ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Mon départ

Alto-là



Lettere a Mons. Pietro Bembo, 1560 



EN SARDAIGNE



LE DÉPART

- Rêves et intuitions
- Alto là
- Dans le bateau et dans le
  train


L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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appelons que ma mère s’était refusée à pourvoir à mon trousseau et que je l’avais défiée en me pro­posant de trouver du travail pendant les trois mois après l’école pour suppléer au manque d’argent. Ne sachant rien faire, ce travail ne pouvait être qu’un ser­vice dans un magasin de la ville.

    Je sors donc et je parcours la Via San Giovanni pour me rendre au centre de la ville, la Piazza Marti­ri. Je m’y trouve donc, avec en face Via Manno, pleine de magasins, à gauche Viale Regina Marghe­rita me conduisant aux grands magasins de Via Roma, à droite, au Castello, la ville haute, renfermée par des tours.
    L’affiche d’un magasin de tissus attire mes re­gards : « Alto-là » (Halte-là). Je le connaissais, parce qu’il était si grand qu’il n’aurait pu échapper à la vue des passants. Je m’arrête donc et je m’adresse au magasin comme à une personne : « Tu m’arrê­tes ? Tu as donc quelque chose à me proposer ». J’en­tre donc. Un homme d’une trentaine d’année vient à ma rencontre : « Que viens-tu faire ici, mon gars ? » « Je cherche du travail, pour quelques mois. » « Ah ! Tu arrives à propos, car j’ai besoin d’un garçon. » On se met d’accord sur le travail et le salaire hebdomadaire. Il m’engage tout de suite et je commence mon travail : un peu de nettoyage du ma­ga­sin, quelques courses et des services rapides, à tout faire. C’était l’après-midi.

    Le soir, je rentre à la maison, et je raconte tout à maman, en précisant que je continuerai à assurer les courses pour les besoins de la maison. Contraire­ment à ce que je craignais, elle m’a regardé avec un sourire qui m’a consolé. Silence de sa part, mais au­cu­ne interdiction. J’ai compris alors qu’en principe elle ne s’opposait pas à mon engagement, mais crai­gnait mon caractère, toujours prêt à répondre à toute agression avec les mêmes rapidité et décision avec lesquelles elle avait été portée. Elle craignait pour moi, et à juste titre !
    Chaque semaine je recevais la paie, que je don­nais à ma tante pour la préparation du trousseau, qui devenait donc possible avec le concours de maman, même si elle s’était ouvertement opposée au départ.

    Je quitte « Alto-là » une semaine avant mon dé­part, mais en en étant chassé. Voici la petite histoire.
    Le patron de « Alto-là » était un Sicilien. J’avais remarqué très vite que, pour lui, je n’étais qu’un « sar­degnolo », c’est à dire un des ânes qui peuplent la Sardaigne. Cela me choquait, mais je ne disais rien contre ce mépris par peur de perdre mon em­ploi.
    Tout se passa donc sans incident jusqu’au lundi de la dernière semaine. Ce matin je me rendis au ma­gasin non pour le travail, qui aurait dû être con­duit jusqu’à la fin de la semaine, mais pour lui an­non­cer mon départ. Une fois entré, cependant, au lieu d’an­noncer au patron mon départ, je le salue sans rien dire, comme si j’étais venu pour mon tra­vail. L’idée m’était venue de le taquiner jusqu’à l’in­sulte pour le mépris qu’il manifestait envers moi, en m’appelant souvent « sardegnolo ». Mais, aussitôt que j’entre, il me dit : « " Sardegnolo ", vas au bar en fa­ce et ap­por­te moi un express. Tu leur diras de le mettre sur mon compte ».
    Je sors et je vais au bar, où je trouve Mondo, un de mes frères. Je lui raconte mon propos de faire com­prendre à ce Sicilien qu’il était un salaud à mon égard et à celui des Sardes, en nous appelant « sar­de­gnolo ». Mon frère me demande : « Comment fais-tu pour passer à son égard de la courtoisie à l’agression ? » « J’y réfléchis. » Il y réfléchit lui aus­si, et il me propose de ne pas lui apporter le café, puisqu’il me l’avait ordonné alors que je n’étais plus à son service. Son idée me semble bonne.
    Je retourne au magasin. En me voyant les mains vides, le patron me demande : « Et l’express ? » Et moi, comme si j’avais déjà oublié : « Ah ! L’ex­press... Oui, je suis allé au café et j’étais en train de l’acheter, quand je me suis aperçu qu’on était dans un malentendu. Car j’étais venu pour vous dire que je vous quitte, mon voyage ayant été anticipé ; je ne suis donc plus votre employé. » « Eh bien ! Cela ne t’empêchait pas de commander et de m’apporter l’ex­press. ». « Si, parce que vous m’avez ordonné de vous acheter un café comme chef, comme si moi j’é­tais encore sous vos ordres. Mais je suis désormais libre. Je vous assure que si vous me dites en ce mo­ment comme à un ami : " peux-tu me faire le plaisir de m’apporter un café ? " J’irai tout de suite et je vous apporterai un express bien chaud. » « Qu’est que tu dis ? Te le demander en ami ? Mais tu ou­blies que tu es un " sardegnolo " ! » Je fixe mes re­gards comme une épée dans ses yeux, en lui disant : « Je ne suis pas un " sardegnolo ", un des ânes de la Sardaigne, mais un Sarde, capable de vous cracher à la figure ! ». Furieux, il me saisit au collet et aux épaules me mettant dehors en me donnant un coup de pied au derrière.
    Me relevant avec peine, je me mets debout droit de­vant l’écriteau du magasin, et je dis avec un ton de caporal-chef : « Alto-là ! ». Et je crache sur l’entrée du magasin !




Rédigé de 2009 à 2012




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t502721 : 12/12/2020