance et soumission, p.181).

Mais, dira-t-on, si l’Église doit se reconnaître dans ce service des hommes, comment peut-elle se dire encore du Christ et se référer à la parole de l’Évangile ? Il convient de rappeler l’affirmation qui a été le fondement de la première partie de cette étude : Jésus-Christ n’a d’existence que pour les autres, ce qui signifie qu’il ne faut pas le chercher dans l’individualité de sa personne. Il est le Christ parce qu’il est vidé de lui-même pour être dans la relation à autrui jusqu’à mourir (Ph 2: 7-9). Etant offert aux autres, il n’est saisissable que dans les autres, dans l’homme. Si on le recherche en lui-même, on sera dans la position des apôtres devant son tombeau vide. « Il n’est pas là » ; il n’existe pas pour lui-même, mais on le trouve quand nous allons vers les autres (Lc 24:6 ; 24:13-31, Jn 20:14-16), et que nous cherchons à faire surgir cet homme pour lequel il a agi, parlé, vécu et pour lequel il est mort.
   La plus grande tentation de cette Église serait (comme elle l’a été) de vouloir garder la personne individuelle de Jésus afin d’hypostasier l’Évangile en lui. Ce serait alors nier que Jésus est pour les autres et affirmer que les autres sont pour lui. Ce serait figer l’Évangile dans un absolu en le transformant en un mythe religieux et le méconnaître comme parole et événement humains. Au contraire, l’Église est au Christ parce qu’elle est pour l’homme, rejetant toute religion, de la même façon que Jésus s’était soustrait à toute divinisation de sa personne. Visant l’homme exclusivement, étant en lui-même humain et mondain, comment ce rassemblement d’hommes peut-il être appelé « église » ? Ne présente-t-il pas tous les caractères d’une association à but social et humaniste ? Quel est donc la spécificité de cette « église » ?

Je pense que cette assemblée d’hommes est « église » parce qu’elle vise l’homme dans sa totalité, parce qu’elle cherche à mettre à jour l’aliénation dans tout domaine humain en vue de l’apparition d’une nouvelle conscience humaine, l’homme pour les autres dans les relations individuelles et sociales. Elle tend vers ce but parce qu’elle reconnaît dans l’existence pour les autres la possibilité de vie des hommes sans en avoir une certitude métaphysique ou dogmatique. Elle y adhère, non par la philosophie et la religion, mais par la foi.

Mais quelle foi ? Peut-on avoir une foi non-religieuse qui ne puisse être contestée par l’homme ? Dans cette recherche des aliénations humaines, on découvre que l’existence pour les autres est toujours une possibilité et le surgissement de l’homme nouveau une probabilité. Nous pouvons dire « oui » (et l’homme s’accomplira) ; nous pouvons aussi dire « non » (et il ne s’accomplira pas) !
   L’homme est un but à atteindre ; c’est un « pari » dans la capacité indéfinie de sa probabilité. Dans ce « pari » on s’engage, et on opte alors pour l’homme, pour sa vie, pour son renouveau, pour sa libération en se mettant ainsi en situation d’existence. Ce « pari » est une foi parce notre engagement n’est pas assuré par une raison objective, mais par la perspective ouverte par l’engagement lui-même. Cette « foi » est « praxis » et vie. Par l’engagement, ce qui était « probable » (l’existence des autres) devient « réel ». Dans cet « engagement » est fondée l’espérance de l’homme nouveau. Puisqu’elle est toujours « possible », l’attente de cet « homme nouveau » surgit comme « par hasard » ! Et dans cette espérance, les hommes redécouvrent le sens de leur existence et la volonté de vivre.

Tout ce que je viens de dire devrait placer l’Église dans l’ordre du vécu, sans pour autant refuser la réflexion et la recherche ; c’est-à-dire que toute recherche se situe en fonction de la vie afin de créer la marge de probabilité des situations d’existence pour les autres. La réflexion de l’Église pourrait ainsi aborder les recherches de tous ordres, scientifique et sociologique. Ce qui la caractérise alors, c‘est la synthèse pratique de toutes ces données dans la perspective propre à son espérance à travers l’engagement des hommes.




Le 11 juin 1967




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