Sommaire
Conflit et crise
- Trois analyses des conflits
- Tension intra-idéo- logique et orthodoxie fluctuante
. Universaliser le particulier
. Contestation de l’idéologie dominante
- Conflit et crise
- L’orthodoxie fluctuante
Conflit et changement social
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La contestation de l’idéologie dominante :
l’orthodoxie fluctuante
La tension, ainsi décrite à l’intérieur du système culturel protestant, entre un « noyau » de normes et de valeurs intégratrices, et un « halo » à l’entour, délimite l’espace de ce que j’ai appelé « l’orthodoxie fluctuante » du protestantisme français : « Nous appellerons « orthodoxie fluctuante » l’idéologie dominante des protestantismes français, qui évolue dans le champ déterminé d’un système de croyances, dont la « plasticité » permet certaines fluctuations et un certain foisonnement en-deçà d’un certain seuil. En-deçà de ce seuil, l’ « orthodoxie fluctuante » tolère une tension intra-idéologique entre le système régulateur dominant de protection et de conservation et certains éléments rénovateurs, empruntés à d’autres systèmes de valeurs. Au-delà de ce seuil, s’établit la rupture extra-idéologique avec la plasticité du système de l’ « orthodoxie fluctuante » » (1).
Cette définition permet, me semble-t-il, de relier la situation du Protestantisme français actuel à celle de la société globale française, et d’y retrouver analogiquement le même type de conflit. L’institué dans le Protestantisme français est exprimé par le consensus dominant, le « noyau intégrateur » où les normes et les valeurs sont universalisées (principe de totalité, ou système de crédibilité) ; la négativité de l’instituant dans le Protestantisme français (principe d’opposition, ou discontinuité entre le système de crédibilité de la société globale du XX° siècle et le message émis par le protestantisme français actuel, ou encore la transversalité des appartenances et des références) est exprimée à l’intérieur de l’espace culturel protestant par le « halo » des valeurs contestatrices dysfonctionnelles.
Ainsi surgit dans le protestantisme français, à la recherche de son « identité », le troisième type de conflit décrit par Alain Touraine, dans lequel chacun définit son identité par rapport à la totalité de l’univers social et culturel, c’est-à-dire à l’ensemble des représentations culturelles du groupe social défini, en l’occurrence le protestantisme français. C’est bien ce que j’ai appelé la « participation conflictuelle » dans l’espace de l’orthodoxie fluctuante ; et il ne me paraît pas fortuit qu’Alain Touraine ait lui-même désigné ce troisième type de conflit par la même expression à propos du syndicalisme : « Le syndicalisme devient-il un facteur de participation conflictuelle, un élément du fonctionnement normal des sociétés industrielles, sans effet sur les orientations de ces sociétés, quoique exerçant une influence sur leur degré d’intégration et de capacité à traiter leurs inévitables conflits : en un mot, se définit-il de plus en plus complètement par les négociations collectives auxquelles il participe ou, au contraire, devient-il de plus en plus « politique », soucieux non plus seulement de l’exécution ou même de l’organisation du travail, mais bien de sa direction, donc du pouvoir économique et social dans son ensemble » (2).
À ce point, nous touchons à la relation essentielle entre l’« orthodoxie fluctuante » du protestantisme français et la situation de la société globale française. L’orthodoxie fluctuante du protestantisme aurait, en effet, pour fonction de légitimer l’ordre social. « L’idéologie religieuse dominante – ai-je écrit (3) – a en effet pour fonction à la fois le renforcement du groupe religieux par un processus d’intériorisation des normes religieuses, et par légitimation de l’ordre social l’intégration au groupe social et au système social de la société globale. Par ailleurs, la contestation religieuse suscite une inquiétude intellectuelle, qui engendre un besoin d’explication ».
En même temps, la « plasticité » de l’espace culturel protestant n’est pas sans analogie avec celle du cadre culturel de la société globale française. « Après Mai 1968, par exemple, le système social français a intégré un certain nombre d’éléments de la contestation étudiante et ouvrière ; il apparaît à l’évidence aujourd’hui que l’intégration de ces éléments, au lieu de transformer le système social français, l’a, au contraire, renforcé. Il se trouve même que, conjointement, nombre de ces éléments contestataires intégrés ont leurs analogies dans les éléments « rénovateurs » intégrés dans l’orthodoxie fluctuante des protestantismes français » (4).
Jean-Paul Willaime l’a également indiqué dans son analyse (5) : « Comment la présence de la lutte des classes se laisse repérer dans les institutions ecclésiales ? … le rassemblement que l’Église tente d’instituer se heurte aux cloisonnements et séparations institués par ailleurs… Cette reproduction montre que la lutte des classes qui traverse le système social global, traverse par là-même l’espace particulier à chaque institution : l’institution ecclésiale n’échappe pas à la règle ».
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1 Pierre Curie : 3° colloque de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, 1972, pp. 156-157. 
2 Alain Touraine : La conscience ouvrière, p.321. 
3 Pierre Curie : 3° colloque de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, 1972, pp. 159. 
4 Pierre Curie : 3° colloque de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, 1972, pp. 160. 
5 Jean-Paul Willaime, : « Institutions ecclésiales et conflits », 3° Colloque de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg 1972. Crises et mutations institutionnelles dans le Protestantisme français, p. 135. 
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