l faut bien dire que le fondement de l’Église que j’ai cherché à définir est possible à partir de ce « pour » par lequel Jésus lui-même a voulu exister et mourir. Ce « pour » confère à l’Église un être relationnel qui nous interdit de le rechercher ailleurs que dans l’homme.
L’Église « institutionnelle », par contre, a voulu se définir par rapport au Christ. Ainsi, elle affirme son existence dans ce fait qu’elle est « en » Christ. Certes, elle affirme que Jésus-Christ est venu pour l’homme, mais cet homme est tellement uni à lui qu’il est lui-même assumé par son « je » divin. L’Évangile, comme événement et parole, est hypostasié dans la personne de Jésus. Pour affirmer que la rupture entre les hommes et Dieu, et des hommes entre eux, est effacée, il faut le dire seulement par rapport à l’être de Jésus, car c'est en lui seulement que l’homme rejoint Dieu en s’accomplissant lui-même. C’est ce que le dogme des deux natures (nature humaine et nature divine) assumées par la personne divine de la parole, a toujours voulu exprimer.
Mais les autres hommes restent pour autant divisés en eux-mêmes et séparés de Dieu. Comment peuvent-ils parvenir à leur unité ? Sous cet angle, il n’y a pas d’autre possibilité qu’en réunissant les hommes à Jésus-Christ. Dans la mesure où ils seront « en Christ », ils s’uniront à Dieu. Ils parviendront ainsi à l’unité et à la perfection de leur humanité. L’Église naît pour cette raison. Elle surgit du Christ afin de relier les hommes à lui et, à partir de lui, les amener à leur parfaite unité. En conséquence, l’être de l’Église est essentiellement religieux ; en effet, elle n’existe que dans sa relation au Christ, qui est Dieu-homme. Toute relation avec lui ne peut être que religieuse, parce qu’elle amène les hommes à transcender leurs relations concrètes d’existence, à dépasser toute impasse par la communion avec le Christ, et à se reconnaître dans cette réalité qui est toute autre que l’existence humaine historique.
Existant comme religion, l’Église accomplit sa tâche par des œuvres religieuses. La première est celle d’annoncer le Christ à tous ceux qui ne le connaissent pas. Certes, puisqu’elle s’adresse aux hommes divisés et sans Dieu, on pourrait dire qu’elle se met au service des hommes. En réalité, elle est au service du Christ pour soumettre les hommes à son autorité.
Puisqu’il n’y a pas de salut pour l’homme hors de son existence « en Christ » (in Christo), elle doit adresser cet appel à tous les hommes pour leur faire connaître le Christ et qu’ils s’unissent à lui. Sa tâche n’est pas d’aller à la rencontre des besoins terrestres des hommes, mais d’exploiter leur sentiment religieux ou de créer des besoins religieux afin qu’ils parviennent à reconnaître leur salut en JJésus-Christ (cf. Bonhœffer).
Quand l’Église s'occupe des besoins temporels, c’est par surcroît, en marge de sa véritable tâche, car ce service ne peut avoir d’autre justification que la communion avec le Christ. Ce service, en utilisant des techniques humaines, est en réalité un ministère, une œuvre religieuse.
Une fois les hommes appelés par l’Évangile, l’Église cherche à les réunir au Christ par la communion cultuelle. Elle rassemble les croyants dans le culte pour faire davantage connaître le Christ, le signifier par les sacrements, le célébrer par la louange, le prier et l’adorer. Tous ces actes sont religieux parce qu’ils créent chez les participants une vie différente de celle des hommes, une vie fondée sur la nouvelle situation religieuse où ces croyants fondent leur existence.
Dans cette communion avec le Christ par la religion, les chrétiens des églises retrouvent les motifs inspirateurs de leur propre vie, tirent les principes de leur éthique sociale et familiale, le fondement de leur sécurité pour le maintien de leurs traditions et de leurs classes. L’Église devient ainsi le lieu de l’événement de l’Évangile. Bien qu’étant dans le monde, elle en est retranchée ; vivant dans le temps, elle en est étrangère ; rassemblant des hommes réels et historiques, elle les transporte dans une situation au-delà de l’humain.