ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Le  témoignage  donné  par  l’ancien  prêtre
au  sujet  de  la  présence
de  l’Église  dans  le  monde



(  Colloque  des  « Nouveaux  Protestants » )






La présence de l’Église au monde,
du point de vue des différentes Églises





Introduction

La présence de l'Église au monde

L'expérience de l'ancien prêtre

Le témoignage de l'ancien prêtre


Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCIÉglise Romaine considère l’Évangile et, avec lui, toute l’Écriture comme l’annonce du Royaume de Dieu et, en même temps, comme l’ensemble des vérités qui, par le ma­gistère et l’action de l’Église, sont capables de réformer le monde en vue de ce Royaume. Dans cette doctrine, nous trouvons trois éléments néces­saires :

  • Le Royaume de Dieu,
  • le renouvellement du monde en vue de ce Royaume,
  • l’Église.

LÉvangile est cette vérité, cette puissance qui accomplit l’œuvre de la création dans le Royaume, après l’avoir renouvelée au cours de son histoire ; l’Église, elle, est l’instrument de l’Évangile.

La vision doctrinale de l’Église romaine est donc unitaire et totalitaire, fondée sur l’analogia entis, qui établit une continuité entre temps et éternité, nature et grâce, monde et Église. L’Évangile est une force de vérité qui, au lieu de diviser, accomplit, achève, amène toute la création à cette finalité que Dieu avait décrétée ab æterno. La présence de l’Église au monde découle de ce principe. Car l’Église se rend présente non seulement par sa prédication et ses sa­crements, en vue du pardon des péchés et de la sanctifi­cation des âmes, mais aussi par son enseignement moral et social, par son action qui tend au renouvellement des idées et des structures du monde. C’est pour cette raison qu’elle associe son pouvoir spirituel et son pouvoir temporel, et qu’elle réunit par des organisations syndicales, profession­nelles, politiques, culturelles, etc. ces mêmes fidèles qu’elle avait assemblés dans ses églises pour la messe et la célé­bration des sacrements.

Le catholique chrétien, lui, doit suivre son Église dans cette double mission, éternelle et temporelle. Ce qui carac­térise l’authenticité de sa foi est l’obéissance à son Église, car en se soumettant à son autorité et à son enseignement, il acquiert non seulement les moyens de sa sanctification, mais aussi ceux de son insertion dans le monde, devenant par là actif et efficace pour le développement et le progrès de la vie humaine (1).

Pour les Églises issues de la Réforme, l’Évangile est la parole de Dieu annoncée aux hommes pour les convaincre du péché et pour les appeler au salut du Royaume. L’ordre du monde est confié par Dieu à l’homme lui-même, à sa sagesse qui ne peut être soustraite au pouvoir du péché. L’Évangile annonce donc la bonne nouvelle, non pour renouveler les institutions de la société, mais pour juger et sauver les hommes qui y sont engagés. Le but de la Parole est la foi et non le renouvellement social ; elle tend au Royaume et non aux règnes de ce monde, à la délivrance du péché et non aux émancipations sociales et politiques.

L’Église se rend présente au monde seulement par la pré­dication du pardon de Dieu et la vie de ses communautés. Le croyant, quant à lui, se rend présent au monde par sa foi, en témoignant Jésus-Christ par ses paroles et par son obéissance à l’Évangile.

La vision réformée est donc « dualiste », car il n'y a pas de continuité entre le monde et le Royaume de Dieu. La Parole de Dieu intervient pour marquer davantage cette rupture créée par le péché, en délivrant les hommes du mal sans changer en rien la situation du monde. Elle délivre les hommes du péché, mais n’enlève pas ce péché du mon­de (2).

Pour résumer, nous pouvons dire que les deux théologies sont d’accord en ce qu’elles lient le Salut à l’Église, con­férant ainsi à cette dernière une suprématie sur le monde – puisque, suivant la doctrine catholique, l’Église est là pour transformer le monde et que, suivant la doctrine réformée, elle est là pour convaincre le monde de péché afin de le condamner dans sa temporalité. L’Église a donc, vis à vis du monde, un rôle de maître suprème selon l’une, de juge selon l'autre.

Ces deux prétentions mettent l’Église en conflit avec le monde qui revendique le pouvoir de se transformer par lui-même dans ses structures, au cours de son développement, et aussi le pouvoir de délivrer l’homme de ses « aliéna­tions ».

À l’Église romaine, le monde reproche surtout de s’être opposée – avant de s’y engager finalement – au progrès de la science, d’avoir consenti à la séparation des classes, fa­vorisé l’exploitation des pauvres par les riches et accepté la guerre ; il lui reproche encore de s’être prononcée contre la liberté de conscience.
   À quoi l’Église romaine peut, bien sûr, répliquer qu’elle a été la « matrice » de la civilisation européenne et que, par ses œuvres de charité, elle a apporté une aide aux be­soins et aux souffrances des hommes. Mais on peut et on doit se demander si la contribution de l’Église romaine à la civilisation européenne est œuvre de l’Église en tant que telle, ou bien œuvre de la Papauté agissant en tant qu’État, empire politique remplissant son rôle parmi les puissances du monde. Dans ce cas, sa contribution est « mondaine » et non ecclésiale.

Par ailleurs, en ce qui concerne les œuvres de charité, il s’agit d'une entr’aide née d’initiatives privées (bien que conseillées ou imposées), qui visent à la satisfaction de besoins individuels mais sont incapables d’atteindre les structures sociales. En tout cas, l’Église romaine a toujours cherché à réduire le monde à elle-même : son service, sa doctrine et son action dans le monde visent toujours à établir une suprématie de l’Église sur les institutions du monde, dans le but de « christianiser » le monde, de le « baptiser », bref de le cléricaliser. Le but de son action n’est pas l’évolution du monde, mais la résolution du monde dans l’Église.

Au protestantisme, qui prétend sauver les hommes du péché du monde par la prédication, ce même monde repro­che de se servir du monde et de ses moyens pour défendre ses propres intérêts, pour s’organiser en églises et pour s’affirmer socialement. À cette prétendue délivrance opé­rée par la prédication, il oppose les « aliénations » dont la prédication s’est avérée incapable de délivrer les hommes. Or ces « aliénations » psychologiques, sociales et économi­ques, il les considère comme le véritable péché.
   Comment pourrait-on affirmer que la prédication délivre les hommes du péché alors même que ceux qui l’écoutent – les croyants – sont encore soumis au pouvoir de l’argent, à la convoitise de la domination, à l’orgueil de classe, etc. ? Comment la prédication pourrait-elle prétendre délivrer l’homme si elle ne peut bouleverser la situation sociale, économique et politique à laquelle le péché des hommes est lié ?

La présence de l’Église au monde est donc aujourd’hui très problématique parce que l’Église est impuissante à atteindre le monde et qu’alors le monde lui échappe. Il en résulte une crise profonde dans le témoignage des cro­yants. Comment le chrétien peut-il témoigner de l’Évangile si celui-ci est considéré par le monde comme inutile et dangereux ? À quoi sert l’Évangile s’il ne peut pas trans­former le monde, ni délivrer les hommes de leurs « alié­nations » ?

Les Églises risquent donc de ne plus avoir de « présence » dans le monde. Car si l’Église catholique ne possède déjà plus de pouvoir de direction sur l’ordre du monde, la Ré­forme, elle, est en train de perdre toute puissance d’évan­gélisation. Les Églises sont donc repoussées au dedans d’elles-mêmes, contraintes à exercer une action sur leurs membres, à l’écart du monde. Elles sont en train de deve­nir des « clubs ».
   Les chrétiens sont écartelés entre le monde et l’Église. Ils vivent dans le monde comme s’ils n'étaient pas chré­tiens et dans leur Église comme s’ils n'étaient pas du mon­de. Car de même que leur foi ne peut les aider ni à trans­former le monde, ni à témoigner de Jésus-Christ, de même, lorsqu’ils sont dans l’Église, ils sont détachés du monde, de leur classe et de leurs intérêts, de leurs options politiques et de leurs luttes, de leur travail et de leurs sou­cis. Ils sont toujours « autres d’eux-mêmes », hommes vraiment « aliénés », contraints à vivre ou sans l’Évangile, lorsqu’ils sont dans le monde, ou sans le monde lorsqu’ils sont à l’écoute de l’Évangile – situation tragique, qui est prélude de la dissolution de l’Église (3).




Colloque tenu en mars 1968




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t535100 : 27/11/2017