THOMAS
– Salut, frères !
(s’adressant à Nicodème) Voyant que tu n’étais pas chez toi, je me suis rendu chez
Joseph, qui m’a fait part de la nouvelle situation de la plainte que nous avons portée contre X pour le vol du corps de
Jésus. Je suis heureux de t’avoir trouvé.
JACQUES
– Je me suis efforcé de rester calme, dans l’attente des éclaircissements au sujet de cette plainte, mais j’avoue que celle-ci me trouble profondément, parce qu’elle est en contradiction avec la foi en la résurrection de Jésus.
THOMAS
– Elle était nécessaire, Jacques. Maria a trouvé le tombeau vide et, logiquement, elle a pensé que le corps avait été volé ou emporté. Et puisqu’il s’agit du vol du corps, dont la propriété revient à Joseph, à qui le Procurateur l’avait donné, il fallait juridiquement l’en informer afin qu’il s’en charge lui-même.
JACQUES
– Il n’en reste pas moins que nous, qui savons que le corps n’a pas été volé mais repris par Jésus lui-même dans sa résurrection, nous ne pouvons pas être les mandataires de cette plainte. Nous sommes donc dans une situation de contradiction aussi bien logique que juridique et morale...
THOMAS
– ... Si l’on croit que Jésus est ressuscité à partir du tombeau vide ! Mais si l’on reconnaît, comme tout le monde, que le tombeau était vide parce que le corps de Jésus a été volé, et qu’on croit que Jésus est ressuscité pour d’autres raisons que le tombeau vide, la contradiction disparaît. La contradiction vient du fait qu’on prend comme preuve de la résurrection un phénomène qui est à l’opposé de la résurrection : le vol du corps de Jésus
NICODÈME
– Pour éviter cette confusion, il faut distinguer la résurrection et le tombeau vide. Pour croire en la résurrection de Jésus, on doit faire appel à des motivations concernant Jésus, sa mission prophétique, et à la certitude de sa personne christique selon les Écritures. Vous refusez le fait du vol qui empêche, selon vous, de croire que Jésus est ressuscité. Non, frères ! Si Jésus doit ressusciter, il ressuscitera même si les voleurs se sont emparés de son corps. Il ressuscitera sur le chemin, sur la fosse où on l’a jeté, sur le bûcher où on l’a réduit en cendres.
MARIA
– Et vers quoi, je le redemande, dois-je me tourner pour découvrir les signes de cette résurrection ?
CLÉOPAS
– Permets-moi d’intervenir, Maria, pour rapporter ce que Jésus, dans sa vision, nous a fait comprendre, ce que nous devons faire pour le retrouver. Commençant par Moïse et par tous les prophètes, il nous expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.
NICODÈME
– Oui, c’est seulement par les Écritures que nous pouvons reconnaître si ses paroles et ses actions ont été conformes à celles du Christ, qu’on pourra croire qu’il en est la réalisation et l’incarnation. Mais avant de nous tourner vers les Écritures, il faut que nous nous réunissions pour sortir de nos contradictions, et comprendre quelles erreurs et quelles utopies nous égarent.
Tous
– Nous sommes d’accord !
NICODÈME
– Il est temps que je vous donne les nouvelles de l’enquête. Thomas est là et nous avons terminé notre recherche par une décision très importante. Les grands pontifes et les sacrificateurs, comme aussi, je crois, les scribes, nous ont accusés... d’avoir volé le corps de Jésus !
Tous
– Ils sont fous ! C’est inouï ! Doublement assassins !
JACQUES
– Comment peuvent-ils nous accuser du vol, quand nous croyons qu’il est ressuscité ?
THOMAS
– Ils nous accusent de l’avoir volé précisément dans le but de faire croire qu’il est ressuscité. L’absence du corps en serait la preuve.
JACQUES
– Jésus avait raison de les accuser d’être une race de vipères !
NICODÈME
– Ils ont retourné ainsi contre nous l’accusation du vol, pour inscrire en faux notre foi en la résurrection.
PIERRE
– Et ils empêchent que nous donnions à Jésus une sépulture rituelle, pour qu’il soit enseveli comme un maudit, un séducteur, un blasphémateur et un faux prophète.
MARIA
– J’en avais eu l’intuition, comme je l’ai dit tout à l’heure.
THOMAS
– Cependant, je ne renonce pas à croire que les responsables du Judaïsme, malgré l’accusation qu’ils nous portent, ne sont pas les auteurs du vol qui doivent plutôt être recherchés dans les milieux fanatiques, du Judaïsme comme des disciples de Jésus.
NICODÈME
– Tout cela est très possible... Quant à nous, il faut savoir que nous serons interpellés par la police du Procurateur, pour qui toute référence à la résurrection de Jésus est impossible, d’abord parce qu’elle est reconnue comme un crime, dont nous sommes accusés ; ensuite, parce qu’elle est étrangère aux catégories de la Justice. Nous sommes coupables, frères, et comme tels, il faut bien connaître les fautes dont nous sommes accusés, ainsi que nos adversaires. Mais l’interrogatoire sera très pénible et la solution du conflit me paraît douteuse.
JACQUES
– Mais pourquoi ? Si nous sommes interrogés, nous pourrons affirmer que nous avons vraiment trouvé le tombeau vide. Quant à l’issue de l’enquête, nous sommes tranquilles car rien ne prouvera que Jésus se trouve encore parmi les morts.
NICODÈME
– Tu es optimiste, Jacques, parce que tu pars de la certitude que Jésus est ressuscité, mais les enquêteurs, comme nous l’avons dit, ne reconnaissent pas la résurrection. Dans cette optique, le tombeau vide ne pourra être attribué qu’à un vol... D’ailleurs, Salomé et Maria le pensaient, elles aussi.
MARIA
– Oui, au début, quand nous avons découvert que le tombeau était vide.
THOMAS
– Tu seras la première à être interrogée, Maria. J’imagine ta peine ! Les enquêteurs pourront t’accuser d’avoir fomenté un coup en parlant d’aromates, pour dissimuler le vol du corps.
MARIA
– Merci beaucoup, Thomas, je vais y réfléchir... Je me rends compte que la situation de témoin sera très délicate, difficile et pénible, mais je crois que Jésus m’aidera à donner les bonnes réponses.
NICODÈME
– Pardonnez–moi, frères, si je poursuis mon argumentation. Au cas où les enquêteurs n’arriveraient pas à découvrir les responsables du vol, je crains qu’ils cessent les interrogatoires pour rechercher avec acharnement le corps de Jésus, jusqu’à ce qu’ils le trouvent.
PIERRE
– Penses-tu qu’ils le trouveront ?
NICODÈME
– Si la police le veut, elle trouvera le corps dans un cadavre qui pourra ressembler à celui de Jésus. À ce moment-là, tout deviendra pénible, difficile et compliqué.
JACQUES
– Il est impossible qu’ils parviennent à trouver ces signes.
NICODÈME
– Selon ta foi, Jacques, non selon l’ordre naturel de notre connaissance.
JACQUES
– Mais quels pourraient être ces signes ?
NICODÈME
– Par exemple, des traces du sang de Jésus, ou le linge porté par le cadavre, ou la découverte des restes du corps, dans le cas où il aurait été découpé ou brûlé.
PIERRE
– Mais tout cela est impossible, voyons ! puisqu’il est ressuscité !
NICODÈME
– Au fur et à mesure que je vous entends, je me persuade qu’il vous est vraiment difficile de parvenir à vous détacher d’une conception, primaire dirai-je, de la résurrection. En effet, vous la reliez avant tout à un prodige, alors qu’au contraire, tout le monde pense qu’il ne s’agit que du vol d’un cadavre. De plus, vous ne pouvez définir la résurrection que comme la reprise du corps que le défunt avait avant sa mort.
Mais, frères, dans les apparitions que nous avons examinées, est-ce que nous pouvons dire que Jésus avait un corps ? Et s’il en avait un, était-ce vraiment celui qu’il possédait de son vivant ? Un corps qui n’est plus sujet à la pesanteur, qui se déplace à la vitesse de l’éclair, enfin qui apparaît comme lui-même et comme un autre, qui n’est à son aise ni au milieu des vivants, ni au milieu des morts ou des immortels... Mes frères, le corps d’un homme ne peut pas être celui d’un ressuscité sans passer à nouveau par les mains du Créateur, pour être refait de fond en comble.
THOMAS
(Se tournant vers Maria).
– Ainsi, quand tu as voulu le toucher, il s’est envolé au ciel !
NICODÈME
– Il est absolument nécessaire, je le répète, que nous nous réunissions après l’enquête sur le vol, afin de réfléchir à ces questions qui nous angoissent et nous empêchent de résoudre ce problème de la résurrection.
PIERRE
(Interrogeant les amis des yeux).
– Sommes-nous tous d’accord ?
THOMAS
– Auparavant, préparons-nous à recevoir une douche froide pour notre participation à l’enquête sur le vol du corps de notre maître !
RIDEAU