Entrées dans le jardin, Maria et Salomé s’asseyent sur un banc de pierre. Elles sont fatiguées et soucieuses.
SALOMÉ
(Regardant autour).
– C’est le jardin de Joseph, n’est-ce pas ?
MARIA
– Oui, chérie.
SALOMÉ
– Il semble impossible que ce jardin recèle un tombeau, tant il est beau !
MARIA
– Et pourtant, Joseph a construit le jardin pour y placer ce tombeau, et s’assurer ainsi une sépulture après sa mort. Il l’a creusé dans le rocher, comme pour y établir les fondements d’un monument ! (En l’indiquant du doigt). Tu le vois ? Là bas, légèrement à gauche... tapissé de jasmin !
SALOMÉ
– Fantastique ! (Sérieuse). Joseph était disciple de Jésus en secret, mais il s’est racheté, en lui a offrant publiquement pour sépulture son propre tombeau.
MARIA
– Par ce don, il a aussi voulu contester la condamnation de Jésus à la croix, comme un homme maudit. Ainsi, Jésus reçoit la sépulture d’un fils d’Abraham. Ce tombeau, qui est celui d’un membre du Sanhédrin, le fait reconnaître implicitement comme un chef du peuple juif.
SALOMÉ
– L’a-t-il prêté, ou l’a-t-il donné à jamais ?
MARIA
– Les circonstances peuvent faire croire qu’il l’a prêté car, Jésus étant mort au déclin du jour, heure où il était interdit, la veille de la Pâque, de laisser le corps d’un mort hors de la tombe, Joseph ne pouvait qu’offrir le sien, en attendant de faire construire un nouveau tombeau. Mais je pense qu’il le laissera là à jamais ; d’autant, qu’il n’a pas accompli l’onction lui-même, se contentant d’envelopper le corps dans un linceul, et qu’il nous a confié la tâche de l’oindre.
SALOMÉ
– Sans doute creusera-t-il pour lui-même un nouveau tombeau, pour le côtoyer dans le séjour des morts.
MARIA
– J’en doute : tout laisse croire qu’il voudra être enseveli auprès de lui dans le même tombeau !
SALOMÉ
– Pour rester avec lui dans la mort, n’ayant pu l’être de son vivant.
MARIA
– Par amour, certes ! Mais aussi parce que, sachant que les chefs des Juifs ne voulaient pas qu’il reçut une sépulture après avoir été pendu au bois, il a voulu qu’il ne soit pas jeté dans la fosse commune des maudits.
SALOMÉ
– Il a devancé ses pairs, car en mettant le corps de Jésus dans son propre tombeau, il l’a soustrait à ceux qui auraient voulu le voler...
MARIA
– Je crains cependant que le corps de Jésus n’échappe pas à leur querelle, si ses adversaires cherchent à faire échouer le dessein de Joseph. C’est pourquoi nous sommes venues très tôt ce matin oindre son corps, afin qu’ils sachent qu’ils porteraient atteinte à un interdit, en essayant de voler le corps de Jésus !
SALOMÉ
– Tu as du courage, Maria ! Mais, pour que tu puisses réaliser cette onction, il faut que...
MARIA
– ...quelqu’un vienne nous ouvrir le tombeau. J’ai confiance en Joseph, qui a pensé aussi à nous remettre les bandelettes... Quelqu’un doit donc venir... Sans doute son jardinier.
SALOMÉ
– Et si le jardiner oublie ? (Troublée, Maria se couvre le visage de ses mains). Pardonne-moi, Maria ! J’ai insisté, parce que moi aussi j’ai peur... nous sommes seules... je ne vois personne ici qui puisse rouler pour nous cette lourde pierre. Et si quelqu’un vient, qui nous dit que ce n’est pas un voleur ?
MARIA
– Tu doutes, Salomé, et ne fais qu’augmenter mes craintes. (Avec assurance). Je pense que Joseph aussi a douté, et qu’il a chargé le jardinier, et personne d’autre que lui, de m’ouvrir le tombeau... (S’apercevant que Salomé tourne ses regards vers le tombeau). Pourquoi regardes-tu là-bas ?
SALOMÉ
– N’as-tu pas entendu comme un bruissement dans les branches, venant du tombeau ? Si c’était Jésus ?
MARIA
(Avec indifférence).
– Oh ! C’est peut-être le jardinier. (Elle regarde aussi. Une touffe de laine court sur l’herbe, comme poussée par le vent). Ah ! c’est un lapin !
SALOMÉ
(Suivant elle aussi le lapin du regard).
– Tu veux voir les choses en petit ! Et pourtant... quelqu’un vient dans le jardin... Tu vois ? Ne serait-ce pas le jardinier ?
MARIA
(Sursautant).
– Oui, tu as raison !... Non !... C’est une femme voilée... âgée...
SALOMÉ
(Elle se met derrière elle, appuyant sa tête sur ses épaules).
– C’est Marie, la mère de Jésus... Oh, ça ! Allons à sa rencontre !
MARIA
– Non, Salomé, ce serait trop troublant et éprouvant, pour nous comme pour elle. Cachons-nous au contraire derrière le buisson, afin qu’elle ne nous voie pas...
(Elles se cachent derrière le buisson).