ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Pierre CurieLa crise du protestantisme français(Essai d’explication sociologique) |
Conflit et changement social :Peut-on parler d’une « crise » du protestantisme français actuel ? |
Sommaire Conflit et crise Conflit et changement social - Une situation complexe - La double dialectique - Peut-on parler de crise . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
La question se pose donc : ce qu’on appelle aujourd’hui « la crise du protestantisme français », relève-t-il de la dialectique d’évolution (participation conflictuelle) ou de la dialectique de rupture (crise révolutionnaire) ? De l’ensemble des observations précédentes, je serais tenté de dire qu’au sens où ont été définis le conflit et la crise, le changement social dans le protestantisme français n’est pas le résultat d’une crise véritable, d’une « rupture révolutionnaire » par mutation hors de la fluctuance du système culturel protestant. Jean Bauberot, reprenant les analyses de Peter Berger(1), indique que, face à sa « crise », le protestantisme français actuel utilise deux stratégies idéal-typiques : une stratégie d’accommodation (ou d’assimilation), et une stratégie de ghetto. Personnellement, je verrais plutôt une stratégie centrale (mais « centriste » aussi) : une participation conflictuelle (correspondant assez bien à la stratégie d’accommodation) et à ses deux ailes, des phénomènes de ghetto (à la droite) et des phénomènes de marginalisation (à la gauche). Je m’en explique : a – Au centre, la participation conflictuelle, ou la stratégie d’accommodation. Précédemment, j’ai remarqué que cette « stratégie » correspond assez bien au troisième type de conflit décrit par Alain Touraine, et qui a l’avantage de lui trouver des analogies dans la société industrielle actuelle. Peter Berger, dans l’ouvrage cité, écrit à propos de ce type de stratégie : « elles (les institutions religieuses) peuvent s’adapter elles-mêmes à la situation, jouer le jeu du pluralisme, de la libre entreprise religieuse et régler le mieux possible le problème de leur crédibilité en modifiant leur produit pour l’adapter à la demande des consommateurs »(2). Je citerai un exemple récent. Jean-Paul Willaime(3) relève une réflexion d’André Dumas au sujet de la crise du biblisme(4) : « Je conçois l’Église comme communauté productrice et non pas comme solitude propriétaire. Mais ma question centrale demeure : comment distinguer entre cette productivité nécessaire et un subjectivisme arbitraire et menaçant quand quelqu’un, à partir d’un texte biblique, ne produit pas nécessairement la vérité de ce texte ? Car nous sommes menacés par une polysémie arbitraire. Par envie de décongestionner le texte, nous le faisons proliférer en floraisons gratuites. Une vraie productivité c’est ce qui est encadré par des butoirs d’arrêts. Je comparerais volontiers la Bible à un terrain de football. On peut jouer au ballon comme on veut, à la condition de ne pas sortir du terrain ». L’image du jeu de football est-elle tout à fait adéquate ? En effet, est-il exact que la seule condition du jeu soit de demeurer dans les limites du terrain ? N’existe-t-il pas aussi des « règles du jeu » à l’intérieur de ses limites ? Néanmoins, si l’on précise que les « règles du jeu » à l’intérieur de l’espace de productivité du sens expriment la « régulation » d’un système orthodoxe, l’image employée rend compte d’une « plasticité » à l’intérieur de cet espace. Que le texte effectue lui-même son propre contrôle de signification implique donc qu’il est un ensemble pluriel de significations possibles à l’intérieur du « signifiant global » qui sert de « contrôle », de « butoir d’arrêt », de « seuil absolu » au-delà duquel se produit la rupture de sens. Le texte biblique constitue ainsi le « signifiant » d’une « orthodoxie fluctuante ». Nous nous retrouvons bien, là encore, dans une dialectique d’évolution. b – À droite, se situe la stratégie d’intransigeance ou de ghetto. Je cite encore Pierre Berger : « ou bien, elles (les institutions religieuses) refusent de s’adapter elles-mêmes, se retranchent derrière des structures socio-religieuses qu’elles essaieront de maintenir ou qu’elles construiront et elles continueront ainsi à professer autant que possible les anciennes objectivités comme si rien ne s’était passé »(5). À cette place et dans cette stratégie, je situerai les sectes chrétiennes, mais essentiellement tous les groupes fondamentalistes ou intégristes. c – À gauche, je situe des phénomènes de marginalisation, c’est-à-dire des groupes socio-religieux qui demeurent toujours dans la « mouvance culturelle protestante », mais dont l’éloignement par rapport au système de croyances de l’orthodoxie fluctuante est plus ou moins important : par exemple (mais sans dresser ici une échelle de distanciation), le Centre Protestant d’Études et de Documentation, les Centres Protestants de recherche, le Centre Protestant des Colonies de Vacances, la Cimade, le mouvement Jeunes Femmes, Parole et Société, Cité Nouvelle, etc. Un indice formel de cette « marginalisation » apparaît au niveau de débats, plusieurs fois repris, autour du maintien ou non de l’adjectif « protestant » adjoint à ces différents groupes ou mouvements. En parallèle, on peut citer aussi des débats analogues autour du « C » du syndicalisme chrétien, il y a plusieurs années, qui ont donné naissance à la CFDT. Pour illustrer ce phénomène de marginalisation, demeurant dans la mouvance chrétienne (ou protestante), je citerai l’article de fond paru dans le dernier numéro (novembre 1976) de Cité Nouvelle, au sujet de la plateforme du Mouvement des « Chrétiens pour le socialisme ». Il y est dit que l’objectif principal du Mouvement est une critique radicale de l’idéologie religieuse aux trois niveaux de contradiction de la conscience chrétienne : politique, institutionnel, théologique. Je ne relèverai ici que le troisième niveau. À ce propos, l’auteur de l’article déclare : « À un troisième niveau, ce qui est mis en doute, ce ne sont plus seulement les prises de position ni même la structure de l’institution, mais les données fondamentales de la foi transmise et interprétée par l’institution : le « noyau » de la foi ». Ainsi, la contestation, la négativité sont portées au cœur même du système culturel. On se trouve bien à la « gauche » du phénomène précédemment décrit de « participation conflictuelle » ; il s’agit désormais de contester même les « données fondamentales de la foi ». Toutefois, le « seuil absolu » est-il franchi ? Il ne semble pas, puisque l’attitude préconisée est la suivante : « Cette attitude se caractérise, à la fois, par une critique radicale à l’égard de l’idéologie religieuse véhiculée par les églises ou fonctionnant en dehors d’elles, et une investigation rigoureuse et passionnée des textes de l’ancien et du nouveau testament ou de la tradition, tendant à la fois à en manifester les contradictions et à faire apparaître le sens qu’ils peuvent prendre dans les luttes révolutionnaires contemporaines. Ce double mouvement de critique radicale et de réappropriation va généralement de pair avec un comportement politique de contestation révolutionnaire radicale de l’ensemble des rapports sociaux ». Je relève l’aspect de réappropriation du sens des textes bibliques, qu’il convient de rapprocher du texte d’André Dumas cité précédemment. Plus loin, l’auteur de l’article explicite cette réappropriation : « C.P.S. sera un lieu de confrontation et de débat pour les chrétiens engagés dans la lutte pour le socialisme. Cela implique qu’ils y réfléchissent collectivement les rapports et la cohérence entre leur référence chrétienne et leur engagement, qu’ils tentent de poser, dès aujourd’hui, des signes d’une autre référence à Jésus, qu’ils invitent dans leurs rassemblements une symbolique et une liturgie qui manifestent sans mystifier leurs combats révolutionnaires ». Sans doute, la contestation se veut-elle radicale ; toutefois, la réappropriation suggérée ne s’inscrit-elle pas encore dans l’espace culturel chrétien, sinon protestant ? Quand Fernand Belo, dans la Lecture matérialiste de l’Évangile de Marc insiste sur la praxis comme « pratique messianique de Jésus » ; quand les théologies sud-américaines de la révolution se fondent sur le caractère libérateur du message chrétien, ils ne quittent pas l’ambivalence de l’espace culturel du christianisme. Ici, le second terme de la relation biblique « seigneur-serviteur » est connoté : « le seigneur s’est fait serviteur » ; l’incognito de la condition de l’esclave antique opprimé « négativise » l’aspect triomphant du « maître ». La « religiosité populaire » devient le pôle prépondérant du processus dialectique d’« accommodation », de « réappropriation », d’évolution du christianisme, dans le sens où le dit Georges Casalis : « à l’intérieur et tout au long d’une praxis libératrice, il se produit, comme fruit et aliment de la « pratique messianique », une renaissance de la lecture de l’Écriture, de l’écoute de la Parole, de la foi en Jésus, le Libérateur ». Et la « théologie » qui prend alors le caractère clairement affirmé « d’anti-théologie », apparaît comme l’« acte second de réflexion évangélique sur une pratique révolutionnaire ». La marginalité se situe ainsi aux frontières du système culturel : elle est une situation « charnière » ; elle est toujours ambivalente ; elle retient encore quelque chose du système culturel « dominant » (il est, par exemple, difficile d’échapper complètement à la « culture », à une certaine « mentalité protestante ») ; mais elle demeure au niveau du « seuil absolu » ; le groupe social marginal peut basculer dans le ghetto et la sclérose, comme il peut aussi bien déboucher sur l’ouverture et le changement révolutionnaire en effectuant le « saut épistémologique ». La marginalisation est une situation d’attente. Les théologies de la révolution contiennent ce germe de « rupture révolutionnaire », possible mais non nécessaire. À la question « peut-on aujourd’hui parler de crise du protestantisme ? » il est, sans doute, raisonnable de répondre qu’il demeure pour l’essentiel dans une situation d’équilibre conflictuel, et à la limite, dans certains de ses aspects marginaux, dans l’attente d’une nouvelle identité. ______________ 1 Peter Berger :La religion dans la conscience moderne, Le Centurion, 1971, Jean Bauberot : « La crise du Protestantisme », in les Cahiers de Villemétrie, mai-juin 1973. ![]() 2 Peter Berger :La religion dans la conscience moderne, Le Centurion, 1971, p.240. ![]() 3 Jean-Paul Willaime, De la production à la reproduction du sens. ![]() 4 André Dumas, Crise du biblisme, chance de la Bible, Éditions de l’Épi, 1973. ![]() 5 Peter Berger :La religion dans la conscience moderne, Le Centurion, 1971, p.240. ![]() |
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![]() ![]() ![]() ![]() tc322300 : 09/03/2017 |