ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisJudas |
Épilogue :
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PROLOGUE INTRODUCTION REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES DU JUDAS DE L’HISTOIRE AU JUDAS DES RÉCITS ÉPILOGUE ANNEXES . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Ce lieu n’est pas un espace du monde mais une condition d’existence. Suivons Judas dans sa démarche, depuis son entrée sur la scène du drame tragique de Jésus pour y jouer le rôle de traître. Il l’était, comme nous avons dit, par simulation. Mais ayant été pris par la complexité du jeu, il est devenu traître par méprise. Et, par la suite, traitre parce que tout le monde l’a voulu, les sacrificateurs, le peuple, les disciples eux-mêmes. Acteur qui ne peut pas quitter le rôle de son personnage parce qu’il est reconnu par lui. Et Judas se tue. Son lieu est-il alors dans le Schéol, parmi les morts ? Non, même pas, parce que mort il joue encore son rôle, traître non de Jésus mais de Jésus-Christ. Il se trouve cependant dans une autre dimension, celle de la conscience des croyants à Jésus-Christ. Il existe comme mort, mais comme un être maudit. C’est Dieu qui le maudit dans les Écritures par la bouche du Christ, c’est Jésus lui-même qui incarne ce Christ, ce sont les apôtres, ses condisciples, devenus témoins de la résurrection. La Loi aussi lui lance l’interdit parce qu’il s’est pendu au bois. Vivant comme son maître dans la conscience des hommes, Judas ne peut plus mourir. Désormais on ne peut s’unir à Jésus-Christ que par la médiation de Judas, qui l’a livré en sacrifice aux mains des pécheurs. Il n’est pas possible de penser le Christ comme Sauveur sans le lier à Judas, son Traître. Il ne pourrait être aimé sans que Judas soit haï, on ne peut être ébloui par sa luminosité que par opposition à Judas, son ombre, Judas, qui le met en relief. Personnage né, et comme pensé par Dieu, pour le péché et la mort, comme Jésus-Christ l’est pour la vertu et la résurrection. Mais pourquoi cette sublimation anéantissante d’un pécheur, pourquoi la lumière du Christ ne peut-elle éclater que par opposition à l’ombre de son traître ? Comment est-il possible qu’un pécheur reste en face du Sauveur sans être pardonné, et que le Sauveur maudisse le pécheur ? Un pécheur peut-il devenir si grand qu’il limite et ternisse la puissance du Sauveur et reste pécheur ? Bref, pourquoi celui qui a livré le Christ échappe-t-il à son salut ? N’est-il pas un pécheur comme les autres ? Et s’il n’est pas comme les autres, en sorte que sa trahison dépasse les limites du péché, de quoi le Christ serait-il Sauveur ? Rendrait-il Judas objet de malédiction en compensation de ses limites dans le rachat des péchés ? La tradition néotestamentaire témoigne de la trahison de Judas comme d’un péché irréparable, parce qu’il est démoniaque. Elle y trouve en effet une intention perverse, visant à empêcher l’œuvre du salut. Elle y trouve cette ruse propre à Satan, qui conduit à des péchés honteux afin que Dieu soit inexorable dans sa justice et renonce à toute miséricorde. Plus les hommes sont esclaves du péché, plus ils lui seront soumis. C’est pourquoi Judas ne trahit qu’après que Satan entre en lui, afin qu’il soit totalement à son service. Par surcroît, son péché est si honteux qu’il trahit son maître par ce baiser qui était signe de son amour. Les fonctions du Christ et de Judas dans la théologie du salut se laissent comprendre dans le rite des deux boucs dans le sacrifice d’expiation. Le peuple devait offrir au sacrificateur deux boucs, entre lesquels il tirait au sort pour savoir lequel des deux serait « pour l’Éternel », et lequel « pour Azazel ». Le premier était tué en sacrifice d’expiation, et son sang répandu sur le propitiatoire et sur le sacrificateur, sur le Temple et sur tout le peuple. Le second restait vivant, et il était chargé par le sacrificateur de « toutes les iniquités des enfants d’Israël et toutes les transgressions par lesquelles ils ont péché ». Et il était chassé dans le désert « pour Azazel » (Lv 16:5-10; 15; 20-22). Dans la théologie de la rédemption, le Christ meurt en sacrifice des péchés, par l’aspersion de son sang. Judas, lui, est chargé des tous les péchés et malédictions, pour être envoyé dans le désert de l’existence. Qui pourrait-il rencontrer dans ce lieu sinon Satan, qui l’avait fait instrument de son œuvre de destruction ? Si Jésus-Christ est donc le bouc expiatoire, Judas est le bouc émissaire. Cette compréhension du rôle du Christ et de Judas dans la théologie du salut est pertinente et éclairante, même si on ne peut pas l’appuyer sur des références certaines. Elle nous fait comprendre que Judas, tel qu’il est décrit par la tradition néotestamentaire, est plutôt un bouc émissaire, envoyé dans le désert rencontrer le diable, qu’un pécheur purifié par le sang du Sauveur mort sur la croix. Or, si on examine la trahison dont il est accusé et la notion théologique de la rédemption du Christ, il n’y a pas de raisons suffisantes pour le représenter ainsi. Tout d’abord Judas n’a pas trahi son maître mais, en supposant même qu’il l’ait trahi, on ne trouve rien en lui qui puisse l’éloigner du salut. Il est impossible qu’il l’ait trahi pour empêcher le salut des hommes ou pour nier que Jésus était le Christ, puisque ni lui, ni ses condisciples, ni le peuple ne croyaient, du vivant de Jésus, qu’il l’était. S’il a trahi, il a porté atteinte à la vie d’un homme, fut-ce celle d’un prophète, et non du Fils de Dieu. La trahison ne semble avoir d’autres mobiles que l’argent et le pouvoir, péchés qui ne pouvaient pas demeurer hors du salut d’un Christ. Et si on admet qu’il fut possédé par le diable, il y a une raison de plus pour croire qu’il n’était pas lui-même un diable, mais sa victime. Il aurait dû trouver en Jésus-Christ non un Dieu qui le maudit mais un guérisseur qui l’exorcise. On pourrait affirmer que dans la tradition néotestamentaire on croyait que Judas était un homme au service de Satan, comme les scribes le disaient de Jésus et que, par conséquent, son sort était lié à celui de son maître. Mais, dans ce cas, il serait étonnant de croire que le Sauveur, venu dans le monde pour enlever au diable son pouvoir sur les hommes, laisse sous son pouvoir un homme de son proche entourage. On pourrait faire d’autres remarques se rapportant à Judas, mais pourquoi insister encore quand la théologie de la rédemption est régie par le principe que tous les hommes soient sauvés, quel que soit leur péché ? Or puisque les textes de la tradition sont unanimes pour faire de Judas un traître et l’objet de la malédiction divine, il est logique de penser qu’ils s’appuient sur des raisons autres que sur l’hypothèse que son péché est impardonnable. D’ailleurs, il serait contradictoire d’affirmer que le Christ meurt pour racheter les péchés des hommes et que, ressuscité, il maudit le pécheur qui l’a livré. Il convient donc de rechercher cette autre raison. Qui, dans les écrits néotestamentaires, émet des sentences contre Judas ? Nous le savons : les Écritures, dans la personne de Jésus allégorisée en Christ, Jésus, en son rôle de Christ, les apôtres, en leur conscience d’être les « témoins de la résurrection ». Or ces trois annonciateurs de la malédiction divine contre Judas ne sont pas de sujets historiques. Quant au Christ des Écritures, il n’a pas d’existence au niveau du sens littéral et donc historique des récits, mais dans celui de l’interprétation allégorique. En d’autres termes, non dans les Écritures mais dans la pensée de l’interprète qui allégorise. En ce qui concerne la malédiction de Jésus, elle n’a pas été prononcée par le Jésus historique, mais par le Jésus-Christ, issu de la compréhension de Jésus sur le modèle des figures du Christ des Écritures. Enfin les apôtres, sous l’autorité desquels Pierre annonce la mort de Judas et l’excommunie, ne sont plus dans leur personnalité les disciples qui ont connu Jésus, parce qu’ils ont refoulé leur expérience de lui pour n’être et n’agir que dans la personnalité de « témoins de la résurrection ». Dès lors leur témoignage sur Judas, comme celui sur Jésus, n’est pas historique. Il reste que ceux qui maudissent sont ses condisciples, mais après avoir fait un saut mental et existentiel du niveau littéral des Écritures à leur interprétation allégorique, du Jésus de l’histoire à celui modelé en Christ selon ces mêmes Écritures, de leur expérience du Jésus historique à celle du Jésus vécu, par la foi, comme Christ. Ramenons ces inquisiteurs des Actes à la conscience originelle et historique des disciples de Jésus. Au service de son Évangile, ils avaient à la fin douté de l’authenticité de sa vocation prophétique et s’étaient aussi scandalisés à son sujet. Ils doutèrent aussi de la bonne foi de Judas jusqu’à croire qu’il avait trahi. Du texte de Matthieu concernant le retour de Judas chez les sacrificateurs, il apparait qu’ils crurent que Judas fut tourmenté par des remords, sans avoir cependant la force de se repentir. Son suicide les convainquit que sa trahison n’avait pas reçu de pardon, car Dieu le punissait en le faisant « vengeur » de son propre crime. Mais d’autres motivations se joignirent à celle-ci. Judas était un des disciples les plus importants, par ses charges comme par ses relations avec le monde juif. Dès lors son péché pouvait retomber sur les disciples, car on pouvait croire qu’ils avaient trahi Jésus. Peut-être aussi considéraient-ils la mort de Judas comme une condamnation par laquelle Dieu manifestait celle qu’il était en train de prononcer sur eux, pour avoir renié Jésus et s’être scandalisés de lui. S’ils n’avaient pas trahi leur maître concrètement, ils l’avaient trahi lâchement par leur abandon et par leur scandale et leur reniement. Dans le but de se délivrer de leur cauchemar, ils chargèrent donc Judas de leur propre péché, comme un bouc émissaire. Par sa mort Judas portait leur péché loin dans le désert de l’oubli, les disposant à agir avec assurance en « témoins de la résurrection ». Parce que, sachant que tous ces personnages, le Christ de la foi, Jésus-Christ – et aussi sa résurrection – n’étaient pas historiques, ils craignaient que les Juifs, gardiens de la mémoire historique de Jésus et du sens historique des Écritures et eux-mêmes, comme disciples historiques de Jésus, puissent remettre en question son existence. Ils craignaient aussi qu’ils puissent invoquer contre eux Judas qui, par sa trahison, s’était reconnu comme le « témoin du Jésus historique ». Si les sacrificateurs s’étaient refusé à accepter Judas comme témoin de l’innocence de Jésus, ils le retenaient comme témoin valable et assermenté de sa culpabilité devant la Loi. Il fallait donc enlever à Judas toute crédibilité, en le faisant traître annoncé prophétiquement par les Écritures, être maudit par Dieu et son Christ, menteur excommunié par l’Église. Il fallait bannir Judas dans le désert de l’interdit, car on ne pouvait pas prononcer son nom sans se souiller. Judas n’existait que pour indiquer le crime d’avoir livré le Christ de Dieu. Il était resté sous la possession de Satan, qui l’avait fait instrument de ses maléfices. Qui aurait pu l’appeler comme témoin de Jésus, qu’il avait reconnu comme pécheur ? Qui aurait pu l’arracher à Satan, quand le Christ lui-même ne l’avait pas voulu ? Et oserait-on le faire sortir du désert, pour qu’il témoigne contre les « témoins de la résurrection » ? |
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t630000 : 13/12/2017