ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Pierre Curie



Dieu  contesté  par  Job




Dieu au-delà de Dieu



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI







Présentation

Introduction

Le « pourquoi ? » de Job

Le Dieu des amis de Job

Job et la mort de Dieu

Dieu au-delà de Dieu


e livre de Job s’achève sur une « réponse de Yahvé ». Cela reviendrait-il à dire qu’après la fin du drame de Job, Dieu aurait eu le dernier mot pour confondre l’audace de Job ? Cette « réponse de Dieu » ferait l’économie de tout ce qui a précédé ? À qui donnerait-elle raison ? À Job, le négateur du Dieu tout-puissant ou aux « amis de Job » qui pourront repartir satisfaits, justifiés, hochant la tête iro­niques et narquois ? Enfin, Dieu a parlé et a authentifié leur discours en mettant le sceau définitif à leur bonne et saine théologie ? Il y aura toujours quelques « enfants terribles », mais bientôt la « sagesse » reprend ses droits !

   Est-ce bien de cela qu’il s’agit maintenant ? À la fin du livre (même si ce texte de Jb 42:7-17 doit être distingué du corps du poème) il apparaît, au contraire, que les « trois amis » de Job en ont été pour leurs « frais théo­logiques » ; ils sont dénoncés comme de « faux amis et de mauvais interprètes de Dieu ». « Mon courroux est en­flammé contre toi (Éliphaz) et contre tes deux amis » (Jb 42:7). C’est pourquoi, ces « discours de Yahvé » ne nous invitent pas, à présent, à faire l’économie du drame de Job. Au contraire, ils en sont le sommet et l’aboutis­sement.


La tempête

« Yahvé répondit à Job du sein de la tempête » (Jb 38:1; 40:6). L’ensemble de ces discours poétiques contient nombre d’images, de symboles et de mythes. Il convient donc de prêter attention à leur structure. Notons d’abord l’image de la tempête. Il y a là une analogie avec le poème de Jonas. Le sauvetage de Jonas s’effectue aussi au sein de la tempête, et du ventre du grand poisson, Jonas s’adresse à Dieu. Le Psaume 130 sert de schéma à sa prière (Jon 2:3-9).
   La parole de Yahvé surgit du sein de la tempête et non du haut du ciel ; elle ne surplombe pas l’homme ni ne l’écrase sous son jugement ; elle ne préexiste pas au monde ; elle est un surgissement ; elle sort du néant pour être. La tempête est bien l’image d’une nature menaçante, symbole d’un néant. Nous retrouvons la même perspec­tive à propos de la vocation de Moïse au livre de l’Exode. Yahvé parle à Moïse du sein d’un buisson en feu (Exode 3).


Yahvé dit à Job

S’agit-il d’un véritable dialogue comme celui d’un homme avec son semblable ? Y a-t-il eu quelque part (mais où, en vérité ?) une voix qui aurait retenti du sein des flots ? Ces flots déchaînés ne sont qu’image et symbole. Qui parle à qui ?
   Quand au livre de l’Exode, il est dit « Yahvé dit à Moïse : j’ai vu la misère de mon peuple qui réside en Égypte » (Exode 3:7), il s’agit bien d’une expression poétique de la tension profonde dans laquelle Moïse se sent déchiré entre sa situation actuelle (il a une patrie, une famille, une profession) et la situation de son peuple en esclavage ; et dans le drame de cette tension surgit l’étincelle, le feu d’une « révélation », « la parole de Yahvé » par laquelle il s’entend interpellé « du sein d’un buisson enflammé ». Ici, de même, il ne s’agit pas de faire l’impasse du « cri » de Job, de son appel à ce « ven­geur de sang ».
   Certes, alors encore, la question fondamentale, exi­geante, existentielle de Job surgit et entre en tension avec d’autres interrogations non moins fondamentales. C’est bien un combat « au sein de la tempête » intérieure qui secoue l’homme en ses profondeurs et ne le laissera jamais en repos tant que durera sa vie sur la terre.
   Dans le tumulte des flots intérieurs, une double interro­gation secoue Job : d’abord, pourquoi cette condition in­juste qui est mon lot ? Je suis innocent et je peux plaider non coupable. Aucun pouvoir n’est en mesure de contes­ter ma responsabilité ; ensuite, qu’est-ce que l’homme dans le cosmos ? Quelle est sa place dans l’univers ? Peut-il affronter avec plein pouvoir l’ordre du monde ? Quelle « connaissance » et quel « pouvoir » l’homme détient-il parmi les « réalités » de la nature ? Ces deux questions se heurtent, se contestent avec force dans la conscience de l’homme.
   Dans la « réponse » de Yahvé à Job, il n’y a plus aucune « accusation » ; ce n’est pas la sentence d’un juge suprême ni une déclaration de culpabilité. Cette « parole de Yahvéc » est dite dans une forme interrogative : « Où étais-tu ?... as-tu commandé ?... peux-tu ?... sais-tu ?... » (Jb 38-39).


Ceins tes reins comme un brave
(Jb 38:3 ; 40:7)

Cette parole « interrogatrice », ce dialogue en tension, « du sein de la tempête », engage Job dans une lutte. Ceindre ses reins signifiait serrer sa tunique à la taille de manière à être à l’aise pour le voyage ou pour le combat. Au peuple d’Israël à l’heure de l’exode de l’Égypte, Mo­ïse ordonne avant de manger la Pâque, d’avoir « les reins ceints, les souliers aux pieds et le bâton à la main » (Exode 12:11).
      Dès lors, ce dialogue peut signifier ceci : Job a ques­tionné Yahvé ! Qu’il se tienne prêt à combattre ! Car au­cune réponse stéréotypée, dogmatique, ne lui sera jamais donnée. Elle surgira sans cesse de ce combat même, au sein de la tempête, c’est-à-dire au cœur des interrogations du monde et de la vie. « Je vais t’interroger et tu m’instruiras » (Jb 38:3). La question de l’existence et du devenir de l’homme n’est pas inscrite dans quelque pré­destination. Désormais, l’homme n’a plus à affronter la transcendance toute puissante d’un « Shaddaï » souve­rain, réclamant la féalité passive d’un homme humilié.
   Le « Yahvé » qui répond maintenant à Job « du sein de la tempête » ne parle ni de sa puissance, ni son « être ». Il n’est pas, non plus, le « Dieu » des « amis de Job », des scribes et des bien-pensants. Il est le Dieu qui existe dans l’acte et l’œuvre du monde, dans une œuvre en devenir. Pour édifier son histoire, l’homme devra dès lors affronter la puissance de vie qui habite le cosmos. Il devra réduire sa contradiction fondamentale. Dans ce « dialogue », l’homme devra « surgir » lui-même et deve­nir à tout moment jusqu’à sa fin.


La liberté créatrice

Quel est ce monde dans lequel Job est appelé à résoudre sa contradiction pour devenir « homme » « comme un brave » ? D’abord, l’homme devra découvrir le cosmos dans l’émerveillement ; aller à la découverte du monde et de sa grandeur, de sa beauté, de son harmonie (Jb 38:4-38). Mais le poète décrit aussi une vie bouillonnante, « sauvage » à travers un défilé majestueux d’animaux qu’aucune main n’a jamais mis sous le joug : le lion à l’affût, les biches en travail et les bouquetins sur les som­mets, l’onagre en liberté dans le désert, le bœuf sauvage, le cheval qu’aucun licol n’a bridé et qui, sans peur « piaffe de joie dans le vallon », l’aigle dans son inex­pugnable repaire… (Jb 39).

   Enfin, à travers deux grands symboles de la mythologie antique, le suprême défi pour l’ultime combat de l’humain est lancé à Job (Jb 40:15-32 - 41:1-26). Le Béhémoth, la Bête ou la Brute, symbolisée par le crocodile, image d’un chaos primitif (parfois aussi de l’Égypte ou du pharaon, cf. Ézéchiel 29:3; 32:2). « Qui donc le saisira ? » (Jb 40:24). Tel est le défi lancé à Job dans son dialogue du sein de la tempête, à Job qui veut prouver son innocence, son humanité et qui attend le « goël » debout. Qui saisira la « Brute » qui toujours en l’homme sommeille et la domptera ? Qui ordonnera le « chaos » sans cesse renais­sant dans le monde et parmi les hommes ?


Dieu... au-delà de Dieu

Désormais, afin de plaider non coupable et devenir sujet libre de son destin, Job devra affronter la puissance d’un monde, d’un cosmos qui n’a encore jamais été domesti­qué. L’homme n’est pas encore « fait ». Il doit trouver sa place dans le cosmos, le connaître et le maîtriser. L’hom­me est toujours en devenir. Ce dialogue de « Yahvé » avec Job du sein de la tempête devient ainsi la prise de conscience de Job de ce surgissement et de ce devenir de l’humain dans le cosmos.
   L’avènement de l’humain ne sera possible qu’au sein du drame et du combat de la liberté créatrice. À ce point-là, à chaque créateur de l’humain, se dressera sur la terre, le « goël vivant » de Job, la voix qui crie justice. Mais, d’abord, le Shaddaï, le Tout-Puissant qui trône au ciel, dans l’en-soi de sa perfection, et qui tue l’homme pour être, doit mourir définitivement pour que l’Homme ad­vienne !
   Mais quand Dieu est mort, Job existe « par la parole de Yahvé », constante interrogation, permanent aiguillon en l’homme pour l’amener à la responsabilité du sujet libre. Ce dialogue en perpétuelle « crise » est la parole qui toujours se forme et transforme, qui devient événement dans le monde et dans l’histoire. Ce « dialogue » produit le surgissement de l’humain, la « naturalisation de l’hom­me » et l’« humanisation de la nature ». La « réponse de Yahvé » à Job témoigne en l’homme et par l’homme de la toute puissance de l’amour de Dieu au-delà de Dieu, par l’homme (Jb 42:1-6).




Publié en décembre 1967




Retour à l'accueil Job et la mort de Dieu Haut de page

tc125000 24/09/2018