ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa résurrection de JésusFiction dramatique en huit actes |
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SCÈNE DEUX(Les mêmes)– Étudions d’abord la naissance de Jésus. Rappelons-nous que, selon le texte que nous avons lu, le Serviteur de Dieu n’est pas une personne – quoique représenté comme tel – mais le peuple élu, pas comme l’ensemble des personnes qui le constituent mais comme leur support : la génération d’Abraham qui, à la fois, sous-tend la vie des individus et la soutient... – À cet égard Jésus, étant né d’une vierge trouvée enceinte par le Saint Esprit, m’apparaît pleinement correspondre, dès sa naissance, au Serviteur de l’Éternel. (Contenant mal son rire). – Pardonnez-moi, mais mon rire éclate malgré moi, parce que cette affirmation présente un fait ordinaire comme un phénomène miraculeux qui, par surcroît, ne correspond pas aux données des Écritures. Il est certes normal qu’on puisse trouver une fille enceinte en son état de virginité, mais il est incompréhensible d’affirmer qu’on puisse la « trouver enceinte du Saint Esprit ». Quels signes la grossesse de la fille devrait-elle présenter pour être reconnue comme venant du Saint Esprit ? C’est une affirmation qui relève de l’envoûtement d’une croyance religieuse, ou d’une aliénation. Il serait étrange que ce recours à l’Esprit de Dieu soit tout à fait absent de la liste des cas que la Loi allègue pour décharger la femme de l’accusation de prostitution... D’ailleurs, vous ne trouverez jamais dans les Écritures qu’une femme soit enceinte du Saint Esprit ! – Quoi ? Vous êtes scandalisés ? Dieu n’aurait-il pas alors rendu fécondes les femmes de nos ancêtres, comme Sara ou Rachel ? – Ne confondons pas l’intervention de Dieu pour rendre féconde une femme, avec une action divine qui serait un acte sexuel ou qui le remplacerait. La fécondation n’implique pas une sexualité de la part de Dieu. N’oublions pas que cette vierge, enceinte du Saint Esprit, enfanterait un fils de Dieu, de la même nature qu’elle et que l’Esprit qui l’engendre, donc que Dieu. – Vous oubliez que, selon les Écritures, Dieu agit par la médiation de ses anges, qui apparaissent comme étant des hommes en chair et en os, qui marchent, mangent, viennent et s’en vont, parlent et agissent. Pensez, par exemple, à l’apparition de Dieu à Abraham à Mamré, dans la personne de deux ou trois hommes. Or Dieu a bien pu charger un ange de s’unir à une vierge en vue de la naissance d’un enfant, qu’il envoie pour accomplir le Christ ! (Réaction violente, signes de dégoût et de scandale de Noé et Iaiou). – Pourquoi vous scandaliser, quand celui qui s’unit physiquement à la femme n’est pas, dans ce cas, Dieu, mais un homme ? – Là n’est pas la question. Les Écritures ne parlent jamais de ça : c’est une pensée païenne, étrangère à la foi des pères et des prophètes. – Peut-être parce que les Écritures annoncent le Christ, sans jamais expliquer la façon dont il vient au monde. Or il vient en homme, fils d’une femme et de Dieu. Mon recours à l’action d’un ange est la seule susceptible d’expliquer cette double exigence de la venue du Christ et comme fils d’une femme et comme fils de Dieu. – Mettons de côté cette question si complexe, pour nous interroger sur la jeune fille qui a su mener sa grossesse à terme, malgré la situation tragique. – Je sais que son époux l’a abandonnée, sans cependant la dénoncer. Marie a dû quitter Nazareth pour se réfugier chez des parents, dans les montagnes de Judée. Elle a accouché de son enfant toute seule et l’a exposé dans une bergerie. Ceux qui l’y ont trouvé l’ont accueilli comme un fils de Dieu, en lui donnant le nom de Jésus : « Dieu est son sauveur ». – Il est étonnant que personne n’ait accusé Marie de prostitution, on l’a plutôt considérée comme tombée dans un piège, trop jeune pour comprendre les dangers qu’une jeune fille pouvait rencontrer, si seule, dans son état de virginité ! – Et toi, Thomas, penses-tu comme Pierre ? – J’estime que le peuple avait raison : elle est tombée dans un piège. Le bruit court qu’un jeune du voisinage a profité de l’absence de son époux pour coucher avec elle. L’héroïsme de cette jeune femme pour porter sa grossesse, accoucher de l’enfant et le sauver de la mort s’inscrit dans le mystère qui recouvre l’existence de l’enfant, mais avant tout dans son héroïsme de mère ! Sa souffrance pour la vie de l’enfant prolonge en elle jusqu’à la mort les douleurs de l’accouchement. – Et si nous parlions du prophète ? Tu dis avoir connu Jésus depuis longtemps, mais quand précisément ? – Chez le Baptiste, chez qui nous étions allés, chacun de notre côté, pour nous faire baptiser, comme beaucoup d’autres. – Pourquoi Jésus cherchait-il à se faire baptiser ? – Pour être purifié. – De quoi ? – De la souillure laissée sur lui par l’illégitimité de sa naissance, Jésus étant, comme on vient de le dire, né d’une vierge trouvée enceinte. – S’agissant d’une tache d’imperfection, et non de péché, il est normal que Jésus ait cherché à se purifier, sans en avoir aucune honte. – Au contraire, Pierre, car l’illégitimité, étant liée à un péché qui ne revient pas à l’enfant ni à la mère, mais certainement à celui qui a mis celle-ci enceinte, ne peut pas n’être qu’une tache honteuse d’impureté. La personne qui en est souillée est tolérée, si elle accepte de vivre soumise à la peine fixée par la Loi. – Tout pécheur est soumis à une peine proportionnée à son péché. Mais dans le cas de l’illégitimité, la prescription de la Loi est troublante, puisqu’elle impose à un homme, dès sa naissance, de subir une peine pour un péché qu’il n’a pas commis, et qu’il ne peut pas racheter. Victime d’un péché d’autrui, l’enfant le devient aussi de la Loi... C’est troublant, parce que la Loi n’agit pas avec équité, mais par abus de pouvoir, se fondant sur un privilège de race. – La peine est grave, pénible et honteuse : l’enfant est mis en marge de la société, à la fois au-dedans et au dehors d’elle, homme malheureux, sans personnalité, sans patrie, de même que sans Dieu. – Toutefois, on ne peut pas accuser la Loi de racisme, puisque la légitimité de la naissance est une condition posée pour faire partie de cette génération d’Abraham, que Dieu a élue pour être au service de sa souveraineté. Le Dieu auquel on est lié par la foi, est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ! – Il n’en reste pas moins que la Loi condamne un individu à subir une peine pour un péché qu’il n’a pas commis. Si nous ne voulons pas accuser la Loi d’injustice, il faudrait supposer que cette peine ne soit infligée à l’enfant et à sa mère qu’en sacrifice expiatoire du péché commis par les autres. La souffrance du bâtard ferait alors partie du sacrifice expiatoire que les Écritures attribuent au « Serviteur de l’Éternel », c’est-à-dire au peuple, qui souffre en expiation des péchés de ses enfants. – Mais ce n’est pas le cas, car la souffrance expiatoire est voulue librement par la victime, alors qu’ici elle est lui imposée par la Loi. – Par surcroît, elle ne rachète pas le pécheur de son péché. Et Jésus ? – Jésus a vécu soumis à cette Loi jusqu’à l’âge mûr ! Comme un sacrifice donc qui, n’étant pas choisi par lui mais imposé injustement par la Loi, devenait une torture par abus de pouvoir, par cette institution qui est la norme elle-même de la justice. Sa condition d’existence était donc enveloppée d’un mystère, dont il attendait la compréhension par une révélation divine. En sa pleine maturité, apprenant le baptême de Jean, il se rend chez lui pour se purifier, estimant, peut-être, avoir expié suffisamment le péché d’autrui pour être libéré de sa peine. – Heureusement, Jean était Jean ! Il l’a baptisé sans problème, en lui ôtant cette souillure, qui ne tachait que sa peau. – Oui, Jean l’a baptisé, mais en lui rappelant que son baptême n’avait pas le pouvoir de le blanchir de la tache d’illégitimité ! – On peut comprendre le choc que cette nouvelle a dû provoquer dans son âme. – Un choc, sans doute, mais aussi un éclat de lumière. Les déterminations successives de Jésus nous permettent de reconstituer le processus de sa crise, à la suite de l’impuissance du baptême de Jean à le purifier. Jésus prit conscience qu’il ne pouvait que rester dans son état d’impureté, parce qu’il n’y avait, dans le système religieux, aucun rite de purification à sa mesure. Il ne trouvait qu’une malédiction qui n’avait pas de sens, embourbée dans une intrigue contradictoire, que nous venons de dénoncer, entre Loi et Pouvoir. Étant injuste, cette malédiction ne pouvait pas venir de Dieu, mais du législateur, dans le but de conditionner l’appartenance d’un sujet à la génération d’Abraham par son arbitraire et son pouvoir. Convaincu de cet abus et de cette absurdité, Jésus comprit que Dieu n’habitait plus parmi son peuple et qu’il était retourné au désert. – Quel mystère ! Jésus retourne aux origines du peuple, pas seulement dans son esprit, mais réellement, par sa personne. L’histoire se projette en lui comme pour s’accomplir en puisant ses finalités dans ses origines. – Jésus quitta donc Jean, non pas pour retourner dans sa terre, mais pour se réfugier dans le désert. Il pensa qu’il y avait eu dans les relations de Dieu avec son peuple une rupture, dont les prophètes avaient dû parler. Et il se mit à rechercher Dieu dans la solitude du désert et dans la lecture des prophètes. – Tu as bien dit que Jésus a eu recours aux prophètes, mais qui, parmi eux, a eu sur lui une influence déterminante ? (En s’adressant à Thomas). – Puisque Jésus s’était convaincu de l’existence d’une rupture dans l’alliance entre Dieu et le peuple, je pense qu’il a dû être attiré par Osée, qui a mis cette rupture au centre de son message. – C’est en effet Osée qui a été l’objet de ses lectures. – Continue alors. Tout cela est nouveau pour nous. – Et fondamental, et bouleversant ! – J’aimerais d’abord que toi ou Eugène, exposiez le message d’Osée, car je crois qu’il est peu connu de nous, et considéré plutôt comme un prophète des origines que de notre temps. (En se tournant vers chacun des frères). – Êtes-vous d’accord ? Si Eugène m’aide, je commence. Osée exprime l’alliance que Dieu avait eue avec Abraham comme un mariage avec sa génération, précisément la « fille d’Israël ». Mais il y a eu une rupture dans le mariage, dans la mesure où la fille d’Israël se comportait comme une prostituée. Dieu a abandonné la vie commune avec elle pour retourner au désert, en l’appelant cependant à abandonner sa prostitution et à le rejoindre dans le désert, en vue d’une nouvelle union où il n’aurait plus été un maître mais un amoureux. La fille d’Israël ne cessa pas sa prostitution pour autant. – C’est alors que Dieu ordonna à Osée de se marier avec Gomer, une prostituée, afin que la fille d’Israël ait son infidélité sous les yeux, comme dans un miroir, et en avoir honte. – Et le prophète s’est vraiment marié avec Gomer ? – Naturellement ! Un prophète ne peut faire que ce que Dieu lui ordonne, même s’il doit s’exposer au scandale, au jugement du peuple, au soupçon, et à une profonde souffrance. – Celle que Dieu lui-même éprouvait... – Dieu ordonna au prophète de communiquer ses messages : Tout d’abord à sa femme, afin qu’elle vienne au désert, et se lie avec lui par une alliance d’amour... – Elle ne donna aucune réponse ! Dieu ordonna au prophète de s’adresser au peuple, pour qu’il porte plainte contre sa mère... Mais ni la fille d’Israël, ni Gomer, ne mirent un terme à leur prostitution... – Alors, Dieu donna au prophète l’ordre d’appeler les enfants d’Israël à tuer leur mère ! – Inouï ! Dieu aurait vraiment ordonné aux enfants d’Israël de tuer leur mère ? – Osée a-t-il délivré le message ? – Il n’en a pas eu le temps : La nouvelle court encore de bouche en bouche dans le peuple que la mère, la fille d’Israël, a tué le prophète ! (Émoi parmi les frères, cris de stupeur, phrases confuses : « La fille d’Israël, notre mère ! »). – Moi aussi, qui viens de la Grèce, je suis stupéfait qu’un prophète, au nom de Dieu, appelle les enfants de son peuple à tuer leur mère et que celle-ci tue le prophète, pour lancer à Dieu un défi de mort ! Mais poursuis ta narration sur Jésus, Thomas, que nous comprenions l’impact du message d’Osée sur lui. – Dans le message d’Osée, Jésus avait trouvé le dessein que Dieu avait tracé pour lui, et dans lequel il a inscrit son existence, pour lui donner un sens. Il a compris qu’il était né bâtard pour personnifier les fils d’Abraham, devenus enfants de prostitution. C’est pourquoi, il n’a jamais osé se révolter contre la condition de son existence, y restant fidèle jusqu’à l’âge mûr. Dieu l’appelait donc comme prophète dans le sillage d’Osée, pour annoncer le message que la mort avait empêché celui-ci de donner : porter plainte contre leur mère, et conduire les enfants d’Abraham au désert, à la rencontre de Dieu. Et Jésus va au désert, représentant ses frères dans sa personne de prophète. – Comment en est-il venu au baptême en esprit ? – À sa sortie du désert, nous retrouvons Jésus en Galilée, pas à Nazareth, sa ville natale, mais à Capharnaüm, au commencement de cette mission qu’il avait reçue de Dieu au désert. (Tournant son regard vers tous). Vous le savez bien, frères, car quelques-uns parmi vous étaient avec lui. – Oui, j’étais avec lui, je me rappelle bien... Mais il ne m’a pas appelé à tuer ma mère ! – Toi aussi, tu aimes ces jeux de mots dont tu m’accuses, Pierre. J’entends parler du Judaïsme, pas de la mère qui l’a enfanté. – Même cette mère, Jésus ne m’a pas appelé à la tuer. – Et cependant, tu en as été témoin ! Tu prends le verbe « tuer » au sens de massacrer les Juifs, et non d’ôter d’eux l’image de « peuple de Dieu » dont ils se masquent pour prévaloir sur les autres peuples, en tant que Juifs. (En s’adressant à Jacques). Te souviens-tu, Jacques quand, ayant entendu dire que Jésus se trouvait à Capharnaüm après son séjour chez Jean et sa disparition dans le désert de Juda, tu es allé le rencontrer avec tes frères et ta mère ? – Oui, vaguement... Nous avions du chagrin, car il nous avait quittés pour aller chez Jean mais, une fois le baptême reçu, au lieu de rentrer à la maison, il s’était évanoui dans le désert. Ayant su, après un certain temps, qu’il était à Capharnaüm, nous sommes allés, mes frères et moi avec notre mère, pour le ramener à la maison. – Convaincus qu’il était fou, n’est-ce pas ? – Notre crainte était justifiée, puisqu’il s’était éloigné sans nous prévenir et qu’en plus, au lieu de rentrer à la maison, il avait disparu ! – Sais-tu ce que Jésus a répondu aux gens qui s’étaient approchés de lui pour l’informer que sa mère et ses frères l’attendaient dehors ? – Non ! Ou peut-être oui, mais je l’ai oublié. Je me souviens seulement qu’il n’est pas venu nous rejoindre. – Tu ne t’en souviens pas ? Je vais te le rappeler : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère et ma mère. » En entendant ces paroles, peut-être avez-vous compris qu’il n’était pas assez fou pour vous suivre ! – Oui, nous l’avons compris, mais un peu plus tard. – Je sais que vous avez rencontré des pharisiens, venus expressément de Jérusalem pour l’espionner, en leur demandant de vous aider pour faire rentrer Jésus à la maison. – En effet. Ils promirent de nous aider, à condition que nous accréditions par notre témoignage qu’il était fou. Nous n’avons pas accepté. Sans doute, si nous avions signé, ils auraient eu le droit de le mettre parmi les fous, et nous aurions perdu toute possibilité de le ramener à la maison, comme lui d’y rentrer. C’est alors que nous avons compris qu’il n’était pas fou, mais du rang des prophètes. (En s’adressant à Nicomède et à Eugène). – Que dites-vous de la question que Jésus a posée à ses interlocuteurs ? – Elle est complexe, changeant de sens selon l’intention de celui qui l’énonce. Examinons ce changement. Jésus était en conversation avec d’autres dans une maison. C’était, probablement, sa première apparition en public comme prophète. On lui annonce que sa mère l’attend dehors avec ses frères. En l’informant, ils trahissaient cependant leur surprise et s’interrogeaient entre eux : qui pouvait être cette mère, quand il était notoire que, par naissance, il était un enfant trouvé. Jésus leur répondit en leur renvoyant leur interrogation : « qui est ma mère, et qui sont mes frères ? ». Pris par l’étau de son interrogation, les informateurs demeuraient silencieux, car ils n’avaient pas le courage de lui dire ce qu’ils pensaient à son égard... Jésus les tira de ce silence pour donner lui-même la réponse à sa question : « Qui fait la volonté de Dieu, celui-là est ma mère et mon frère ». – Ton analyse est juste, Nicodème ! Si Jésus n’avait pas été prophète, il n’aurait rien dit à ceux qui l’informaient que sa mère l’attendait dehors, parce qu’il aurait répondu par les faits, en se levant et en allant la rencontrer. Mais puisqu’il était prophète, il saisit l’occasion pour révéler à ceux qui le jugeaient le mystère qui liait sa condition d’existence à leur appartenance au peuple de Dieu. Cette révélation était si bouleversante et si opposée à leur croyance, qu’elle entraîna Jésus à l’exprimer par un paradoxe, afin de secouer les esprits par sa contradiction et de les disposer à y réfléchir. – Un paradoxe ? Bien dit, une contradiction exprimée en axiome de vérité : une femme qui devient mère d’un enfant dont elle n’a pas accouché ! Ou une autre, qui l’a engendré et ne serait plus mère parce qu’elle n’a pas suivi la volonté de Dieu. Ou un enfant trouvé qui n’a pas de mère, mais qui la retrouve dans une femme qui fait la volonté de Dieu ! Des absurdités ! – Il n’y a pas de contradiction dans ces affirmations, mais la transposition d’un terme du sens réel au sens figuré. Un enfant qui n’a pas de mère, considère comme mère une femme qui ne l’a pas engendré, parce qu’il est aimé par elle comme un fils, ou qu’il l’aime comme une mère. – La réponse de Jésus va au-delà de ces limites : en effet, il affirme que sa mère n’est pas la femme qui l’a mis au monde, mais celle qui fait « la volonté de Dieu ». Cela suppose que la volonté de Dieu inscrit celui qui la suit dans un processus de genèse autre que la généalogie, dans laquelle on retrouve biologiquement la mère, les frères... Il est légitime de se demander s’il est possible de retrouver cette forme de genèse dans la création, vu qu’elle ne débouche pas sur une généalogie. (En se tournant vers Eugène). Qu’est–ce que tu en penses ? – Le deuxième récit de la création représente Dieu à l’image d’un sculpteur qui modèle la glaise en forme d’homme, et la rend vivante par son souffle. Ce récit donne à penser que la vie surgit dans l’homme non pas par le modelage, mais par une impulsion du souffle de Dieu. – Dirais-tu alors que par la création, Dieu engendre l’homme ? – Je ne dirais pas ça, car alors l’homme serait de la même nature que Dieu, Il serait Dieu... (Il réfléchit, la main sur le front). Je dirais plutôt que Dieu souffle sur l’homme parce qu’il l’a façonné sur son modèle. Oui, l’homme est à l’image de Dieu par participation et non par génération. Cette ressemblance suffit pour affirmer que Dieu et l’homme s’inscrivent dans une relation de filiation et de paternité, distincte cependant de la relation biologique. – Ce que tu dis est très stimulant. Si nous revenons au message d’Osée, on devrait alors dire que Jésus, en le relevant, délivre aux enfants d’Israël l’annonce de se rendre au désert pour demander à Dieu de les accepter comme fils, non par adoption mais par inspiration... (En souriant). – Au fur et à mesure qu’ils viennent, Dieu souffle à nouveau sur chacun d’eux, afin de les rétablir comme enfants de Dieu et d’effacer d’eux la tache d’enfants de prostitution. – Phénoménal ! (Avec joie). C’est l’esprit de purification que Jésus avait reçu lors de son élévation au rang de prophète des enfants de prostitution. – Qu’est alors cette nouvelle naissance, sinon un « baptême en Esprit » ? – Prodigieux ! – Prodigieux aussi l’enchaînement des trois prophètes, Osée, Jean Baptiste et Jésus, pour la purification des Juifs afin qu’ils deviennent fils de Dieu : leur mort à leur génération, leur purification par l’eau, leur génération par l’Esprit. (Jean se couvre les yeux de ses mains, se lève légèrement avec l’intention de parler. Mais Pierre lui fait signe d’attendre). – Baptême en esprit ! Je me rappelle de ma première rencontre avec Jésus... Me voyant, il m’adressa subitement ces paroles, qui résonnèrent dans mes oreilles comme une voix venant d’en haut : « en vérité, en vérité je te dis que si l’homme ne naît à nouveau par l’eau et par l’esprit, il ne peut pas parvenir au royaume de Dieu ». Il m’avait été difficile de comprendre comment on pouvait renaître, plus difficile encore l’association de cette renaissance à l’esprit et à l’eau. C’est maintenant que je comprends. L’eau se rapportait au baptême de Jean, l’esprit à un autre baptême, conçu comme un bain dans l’Esprit créateur de Dieu, pour naître à nouveau. – Ce baptême conduit-il à une nouvelle naissance ? – Oui, quel est le symbole de ce baptême ? – Il pourrait être l’eau de source, ou le feu ; en réalité, il demeure intérieur, comme mouvement de notre esprit vers l’événement de son origine, qu’il sous-tend au plus profond de lui-même. – Il m’est difficile de comprendre... (En souriant) Je n’ai eu, moi, que l’expérience du baptême d’eau ! Tu devrais raconter ton expérience, toi qui as reçu ce baptême d’esprit ! – Est-ce que je l’ai vraiment reçu ?... Pour retourner à la rencontre avec Jésus, j’ai entendu, à la suite de ses paroles, un impératif catégorique s’énoncer dans mon esprit avec force : « Connais-toi toi-même » ! Je regardai donc en moi-même ; je constatai que les impulsions de la nature se transformaient dans mes sens en des images : celles du monde ! La pensée jaillissait en moi comme un rayon aiguisé couvrant ces images de sa lumière, les disséquant, les éclairant, analysant leurs relations entre elles et les connexions structurales jusqu’à parvenir à la connaissance des lois qui les retiennent dans une nature : la chose ! Un processus de connaissance qui allait des effets aux causes... Je compris aussitôt que cette connaissance était à l’envers de celle que Dieu a du monde, qui part des causes pour parvenir aux effets, et qu’elle en était complémentaire, l’accomplissant et s’accomplissant en elle. Mouvement circulaire où Dieu est le principe et la fin, allant de Dieu au monde, du monde à l’homme, de l’homme à Dieu. – Le baptême en esprit, c’est l’immersion de la conscience de soi-même dans ce mouvement originel qui sous-tend l’être, et la renouvelle, et la met en communion avec les hommes, le monde et Dieu. – Des paroles étonnantes résonnent dans mon esprit : « L’homme est à l’image de Dieu »... – La vérité de notre connaissance est garantie par la connaissance propre à Dieu... – L’homme est fait sur le modèle de son Créateur, pour être médiateur entre le monde et Dieu. – Il est la participation dans sa chair de la nature divine. (Déconcerté troublé, bouleversé). – Ne nous étions nous pas réunis pour savoir si Jésus était ressuscité des morts en qualité de Christ et comme le Fils de Dieu ? Pourquoi parle-t-on de l’homme ? – N’étions–nous pas dans une recherche théologique ? Pourquoi nous retrouvons-nous dans une dissertation dialectique et conflictuelle ? – Ne te rends-tu pas compte, Thomas, qu’en affirmant que l’homme est l’égal de Dieu tu lances à nouveau ce blasphème qu’avait prononcé l’homme au commencement et que Dieu a puni par la mort ? Ne réalises-tu pas qu’en niant Jésus comme Fils de Dieu et sauveur, tu demeures à jamais sans rédemption, sous la malédiction de Dieu et sous l’emprise de la mort ? – J’ai affirmé, selon les Écritures, que l’homme est à l’image de Dieu, et non qu’il est l’égal de Dieu, Jean ! Quant à l’affirmation que Jésus est le Fils unique de Dieu par génération, je l’ai fait passer au crible des Écritures et de l’expérience que j’ai de Jésus, mais elle n’a pas résisté à l’épreuve. Jamais les Écritures n’ont affirmé que Dieu a un Fils par génération, jamais Jésus n’a proclamé être le Fils de Dieu. Pour entendre cela, il faut aller dans la mythologie grecque, où les dieux engendrent des dieux, comme les hommes des humains. – Mais si Jésus n’est pas le Fils de Dieu venu dans le monde pour racheter le péché originel des hommes, ceux-ci demeurent sous la malédiction de Dieu ! – Il ne s’agit pas, selon les Écritures, d’un péché originel commis par le premier homme et valable pour tous les individus de l’humanité, mais des péchés des hommes, désignés sous le collectif « Adam ». Quant à la mort, elle exprime sous forme de malédiction la conséquence d’une vie qui serait vécue par des hommes qui se prennent pour Dieu. Cette vie ne serait pas progressive, mais régressive jusqu’à sa dissolution. – Quant au rachat des péchés des hommes, Dieu savait bien qu’il n’avait pas de Fils unique, prêt à s’offrir en sacrifice pour les péchés des humains... Pris par son intelligence d’amour, il a créé les hommes comme des sujets libres de pécher et de se racheter des péchés par leur réciproque pardon. Bref, Dieu a créé l’homme sujet de péché et de rédemption de ses péchés, dans la mesure où, en lui, le pardon prime sur la justice. (Jean se couvre le visage de ses mains). – Arrêtez mes frères, s’il vous plait, car votre dialogue est détourné de la dialectique de la pensée qui vous mènerait à vous unir, par des convictions existentielles qui vous divisent. Vous aviez déposé en Jésus le sens et le bonheur de votre existence, au point qu’à sa mort vous étiez tous égarés comme des brebis sans berger, mais vous avez eu de sa mort une compréhension différente. Toi, Pierre, (En s’adressant à lui) tu as considéré, avec tes collègues, que cette mort était une telle absurdité qu’elle ne pouvait être vécue que par un Fils de Dieu, venu dans le monde pour s’offrir comme victime expiatoire des péchés des hommes ; sa mort n’était pas la fin d’une vie, mais un holocauste qui ne pouvait le conduire qu’à la résurrection. Pour Thomas, au contraire, (Il se tourne vers lui) sa mort n’est que celle d’un prophète qui a marqué sa chair d’un sceau de vérité par son sang. Ainsi pour vous, Pierre, Jacques et Jean, Jésus est le Fils de Dieu qui s’incarne en homme ; pour nous (je me mets du côté de Thomas), il est un homme que Dieu suscite pour conduire les hommes déchus à être son image vivante face au monde. – Mais que devons-nous faire ? – Il pourrait arriver que vous soyez conduits à vous séparer... Mais le message de Jésus aussi serait scindé, et perdrait son sens. – Quant à moi, maintenant que je suis engagé dans la recherche, je ne souhaite que continuer et la mener à son terme. – Mais si tu m’amènes à douter de la résurrection de celui qui est présent en moi comme tel, tu me mets dans une contradiction insoutenable. – Si tu as conscience de détenir la vérité, Pierre, tu ne dois pas échapper au doute, mais l’affronter avec force et sûreté. Mais si tu as peur, tu doutes, et tu ne peux chercher la vérité que par lui. |
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