ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Liberté  d’expression  et  limite  de  foi





Les limites



Introduction
Sommaire


Les limites


La confession de foi


La parole du pasteur


Sur le plan personnel



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI ’énoncerai la première de ces remarques dans les termes où elle a été formulée par le président de la région, dans son dernier rapport synodal ; ceux-ci correspondent, en effet, à l’opinion de M. Conord aussi bien qu’à celle d’autres collègues :

« Il existe une limite au-delà de laquelle plus aucun accord n’est possible, au-delà de laquelle la communion dans la foi n’existe plus. L’Église Réformée de France n’a jamais contesté le droit au pluralisme théologique, mais encore faut-il que celui-ci surgisse d’un certain fond commun. »
   Il est fait allusion, ici, au « kerugme » de la prédica­tion apostolique, qui constituerait le contenu essentiel des Écritures, une vérité préalable à toute recherche théologique dans la mesure où elle détermine la foi.

Mais quelles sont ces limites ? Bien sûr, les Églises ont cherché à les définir, puis à les fixer dans des pro­positions qui, au cours des siècles, ont pris le nom d’« articles de foi ». Lors des divers entretiens autour de M. Conord, il a été dit que ces limites étaient, entre autres, la transcendance et l’existence de Dieu, le Salut en Jésus-Christ, le sacrifice expiatoire de la croix, etc.
   Ce disant, on oubliait de constater que, alors même que l’on cherchait à fixer ces limites au moyen de mots, on empruntait des concepts, des catégories de pensée, on s’inscrivait dans des systèmes philosophi­ques susceptibles, eux, d’être dépassés, réinterprétés et modifiés. Par conséquent, même ces « vérités » ne sont pas immuables – elles sont soumises à la critique et, par suite, à la recherche théologique. On a égale­ment tendance à oublier que l’herméneutique moderne est tellement radicale que même ces « propositions » de foi doivent être interprétées.

Prenons, par exemple, la plus fondamentale d’entre elles : Jésus-Christ. Il s’agit là non d’un mot (expres­sion d’une réalité fixe telle qu’une forme géométrique ou physique), mais de l’affirmation « Jésus est le Christ ». Cette proposition est valable dans la mesure où les deux termes « Jésus » et « Christ » restent unis par la copule « est ».
   Mais comment peut-on lier ce sujet et ce prédicat ? Comment les anciens les ont-ils liés ? Comment avons-nous nous-mêmes appris à les lier ? Doit-on exprimer cette liaison par une théorie métaphysique essentialiste, comme l’ont fait les Pères néoplatoniciens avec la no­tion d’hypostase ? Doit-on admettre plutôt qu’elle « tombe du ciel » sans que l’homme puisse espérer l’exprimer dans son langage ? Ce « est » est-il dissocié de l’interrogation de celui qui le prononce ? Il faudrait pouvoir dire aussi qui est ce Jésus, sujet de la pro­position, et que signifie « Christ ».

Il est donc évident que, dès que l’on cherche à répon­dre à ces interrogations – qui peuvent d’ailleurs être multipliées à l’infini – les limites posées s’effritent car elles sont elles aussi « théologiques », objets d’une foi qui se cherche elle-même. Alors, il n’est pas étonnant de rencontrer, entre autres affirmations, celle-ci : Jésus n’est pas le Christ, dès lors que cela vise à écarter des catégories de pensée en voie de dépassement, et aux­quelles le mot « Christ » avait été lié.

En ce qui concerne les limites, je voudrais aussi faire remarquer que l’on dénonce fréquemment tout ce qui est au-delà du « maximum » affirmable dans la foi, mais que l’on ne s’attaque jamais à tout ce qui est en-deçà du « minimum ».
   Je veux parler de toutes ces affirmations qui relèvent soit d’un réalisme épais et exclusif dans la lecture des Écritures ; soit d’un fondamentalisme qui nie l’impor­tance de la structure littéraire du texte comme de la structure évolutive et complexe de l’histoire ; soit enco­re d’un surnaturalisme qui tient de la pure magie, ou d’un piétisme qui veut faire, d’expériences toutes per­sonnelles, un critère de foi à l’usage de tous ; soit aussi de l’exigence de sécurité et d’ordre qui pousse à s’atta­cher à des formulations idéologiques dépassées et de­venues incompréhensibles pour la majorité des hom­mes, etc.
   S’il y a des hérétiques par excès de philosophie, je dirai volontiers qu’il y en a par défaut de réflexion, de culture ou même d’intelligence ; ce n’est d’ailleurs pas le défaut lui-même qui doit être incriminé, mais la pré­tention d’élever celui-ci au rang d’une norme de foi pour les autres.

Enfin on ne réfléchit pas assez au fait que, si l’Évan­gile n’éveille plus d’écho dans le monde, ce n’est certes pas à cause des hérétiques par excès de recher­che, mais bien plutôt à cause de ceux qui présentent ce livre comme un objet sacré, comme un talisman con­tenant des paroles magiques propres à faire sortir les hommes de toute impasse, à leur faire résoudre tout problème, à les rendre « saints », immunisés contre la corruption du monde.
   En général, toutes ces croyances sont fondées et justifiées par l’intention des personnes qui en font état : on dit qu’après tout, elles témoignent de leur foi. Pour­quoi, alors, ne pas admettre que ceux qui doutent et mettent tout en question témoignent eux aussi de leur foi ? Une foi mise à l’épreuve par les problèmes du monde, bien plus profonde peut-être du fait qu’elle s’affirme non dans une situation idéologique de sécuri­té, mais au beau milieu de la problématique et de la souffrance des hommes, s’élevant, là, comme un acte d’espérance.

Un fond commun ? Il y en a un, bien sûr : l’Écriture, mais en tant que référence, grammaire, pour ainsi dire, du discours de la foi. Rappelons, en passant, combien il est important de ne pas confondre foi et croyance !




Le 5 mars 1968




Retour à l'accueil Introduction Haut de page La confession de foi    Imprimer

t537100 : 05/12/2017