NICODÈME
(Quittant la colonne derrière laquelle il se cachait).
– Voici le juge que vous recherchez : le modérateur de vos controverses... dont l’ardeur attise le feu du jugement.
PIERRE
– Tu arrives, vraiment, au moment opportun pour la reprise du dialogue...
THOMAS
– ... Ensuite, le jugement établira la vérité à propos d’un défi qui met en jeu notre vie ou notre mort. L’opposition dialectique qui nous divise ne porte pas sur nos opinions, mais sur la compréhension de l’événement qui est appelé à donner sens à notre existence. Salomé ne requiert pas de votre part le pardon, mais le jugement qui établira la vérité du crime dont elle est accusée, et si votre accusation est recevable. (Se tournant vers Nicodème). Je m’adresse donc à toi, ô Juge, pour que tu rétablisses la vérité qui contribuera à la solution du différend qui nous a divisés.
NICODÈME
– En signe du sérieux de notre engagement, qu’on apporte une pierre, qui expose devant tous la peine qui pourra être infligée si le crime est confirmé.
JACQUES
(Suivi par Pierre, il se rend au jardin, et en revient avec une pierre rouge qu’il dépose sur la table).
– Voici le témoin d’un jugement en bonne et due forme, selon la loi.
NICODÈME
– Je commets Thomas comme défenseur, car il n’est pas accusé mais connaît bien l’accusée. Il sait tout de la thèse qui établit ses convictions. Je demande le consentement des plaignants.
PIERRE, JACQUES, JEAN, MARIA
– Nous donnons notre accord !
NICODÈME
– Nous avons aussi besoin d’un document d’importance : la pièce à conviction qui établit le crime ! À toi, Salomé, de déposer sur la table des pièces à conviction le sindon que tu portes toujours en guise de tunique.
SALOMÉ
– Je veux bien, mais il me sera pénible de m’en priver, car sur mon corps, il me laisse l’impression de participer aux souffrances de Jésus, d’éprouver sur ma peau ses blessures, de ressentir les palpitations de sa chair meurtrie ! (Bruissement chez les frères, petits rires sournois et diffus). Vous avez bien compris, je suis une femme !
(Elle éclate en larmes ! Maria s’approche d’elle, la serre dans ses bras, et l’amène derrière la colonne qui cachait Nicodème. Puis elle revient avec Salomé, habillée comme auparavant, le sindon replié sur le bras gauche. Le prenant dans ses mains, elle le remet à Nicodème).
Voici, juge, la pièce à conviction.
NICODÈME
(S’adressant à tous, mais regardant le sindon).
– Nous sommes donc en règle à l’égard de la Loi et prêts à ouvrir la séance du jugement. Mais... (Il soulève un pan du sindon, l’observe et le tâte de ses doigts). C’est du lin... Mais qu’en dites-vous ? Linceul acheté ? (Il regarde attentivement le tissu). C’est véritablement le sindon, le linceul dans lequel Joseph et moi avons déposé Jésus, sans avoir pu l’oindre puisque le temps nous a manqué.
JEAN
(Dans une grande agitation).
– Est-ce bien le vrai ? C’est incroyable !
PIERRE
– Je l’espérais tant !... Et voilà que Jésus le dépose devant nous !
THOMAS
– Les voleurs ont vraiment de l’à-propos, de nous le livrer au moment opportun
JACQUES
– Mais non ! Ne comprenez-vous pas que c’est un piège qui nous est tendu par les pharisiens, afin de nous détourner de la foi en la résurrection ? Salomé est-elle tombée dans leurs filets, ou est-elle de connivence avec eux ? (Il s’approche de Salomé). Que leur as-tu donné en échange pour l’obtenir de leurs mains ?
SALOMÉ
– J’ai froid !
(Elle s’évanouit. Maria accourt et la prend dans ses bras).
NICODÈME
– La séance est levée ! Prenez un soin jaloux de cette pièce à conviction ! (Il jette sur chacun un sévère regard de reproche). Surtout, ne jetez pas la pierre sur l’accusée avant le prononcé du verdict !
RIDEAU