ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Sous le Christ, Jésus



Recensions, critiques et correspondances







Jean-Louis Schlégel écrit à Ennio Floris
le 12 juin 1987


    Suite aux remarques de vos amis et à mon refus de participer à la soirée du C.P.E.D. autour de votre livre, je ne veux pas me dérober à la promesse faite de vous écrire directement. Cette intervention sera, en tout état de cause, la dernière de ma part, car je ne suis pas désireux de continuer la discussion autour de votre livre. Non qu’il n’en vaille la peine : mais je souhaite que les exégètes patentés prennent le relais et se situent au niveau technique qui est le vôtre. Au demeurant, je serai assez bref. Il est naturellement possible que je me trompe dans l’interprétation de votre livre, touffu et complexe. C’est mon droit de lecteur, et je ne demande qu’à être détrompé.

    Vos amis ont particulièrement contesté que je puisse affirmer simultané­ment que la méthode était peu nouvelle mais féconde, éventuellement, dans son application. Il y a sans doute une part de maladresse dans l’expression, mais sur le fond, je la maintiens, conforté d’ailleurs en cela par des points de vue de personnes compétentes ayant lu votre livre.

    Il me semble que le manque de nouveauté réside en grande partie dans votre point de départ : Sous le Christ, Jésus.
    Même si vous vous démarquez, d’entrée de jeu, de représentants importants de l’exégèse historico-critique, vous ne quittez pas fondamentalement leur terrain et vous rejoignez peu ou prou l’exégèse, bultmanienne ou non, qui s’intéresse au Jésus de l’histoire, que ce soit aux paroles ou aux actes « authentiques » qu’on puisse leur attribuer. D’autres exégètes que Bultmann ont plus fermement traité le « texte » que lui (cf. certains articles du dictionnaire Kittel).
    Il est vrai – et c’est la nouveauté – que vous radicalisez le problème : à juste titre, vous notez que les exégètes croyants présupposent, sans le dire ou en le disant, que « les faits concernant la vie de Jésus sont les "signifiants" du Christ, qui est alors leur signifié ». Mais votre effort est-il autre chose et davantage (ce n’est pas rien, certes, au contraire, c’est intéressant) que de faire table rase du « préjugé de la foi au Christ », que les exégètes croyants adoptent finalement ?

    Ils le font d’ailleurs à la suite des « compositeurs » des Évangiles, qui ont écrit son existence à la lumière de la foi post-pascale. Sauf qu’à vos yeux, si j’ai bien compris, le préjugé croyant des exégètes contemporains catholiques et protestants (laissons Strauss et Renan), qui les amène à une lecture emphatique, sympathique, bienveillante de la figure du Jésus de l’histoire, ce préjugé est au fond inconscient, tandis que, dans votre perspective, les « compositeurs » ou les « rédacteurs » des Évangiles ont systématiquement sinon consciemment redressé l’image de Jésus, la « référence » réelle de l’histoire, dans la perspective de leur foi christique.
    Mais dans ce cas, et dans votre perspective, échappez-vous au dilemme ou à l’alternative d’une lecture en quelque sorte « malveillante », oppositionnelle, rationaliste pour tout dire ?

    Vous répondez non, bien sûr, puisque vous retrouvez la « référence », hors de toute approche par la foi. Il est possible que je n’aie pas bien compris le sens du mot « référence » chez vous. Je l’interprète volontiers par le mot « référent », opposé au « signifiant » et au « signifié » dans la théorie linguistique et renvoyant à la « chose du monde » à laquelle il est fait référence. Mais il est aussi possible ou même probable que je me trompe, dans la mesure où vous prétendez mettre au jour un « code de référence » linguistique ou symbolique, alors que d’évidence, le « référent » du signe est sans code... à moins qu’il ne s’agisse du code infini de la création ou de la nature...
    Mais s’il en va ainsi, compte tenu de votre point de départ qui impliquait cet aboutissement, il ne m’étonne pas du tout que vous tombiez sur le code de la polémique juive ou celsienne anti-chrétienne. Je veux dire que la séparation herméneutique sous le Christ, Jésus n’offre pas des issues en nombre infini : elle peut en offrir plusieurs, certes, mais elles sont inscrites dans les principes heuristiques choisis. Partant d’un point de vue très rationaliste, pouviez-vous aboutir à autre chose qu’à une des innombrables positions critiques déjà trouvées sur et contre le Jésus de l’histoire (des croyants) ? J’en doute.
    En tout cas, et c’est ce que j’ai écrit, le « profil » que vous offrez est extrêmement frappant à cet égard : non qu’il n’y ait strictement rien de nouveau (il y a toujours du nouveau), mais comme par hasard, il rejoint finalement toute une série de critiques juives et païennes contre la figure de Jésus. Je dis la figure, car vous mettez en évidence cela : une figure, mais non le « référent », « absent de l’histoire », pour reprendre une expression de Michel de Certeau.
    D’où une question implicite qui se pose, et que j’avais déjà posée à P. Curie : en fin de compte, interprétez-vous méthodologiquement le texte évangélique à partir de cette précompréhension déjà là (celle que vous dévoilez dans le profil) ou est-elle le résultat de la recherche ? Ne travaillez-vous pas à l’émancipation de la raison ?

    J’en viens à l’application de la méthode : il me semble que l’idée de trouver dans les apories, les effondrements du texte, des marques d’un texte enfoui, ce texte étant celui d’un Jésus non marqué par la foi des « compositeurs », est excellente. Et les applications que vous en faites très finement m’ont réellement intéressé.
    Mon impression et même ma conviction – mais là est peut-être mon erreur – est que la méthode et son point d’application pourraient être mis en chantier sans les présupposés « rationalistes » lourds qui sont les vôtres (et qu’on voit le mieux, à mon sens, dans la psychologisation rationnelle que vous appliquez à Paul : il est beaucoup question de la « conscience », aussi de « vécu de la conscience » – un langage des plus aléatoires). Mais soit.
    Ce qui m’apparaît le plus gênant, c’est comment des résultats hypothétiques emportent finalement l’ensemble du résultat : c’est particulièrement vrai pour l’épisode de « Marie enceinte », où votre analyse, qui est passionnante mais ne peut, pour des raisons intrinsèques, dépasser le stade de l’hypothèse, devient finalement normative pour l’ensemble du « profil ».

    À vrai dire, travaillant à l’émancipation de la raison, votre dessein est sans doute louable, mais il n’échappe pas, ce faisant, à quelque « passion ». Il n’y a rien là de contestable, mais encore faut-il le reconnaître. De là mon regret ou mon voeu concernant une certaine modestie dans l’application de la méthode, qui, à mon sens, pourra être utilisée avec profit par d’autres qui ne partagent pas vos présupposés.
    Avec mes remerciements sincères pour l’œuvre et la discussion qu’elle a offerte – que, pour ma part, je clos ici – ...




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