JEAN
(Venant du jardin).
– Bonjour, frères.
PIERRE
– Bonjour, Jean ! Tu arrives à propos pour m’aider à convaincre un homme vraiment « lent à croire » (Il lui indique Thomas).
THOMAS
– Oui, lent à croire à une parole qui ne demeure que... parole.
PIERRE
(S’adressant à Jean).
– Mais, cette fois, il a des excuses, car je ne lui ai pas encore dit quels sont les signes qui nous ont poussés à croire que Jésus est ressuscité.
THOMAS
(Avec une attitude teintée d’ironie).
– Ah oui ! C’est bien que tu sois venu. Ensemble, vous serez à même de me faire comprendre ces signes.
JEAN
(Il intervient promptement, car Pierre hésite).
– Pierre a trouvé le tombeau vide, mais les bandelettes à terre.
(homas reste muet, dans une attitude d’attente, suivie par des gestes).
PIERRE
– Si elles étaient à terre, c’est que quelqu’un les y avait mises, après en avoir libéré le corps de Jésus, mais qui ? Ce n’est pas un voleur : il aurait tout emporté. C’est Jésus en personne !
JEAN
– D’autant que, de mon côté, j’ai retrouvé le suaire roulé, posé au sommet de la dalle...
THOMAS
– Résumons-nous ! Réveillé du sommeil de la mort, Jésus a ôté le suaire, l’a plié et l’a placé à côté ; ensuite, il a défait les bandelettes et, je suppose, s’est enduit d’aromates... Il a dû d’abord se défaire du sindon, le linceul qui l’enveloppait, n’est-ce pas ? Oh ! De combien de choses infimes doit s’entourer celui qui retourne chez les vivants ! Vous avez dû voir ce drap, traînant à terre ou froissé dans un coin, ou au bord de la dalle, vide désormais !
PIERRE
– Non ! Nous ne l’avons pas vu. C’est vraiment étonnant !
JEAN
– Peut-être Dieu nous a-t-il aveuglés pour que nous ne nous en rendions pas compte !
THOMAS
(Avec ironie).
– Étrange ! Dieu vous a aveuglés pour que vous ne puissiez pas apercevoir le linceul ; sinon, vous auriez compris que Jésus n’avait pas été enlevé par des voleurs, mais qu’il s’était libéré lui-même des liens de la mort ! Pourquoi vous aurait-il aveuglés ? Cela m’intrigue ! (Il fait semblant de réfléchir en se lissant la barbe).
Puisque, de sa passion à sa mort, il fut accablé par une grande tristesse, en ressuscitant, il fut joyeux jusqu’à en rire, et il vous a aveuglés pour que vous ne puissiez pas voir l’immense signe de sa résurrection et que vous ne soyez intrigués que par des futilités ! Il est ressuscité dans un éclat de rire !
PIERRE
– Thomas, je t’en prie, cesse tes balivernes ! Tu n’es pas au cirque, pour te laisser emporter par des facéties !
THOMAS
– Allons ! Laissons cela ! Reconnaissons que Jésus est sorti du tombeau enveloppé dans son linceul. Mais restons vigilants pour ne pas le prendre pour un spectre ou un épouvantail quand il nous apparaîtra.
JEAN
– Thomas, abandonne ton humour, qui est hors saison, et sois sérieux. Reconnaissons que, puisque ce linceul était bien là et que nous en sommes témoins, c’est qu’il y a une énigme... Oui, un signe que Jésus est bien ressuscité.
THOMAS
– Vous voulez que je sois sérieux, eh bien, puisque vous ne l’avez pas vu, ce linceul n’était pas là ! Et ainsi, son absence est le signe que Jésus n’est pas ressuscité, mais que des voleurs l’ont emporté, enveloppé dans le sindon.
PIERRE
– Alors, pourquoi les voleurs n’ont-ils pas emporté aussi les bandelettes ?
THOMAS
– Parce qu’elles raidissaient les jambes du corps, en sorte qu’il était difficile de l’emporter.
JEAN
– Et pour quel motif, à ton avis, auraient-ils laissé le suaire ?
THOMAS
– Qu’en savons-nous ? Nous ne connaissons pas les voleurs, ni leurs complices, ni leurs mandataires, et nous ignorons leurs intérêts.
PIERRE
– Mais tu ne peux pas ignorer ces signes.
THOMAS
– Je ne les ignore pas, et je ne les nie pas non plus. Je cherche seulement à bien les définir. Je dirai que, dans le tombeau, vous avez trouvé des traces que vous avez interprétées comme des signes. Ces traces ont été laissées par les voleurs, qui ont dû ôter son suaire et délier ses bandelettes pour faciliter le transport du cadavre, et l’ont enveloppé enfin dans le linceul. Mais puisque votre esprit est obsédé par la résurrection, j’ajouterai que ces traces se présentent comme le signe de sa réalité. Illusion, direz-vous ? Non ! Mais interprétation possible ! L’explication du phénomène par le vol vaut celle par la résurrection.
JEAN
– Mais ces signes ont-ils de la valeur pour toi ?
THOMAS
– Comme le mot l’indique, ils ont une signification, mais pas une valeur démonstrative. C’est pourquoi chercher à les exploiter comme indices ou effets de la résurrection est fallacieux. Naturellement, on ne peut pas éviter d’être interpellés par eux, mais nous ne devons pas les exploiter comme les preuves d’une argumentation.
Cessons, frères, de tirer des conclusions de ces faits sans les soumettre à une analyse. Et surtout, de sonder la volonté de Dieu sur une résurrection de Jésus dont nous n’avons aucune preuve et, pour le moment, aucun indice. L’événement, certes, nous émeut, motive notre existence et excite notre imagination, en sorte que nous sommes enclins à le croire. Je le comprends. Mais soyez attentifs aux pièges de l’imagination qui vous pousse à faire de Dieu un prestidigitateur, qui vous incite à déclarer « résurrection » ce qui n’est qu’un acte criminel de violation de sépulture et de vol d’un cadavre.
PIERRE
– Oui, je suis d’accord pour une rencontre en vue de cette étude. Mais n’oublions pas que Jésus ne nous laissera pas dans une vaine attente. Il nous apparaîtra à nous aussi, comme à Maria, pour se manifester dans sa résurrection.
THOMAS
– Comme vous, je suis dans l’attente, prêt à recevoir la visite du ressuscité, comme aussi à nous réunir pour approfondir ce problème de la résurrection... Ce qui ne doit pas m’interdire de poursuivre la plainte déposée contre le vol. En effet, je dois rencontrer aujourd’hui même Nicodème pour connaître la suite de la procédure judiciaire. Il est urgent de savoir si le procurateur a accepté ou non la plainte, et s’il a fixé une date pour l’interrogatoire. Il ne me reste donc, chers frères, qu’à vous dire au revoir... Que notre divergence ne rompe pas notre fraternité ! Il se peut que, ce soir même, nous nous revoyons.
(Il s’en va, en passant par le jardin. Mais au moment où il est en train d’ouvrir, on frappe à la porte.)