ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
Le noviciat |
EN SARDAIGNELE DÉPARTL’ITALIEAu collège d’Arezzo Le Noviciat Philosophie et départ PUIS LA FRANCE............................................ |
e noviciat est le lieu du couvent dédié à la formation à la vie religieuse. J’estime important de mettre en relief la cérémonie de l’entrée dans le noviciat. Je la décris telle qu’elle a été conservée dans ma mémoire au bout de quatre-vingt années. L’impétrant se jette à terre pour s’y étendre comme un mort, puis il se relève pour revêtir l’habit de l’Ordre : la tunique avec son capuchon. Evidemment, l’ensemble signifie la mort à la vie laïque et la renaissance à une vie consacrée au service de Dieu. Le blanc de la tunique et le noir de la cape sont les symboles de la clarté et de la vérité dans la parole et le comportement du religieux, par l’exclusion de tout mensonge. Une fois habillé, le « novice » reçoit un nouveau prénom, comme membre de la nouvelle famille. J’avais changé mon prénom « Ennio » en « Aurèle », parce que c’était celui de mon père, mort depuis déjà dix ans, mais surtout pour en garder toujours à l’esprit sa signification de « soleil d’or ». Jumelé avec celui d’Augustin, le nom d’Aurèle me permettait de rester uni à Saint Augustin, Père de l’Église, qui s’appelait aussi Aurèle. J’étais donc bien protégé ! La vie que le noviciat nous imposait était conforme aux trois vœux, qu’on n’avait pas encore prononcés, mais qu’on était obligés de suivre jusque dans les moindres nuances : vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Cette vie devait être vécue dans le silence, profond ou moyen, selon les lieux. En ce qui concerne la pauvreté, elle ne pouvait pas être facilement transgressée parce qu’il fallait renoncer au superflu. Mais j’étais heureux de découvrir qu’au moins dans une chose nous pouvions revendiquer le droit de propriété : les livres. On peut affirmer que parmi les Ordres religieux, celui des dominicains était le seul qui reconnaisse ce privilège, parce qu’il était lié à son but, celui de l’étude et de la prédication. Cela m’assurait que je pourrais toujours assouvir ma passion pour les études. Quant au vœu de chasteté, j’avais trouvé plusieurs remèdes. D’abord chez Dante, moins par la lecture et la compréhension de son œuvre que par son librisme, personnifié par Béatrice, femme avec laquelle Dante ne s’était jamais uni sexuellement pour ne pas l’obscurcir. Pour moi, elle était aussi la personnification de la poésie. C’est la Vita Nuova de Dante qui m’avait permis de la connaître et de l’aimer. Au point que j’avais appris par cœur l’hymne que Dante lui a élevé, répétant en toutes circonstances la première strophe : Tanto gentile et tanto onesta pare La donna mia quand’ ella altrui saluta Qu’ogni lingua divient tremando muta E gli occhi non ardiscon di guardare. (Si honnête et si gentille apparaît La dame à moi quand elle autrui salue Que toute langue devient tremblante et muette, Et les yeux n’osent regarder). Je répétais cette strophe comme une rengaine ! Mais j’ai eu peur, parce que je faisais appel à la poésie comme à une prière. Je me souvins que dans la Vita nuova le divin poète, pour ne pas être tenté d’entraîner Béatrice dans l’amour sexuel, fut conduit à se donner à d’autres femmes ! Cercle vicieux, sans doute. J’ai cherché alors à recourir aux pratiques ascétiques de la mortification. Je recourus à la lecture des vies de saints, comme à celle de Suso ou des pénitents du désert, afin de repousser les tentations charnelles. Trouvant un jour dans le jardin un fil de fer un peu épais, j’ai eu l’idée d’en faire une chaine qui pourrait être employée comme cilice, à la manière des pénitents du désert. J’ai cherché cependant à ne pas sacrifier mon corps pour autant : je tenais à garder la force de mes jambes et la ductilité de mes doigts. Le cilice me donnait une certaine conscience d’être fidèle à mon noviciat, sans porter aucune atteinte à ma santé. La chaine réprimait mais ne torturait pas ma chair. J’ai dû constater cependant que ces pratiques éveillaient mes instincts sexuels au lieu de les calmer. J’en étais gêné, au point que je me suis vite libéré de ces pratiques ascétiques, jetant le cilice dans la boite à ordures, en lui disant : « Au diable ! » Le silence, au contraire, m’attirait fortement. Il était adapté à la solitude de la vie monastique et à l’étude. Dans la Règle, il y avait le silence profond et le silence moyen. Dans l’église, dans la sacristie, au réfectoire et dans les chambres, il était « profond » en sorte qu’on devait éviter la parole pour recourir aux gestes. Au réfectoire, s’il nous manquait quelque chose pendant le repas, on ne devait pas appeler celui qui assurait le service, mais attendre que celui qui était assis à notre côté lui signale. La parole devait rompre le silence quand cela était nécessaire. À cet égard, il m’est arrivé un jour une chose vraiment drôle. La table était toujours préparée d’avance, chaque place étant fournie de ses couverts, de sel et de poivre, d’eau et de vin placés dans des pots de verre à grande bouche ouverte. Un jour, aussitôt assis à ma place, je découvre qu’il y avait une petite souris dans mon pot de vin. Cela ne m’a pas étonné, car la salle à manger était grande et toute proche du jardin et que, comme d’habitude, le chat avait été mis dehors. La petite souris n’avait eu aucune difficulté à monter sur la table et à sauter dans le carafon de vin, mais elle n’avait pu en sortir. Fidèle à la règle, je m’abstenais d’appeler le frère de service, attendant qu’un de mes voisins s’en aperçoive, mais ils ne voyaient rien, me faisant signe de manger et de boire. Constatant qu’ils n’avaient pas aperçu la souris, j’ai décidé d’agir par moi-même, sans violer la Règle pour autant. J’appelle le frère de service : « Mon voisin n’a pas, comme moi, une petite souris dans son vin, il faut lui en donner une. » Le frère de service regarda dans mon pot de vin, et lança un éclat de rire qui suscita l’hilarité de toute la communauté. |
t504000 : 18/12/2020