THOMAS
(Embrassant Maria).
– Pourquoi arrives-tu au moment où je m’en vais ?
MARIA
– Pour rester dans ton cœur...
(Thomas la serre entre ses bras et s’en va. Maria s’avance vers ses frères. Elle est vêtue d’une tunique rouge de velours, ceinture argentée brodée d’or, un voile blanc rehaussé sur la nuque).
PIERRE
(Embrassant Maria)
– On t’attendait, Maria, nous demandant toujours...
MARIA
– ... Si j’ai rencontré le jardinier ? Oui, je l’ai rencontré.
JEAN
– J’en étais sûr ! Nous t’avons laissée en pleurs, et nous te retrouvons maintenant en tenue d’épouse, joyeuse, le regard lumineux.
MARIA
– J’étais en pleurs parce que je pensais que le corps de Jésus avait été volé. Je ne pouvais pas accepter que Jésus mort ait pu subir un crime aussi abominable que celui qui lui avait été infligé de son vivant ! Être rayé d’entre les morts comme il le fut d’entre les vivants !
Il me vint à l’esprit que, si le tombeau se trouvait dans un jardin, il devait y avoir un jardinier, et j’ai pensé que, gardien du corps de Jésus et connaissant les intentions des plus sectaires, celui-ci avait décidé de le cacher afin de prévenir le vol. J’ai voulu l’attendre jusqu’à son retour, mais je me suis mise, moi-même, à chercher le corps au cas où il se serait trouvé dans un lieu secret du jardin !
PIERRE
– Que d’amour soutenait ton désir !
JEAN
– C’est donc au lever du soleil que tu as retrouvé le jardinier ?
MARIA
– Oui, mais auparavant j’ai peiné dans la solitude et dans l’errance. Le sac de parfum était lourd à porter, et j’avais l’impression que Dieu s’opposait à ce que j’accomplisse l’onction. Fatiguée, je me suis étendue aux pieds du grenadier et je fus transportée en esprit dans la maison de Simon, en train d’oindre Jésus. J’entendais les voix des convives reprochant à Jésus de s’être laissé oindre par une prostituée.
JEAN
– Oh ! Combien j’avais souffert pour toi.
MARIA
– J’ai entendu les paroles que Jésus avait prononcées pour ma défense : « Elle a répandu ce parfum sur mon corps, pour ma sépulture ». J’entendais ces paroles si fortement et si distinctement, que j’ai été persuadée que Jésus était présent. Mais en ouvrant les yeux, j’ai vu devant moi, au lieu de Jésus, le jardinier.
« Ô doux ami, lui ai-je dit, si tu as enlevé le corps de mon amour, dis-moi où tu l’as mis ». Et le jardinier m’a répondu de cette voix qui, si souvent, avait attendri mon cœur : « Maria ! » ! Je me suis jetée à ses pieds, cherchant à le serrer entre mes bras, mais il m’a répondu : « Ne me touche pas, car je dois aller chez mon Père ». Oui, j’ai rencontré le jardinier, mais c’était pourtant Jésus qui me parlait !
Avec Salomé, qui était venue à ma rencontre, nous avons brûlé les parfums, en sacrifice d’action de grâce sur le lieu où Jésus avait disparu !
< (En se tournant vers Pierre et Jean, et en les voyant comme hors d’eux- mêmes).
M’avez-vous bien entendue ?
PIERRE
(Comme se détournant d’une vision )
– Oui, Maria, je t’ai entendue. Ton expérience m’a tellement frappé que je me suis senti pris dans mes pensées, comme jamais dans mon existence. J’ai remarqué que Jésus t’est apparu non de l’extérieur, mais de l’intérieur de toi-même. Jésus occupait le dedans de toi-même... Sa mort s’était comme éclipsée de ton esprit. Tu le recherchais hors de toi-même sans le trouver ; Tu tournais en rond dans le jardin, comme dans le tombeau !
Alors, tu es remontée dans tes souvenirs pour le retrouver dans vos rencontres, pour entendre à nouveau ses paroles, et laisser sa voix t’émouvoir. Et il t’est apparu, au milieu des souvenirs conservés dans ton cœur. Tu as fait l’expérience qu’il venait à toi de l’extérieur de toi-même, alors qu’il surgissait du plus profond de toi-même !
MARIA
– Tu m’as bien comprise, Pierre. Jésus est en relation avec moi dans la double dimension de mon être.
PIERRE
– En cela, tu as eu une grande influence sur moi. Comme toi, je me trouvais à l’ombre de la mort de Jésus, mais à la différence de toi qui étais à sa recherche, moi, par peur et par lâcheté, je cherchais à l’oublier, jusqu’à renier que j’avais été l’un de ses disciples, à vouloir retourner à mon ancien métier de pêcheur de poissons, et non de pêcheur d’hommes ! Mais Jésus est venu à moi, de cet extérieur de moi-même où je l’avais rejeté. De toi, j’ai appris que cet extérieur était l’abîme de moi-même, parvenu aux limites de l’oubli.
(Il couvre son visage de ses mains et pleure).
JEAN
– Pour moi, je n’ai pas connu d’éclipse, parce que de l’ombre de sa mort a jailli dans mon esprit l’éclat de sa résurrection !
(On entend du bruit venant du jardin, et des voix).