ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les Amalécites et la sortie d’Israël d’Égypte





Entre le mythe et l’histoire


Sommaire

Le texte d’Exode 17:8-16

Introduction

Analyse référentielle

Le témoignage égyptien

L’hymne de Moïse

Entre mythe et histoire




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   Que le lecteur jette un regard sur le récit qu’on vient d’analyser et d’interpréter. Il s’agit d’un récit du courant yahviste, qui veut transposer dans un conte historique les souvenirs de la conscience collective du peuple sur la sortie d’Égypte transmis par le discours traditionnel. Mais les écrivains ne cherchent pas à interpréter les faits par référence à des motivations psychologiques ou politiques, mais selon l’ordre de finalité dans lequel Dieu, dans son vouloir absolu, les insère, conformément au système de la foi yahviste. Dès lors, leur interprétation et leur reconstitution des faits sont théologiques et non historiques et, par conséquent, mythiques. Les références à caractère historique des sources orales sont donc modifiées ou refoulées, pour être remplacées par des événements à caractère théologique.
   Il suffit, d’ailleurs, de jeter un regard sur l’Exode pour s’apercevoir que Moïse est un homme dont la personne est définie par les caractères universels du prophète ; c’est donc un personnage mythique et non une personne : personnage qui pense ce que Dieu lui suggère de penser et qui agit par cette main divine qui, ayant créé le monde, est au-dessus de ses lois. Même son bâton devient un instrument mythique !
   La personne historique de Moïse n’a pas existé ou, si elle a existé, elle ne se trouve qu’au niveau du refoulé de la conscience collective, dans le non-dit du discours des sources. Dans la deuxième partie du récit il n’y a pas d’action, mais une suite de paroles prononcées par Moïse, qui lui sont dictées par Yahvé. Moïse fait aussi quelque chose, un autel, mais il ne le fait pas pour y célébrer un culte mais pour qu’il agisse sur les esprits comme « parole » : « Yahvé – Nissi ». Et l’action ? Elle n’est pas décrite, se laissant deviner par les paroles, qui la déterminent a priori dans leur être et leur sens.

   Quant à moi, j’ai lu le récit en procédant dans un sens inverse à celui parcouru par ses auteurs dans sa formation. Dans leur processus de sublimation mythique, les écrivains ont d’abord ôté de leur contexte empirique les souvenirs de la conscience collective exprimée par leur source, pour les transposer dans un contexte idéal imaginaire, selon les exigences d’une perfection idéale de finalité. À l’inverse, dans mon processus de démythisation, j’ai ôté ces souvenirs du niveau idéal de finalité pour les restituer à leur contexte originel. Ce passage a été possible par l’analyse linguistique, philologique et sémantique du discours, à travers l’étude de ses analogies, ses apories, ses anachronismes et ses signes archéologiques. Le contenu du mythe a donc été reconduit à son possible historique.

   Mon intention n’est pas de rappeler tous les moyens mis en œuvre par ce processus de démythisation, mais de souligner les plus importants.

   Dans la première partie, avoir placé le combat entre les Amalécites et les Israélites au cours de la marche du peuple vers le désert de Sélim est apparu comme une aporie, puisque cela n’avait pas de sens dans l’ensemble du récit. Ce combat a au contraire pris du sens une fois placé sur le territoire des Amalécites, lorsque les Israélites le traversaient pour se rendre à Canaan. Le véritable lieu du combat avait donc été refoulé, pour qu’on ne sache pas que les Israélites avaient tenté de sortir d’Égypte par la voie du nord et qu’ils avaient échoué.
   Grâce à ce déplacement, les auteurs n’ont pas eu de problème pour affirmer que Josué a pu contenir la pression des adversaires et les vaincre au fil de l’épée alors que, sur le territoire des Amalécites, le combat n’a pu amener qu’une défaite des Israélites. Mais les auteurs du récit biblique ont voulu que cet échec, quoique refoulé, apparaisse dans le texte en décrivant le combat comme une alternance de victoires et de défaites de l’un et l’autre camp, et l’élévation et la retombée des mains du prophète en prière. Dès lors le récit prend sens en décrivant une victoire des Israélites sur les Amalécites, alors qu’il s’agit d’une défaite, les Israélites ayant été repoussés au-delà des frontières, dans cette Égypte dont ils étaient venus.

   Quant à la deuxième partie, elle n’est constituée que par des paroles de Moïse exprimant des jugements sur Amaleq et obligeant à des comportements à son encontre, sans qu’ils soient décrits.
   La première de ces paroles est celle de Dieu demandant à Moïse d’écrire dans « le livre » le combat des Amalécites contre Israël. Cette demande de Dieu ne semble pas avoir d’autre motivation que le souci des écrivains d’assurer que leur narration est tirée du livre de Moïse, et possède ainsi la valeur de parole de Dieu. En fait, leur narration se trouve dans l’Exode, qui n’est pas un livre réputé écrit par Moïse, et qui n’a d’autre source que le discours de la conscience collective.
   La deuxième parole de Dieu s’adresse à Josué, pour l’assurer que la mémoire d’Amaleq sera effacée de la terre. Or l’anéantissement de ce peuple ne s’accomplira qu’au temps d’Ézéchias, lors de l’expédition de Siméon sur la montagne de Séïr (1 Ch 4:42). La prophétie de Moïse lui serait donc bien postérieure ? Cependant la haine des juifs contre ce peuple et les imprécations visant à son anéantissement sont antérieures. Samuel avait ordonné à Saül de vouer les Amalécites à l’interdit, en punition de ce qu’ils avaient fait au peuple. Il aurait dû mettre à mort par le feu « hommes et femmes, enfants et nourrissons, bétail et petit bétail, chameaux et ânes », bref détruire la nation. En fait, Saül ne soumit à l’anathème que les objets sans valeur, épargnant ainsi la vie du roi, mais celui-ci fut tué par Samuel en personne et Saül, pour ne pas avoir obéi, fut puni par la perte de sa royauté et par sa mort (1 S 15). Cet interdit montre que la haine contre les Amalécites remonte aux origines, en sorte que l’attribution de cet anathème à Moïse peut bien faire partie du possible historique.
   Quant à l’autel, il n’a pas de sens comme lieu de sacrifice ni comme devise si on situe la rencontre du peuple avec les Amalécites sur le chemin du désert. Pourquoi Moïse élève-t-il un autel dans cette occasion, quand il n’accomplit aucun sacrifice ? Pourquoi cette devise, alors qu’ils ont tous franchi les frontières de l’Égypte ? La devise de l’autel comme trône de Yahvé n’aurait-elle pas dû être proclamée au départ, pour franchir la frontière ? Ce manque de sens s’explique par le refoulement du lieu réel de la rencontre, qui était la terre des Amalécites que les Israélites parcouraient pour entrer en Canaan. L’autel trouve alors son sens à la fin de la bataille quand, repoussés, les Israélites doivent reprendre le chemin de la sortie d’Égypte, mais sous d’autres perspectives et donc sous une autre devise. Du fait que le lieu a été refoulé, cette censure constitue une preuve que l’autel et la devise qu’il exprime remontent à Moïse.
   En ce qui concerne l’affirmation « une main sur le trône de Yah », elle implique la thèse yahviste selon laquelle la sortie du peuple juif d’Égypte est liée à la sortie de Yahvé de son isolement pour prendre le pouvoir du monde contre les dieux. Or cette thèse remonte à Moïse, comme le montre l’analyse du chapitre 19 de l'Exode sur l’alliance du Sinaï. La relation entre Yahvé et le peuple s’établit sur une alliance, formée sur le modèle d’un contrat entre le sujet et le suzerain, par lequel celui-ci s’engage à protéger le premier, à condition qu’il se mette au service de son pouvoir. De cette thèse découle que le peuple juif devient le peuple de Dieu et qu’il en reçoit la terre, opposant aux peuples qui la possèdent un droit divin de propriété. L’attribution de cette affirmation à Moïse est ainsi probable.
   Pour la dernière proposition, elle aussi ne s’oppose pas non plus à cette attribution, surtout parce qu’elle colle au contexte. Si elle est attribuée à Moïse par les écrivains de l’Exode qui savent, eux, que le peuple a toujours dû combattre l’opposition des Amalécites, liés en tout temps aux ennemis d’Israël, il n’en demeure pas moins que le fait de considérer Amaleq comme l’ennemi du peuple plaide en faveur de son attribution à ce moment-là de l’histoire, et donc à Moïse.

   La force argumentative de ces propositions ne découle pas du fait que, dans le texte, elles sont attribuées à Moïse, mais qu’elles le sont dans un texte en situation d’aporie, en d’autres termes placées dans un lieu et dans un temps étrangers à ceux où le fait raconté aurait dû se passer. C’est pourquoi les propositions n’ont pas de sens approprié mais général et sémantique. Quand elles viennent à être placées dans le conflit avec les Amalécites et sur leur territoire, les propositions acquièrent un sens approprié et historial, sinon historique. Ces propositions ont été refoulées, dans le récit, dans un temps et un lieu qui n’étaient pas les leurs, afin que le lecteur ne puisse pas reconnaître l’événement historique : elles ont été refoulées parce qu’elles avaient été jugées historiquement vraies.



c 1975




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t854400 : 24/02/2019