MARIA
– Puis-je suivre Pierre et Jean dans leur foi ? Étrange ! Les mêmes faits peuvent être racontés différemment. Pour Pierre, avoir trouvé à terre les bandelettes signifie que Jésus s’est délié lui-même. Pourtant, Joseph ne lui avait pas passé de liens ! J’ai bien vu qu’après avoir détaché de la croix le corps de Jésus, il l’a enveloppé dans un linceul, puis déposé dans le tombeau. Si on a trouvé les bandelettes à terre, c’est qu’il a été lié après, avant d’être couché dans le tombeau. Mais son corps a-t-il été oint ?
Pourquoi suis-je soucieuse de l’onction plutôt que du corps de Jésus ? Peut-être que l’onction me donnerait la possibilité de m’unir à lui, même mort, et de revivre par elle, par amour ! Je suis dans la confusion la plus totale : je l’ai oint pour sa mort, de son vivant ; mort, je veux l’oindre pour sa vie !
(Elle s’assied sur une planche, repassant tous ses souvenirs).
Oh ! Ma première rencontre avec Jésus, chez Simon le lépreux ! En entrant dans sa maison, je serrais fortement dans ma main le flacon pour que le parfum ne s’évapore pas, mais avant même de l’ouvrir, le parfum m’enveloppa comme un voile de grâce et je me suis sentie pure, vierge, en désir d’amour. Je n’avais plus honte de moi... Je me suis jetée à ses pieds, j’ai brisé le verre et j’ai versé mon arôme qui s’est répandu sur sa peau, doucement, comme la rosée sur une feuille d’acanthe... Et j’ai osé oindre ses cheveux en les essuyant avec le miens...
(En s’adressant à Jésus, comme s’il était présent).
J’entends encore les paroles que tu disais à ceux qui murmuraient parce que tu avais permis à une prostituée de te caresser : « Laissez cette femme. Elle a accompli mon onction pour ma sépulture. Ses péchés ont été pardonnés. » Je suis venue, Jésus, à ton sépulcre, avec le même amour et les mêmes arômes et les mêmes mains blanches immaculées ! Pourquoi ne m’as-tu pas attendue ? Que voulais-tu dire : que je t’oignais pour ta sépulture, ou comme prélude de l’onction que je devrais donner à ta sépulture ?
(Elle se lève et regarde éperdument. Une image d’homme lui apparaît).
Ah ! Te voilà... Tu t’approches de moi ! Ah ! non, ce n’est pas toi, mais le jardinier. Ô homme aimable, je te remercie d’avoir roulé la pierre pour nous ! Pourtant, nous n’avons pas pu oindre le corps. Si tu l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je pourrai accomplir l’onction.
Le jardinier
– Ô femme, tu ne dois pas oindre le corps. (Maria le regarde, étonnée). As-tu oublié ce que Jésus a dit : « Elle a accompli l’onction pour ma sépulture » ? Tu as déjà oint celui que tu aimes !
MARIA
– Que dois-je faire de mes parfums ?
Le jardinier
– Maria !
MARIA
(Se jetant à ses pieds et tendant les bras pour les toucher).
– Rabboni !
Le jardinier
– Ne cherche pas à me toucher, Maria, car tu ne pourrais pas, puisque je vais au Père... Tu me suivras. (Il disparaît).
MARIA
– Quelle sotte j’ai été ! Ce ne sont pas les voleurs qui ont délié les bandelettes de Jésus, mais Jésus lui-même qui s’est libéré des liens de la mort ! Mais j’ai oublié de lui donner mes parfums, pour que les anges les répandent sur sa tête dès que Dieu l’aura déclaré Christ. Mais je précéderai les anges en les brûlant en sacrifice d’action de grâce ! (Elle s’apprête à retirer les parfums de son sac).