THOMAS
(Offrant à Pierre un jus de fruits).
– Hier matin, en allant au tombeau, tu as dû rencontrer Salomé, qui en revenait, et qui t’a annoncé que le corps de Jésus avait été volé. Ce vol nous a tous bouleversés. Elle devait le plus tôt possible informer de ma part Joseph qui, propriétaire du tombeau et aussi, dirai-je, responsable légal du corps de Jésus, était le plus concerné de nous tous par ce vol. Nicodème s’est joint à nous, et nous sommes tombés d’accord pour porter plainte en bonne et due forme.
PIERRE
– Porter plainte, dis-tu ?
THOMAS
– Oui ! Cela t’étonne ? Le fait est grave, criminel même : c’est tuer un homme une seconde fois... Ôter un mort d’entre les morts est aussi grave qu’ôter un vivant d’entre les vivants.
PIERRE
– Thomas, je ne le mets pas en doute... J’estime seulement que tu aurais dû m’attendre pour être sûr que ce crime a été vraiment perpétré.
THOMAS
– Maria et Salomé se seraient-elles trompées en annonçant que le tombeau était vide ?
PIERRE
– Non, elles ne se sont pas trompées, et Salomé était convaincue que le corps avait été volé, et Maria qu’il avait été emporté par le jardinier de Joseph, de peur qu’il fût volé pendant la fête de Pâque.
THOMAS
– Alors, nous avons bien fait de porter aussitôt plainte pour vol. Pourquoi aurions-nous dû attendre ?
PIERRE
– Vous saviez pourtant que Jean et moi nous nous étions rendus, aussi, au tombeau après que Maria et Salomé aient découvert l’absence du corps.
THOMAS
– Alors, tu aurais voulu que, le sachant, nous attendions votre retour. Mais pourquoi ?
PIERRE
– Pour nous consulter aussi, puisque la plainte a été portée, je suppose, au nom de tous, et qu’elle nous engage les uns et les autres.
THOMAS
– La plainte a été déposée par Joseph, le propriétaire du tombeau, et celui auquel Pilate a confié le corps de Jésus.
PIERRE
– Il n’est pas exclu, cependant, qu’il l’ait fait au nom de nous tous, qui étions concernés. Mais ce n’est pas la raison essentielle. Étant un acte de Droit, la plainte oblige celui qui la porte à en apporter les preuves. Or nous en étions les véritables témoins.
THOMAS
– Témoins de quoi ?
PIERRE
– Que le corps de Jésus n’était plus dans le tombeau et...
THOMAS
– ... qu’il avait été volé.
PIERRE
– Non ! qu’il est ressuscité.
THOMAS
– Mais, si pour les responsables politiques et judiciaires du peuple, la résurrection n’est pas un fait reconnu par la Loi, tu n’as été témoin de rien.
PIERRE
– Je suis le témoin d’un événement dont les autres n’ont pas eu connaissance...
THOMAS
– Et dont l’existence suppose la négation du vol et, de ce fait, l’arrêt de toute intervention judiciaire de l’État pour un crime qui demeurera impuni puisqu’il est considéré comme un prodige opéré par Dieu.
PIERRE
– Tu exagères, Thomas... Je pourrais, moi aussi, aller plus loin que toi et dire, pour soutenir l’hypothèse d’un vol, que tu négliges de prendre en considération que ce mort est ressuscité, et que ce ressuscité est Celui en qui les hommes devront reconnaître le Sauveur, le Fils de Dieu qui remet les péchés du monde.
THOMAS
– Les responsables politiques et judiciaires pourront bien se moquer de cette résurrection, mais non du viol d’un sépulcre !
PIERRE
– Oui, je comprends. Reconnais cependant que tu me mets dans l’embarras et la contradiction : je balance entre croire et ne pas croire...
THOMAS
– Comme moi ! Si je t’avais attendu, tu m’aurais fait hésiter entre dénoncer ou non un crime, commis contre la personne la plus chère au monde...
PIERRE
– Il y a cependant une différence entre nous deux : Moi, je suis entré dans le tombeau et j’ai vu des signes qui m’ont conduit à croire, tandis que toi, tu n’y es pas entré.
THOMAS
– L’avantage de ne pas avoir vu les signes, c’est qu’ils m’auraient peut-être contraint à ne pas croire !