ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Deuxième partie :
Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

VII – Épaphos et Jésus




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie
- Dieu et la vierge
- La fortunée et la
  graciée
- Le souffle et l’esprit
- Les persécutions
- Les naissances
- Les vierges
- Épaphos et Jésus
- Prométhée et Siméon

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

   C’est le moment de rapprocher l’un de l’autre les deux enfants divins, afin de connaître leur personnalité. Ils ont d’ailleurs un nom qui les définit en tant que fils de Dieu.

   L’enfant né d’Io est appelé Épaphos (Supp. 588). Ce nom lui a été imposé par les hommes, afin de signifier qu’il est né de l’attouchement de Dieu. Épaphos signifie précisément le « touché de Dieu ». Par ce nom, on exprime l’origine de l’enfant, mais pas son rôle.
   L’enfant né de Marie est appelé Jésus (Mt 1:21 ; Lc 1:31). Ce nom lui a été donné par l’ange, au moment de l’annonciation (Voir étude postérieure). Il exprime la personnalité du nouveau-né, par rapport au rôle qu’il doit jouer selon les Écritures. Jésus signifie sauveur, libérateur. Jésus reçoit son nom de Dieu lui-même.
   Ces deux noms sont conformes aux diverses perspectives du mythe et de la narration évangélique. Le mythe parle du fils d’Io par rapport à la manifestation de Dieu lors de sa naissance ; l’évangile, par contre, parle de Jésus en fonction de l’Esprit que Dieu lui envoie lors de sa conception. Cette différence nous permet de bien situer les attributs personnels des deux enfants.

   Épaphos, une fois né, devient un « païs ». Lorsque Zeus retire son doigt créateur de son fils, celui-ci semble tomber sur la terre, pour devenir un enfant comme les autres. Son origine divine ne fait pas de lui un être supérieur aux hommes, car Zeus ne reste pas avec lui en tant que personne. Cependant, il n’est pas comme les autres en ce qui concerne sa postérité, la race qu’il engendre, car l’esprit de Zeus reste en permanence dans celle-ci. C’est pour cela qu’il est appelé aussi « Genos » (Suppl. 585). Il est fils de Zeus par nature, comme un fils naturel qui n’est pas reconnu par son père. Zeus l’engendre sans le faire participer à sa divinité ni au droit d’héritage de sa royauté. Épaphos restera homme sans pouvoir jamais atteindre le seuil de la divinité.
   Jésus aussi est appelé « païs » ou « païdon », mais seulement quand il est considéré par rapport à son âge. Par contre, toutes les fois que l’Écriture le considère dans sa personnalité en vue de son rôle, elle le désigne comme « uios tou theou ». Ce nom lui restera à perpétuité, de même que Dieu sera toujours appelé « Père ». Il s’ensuit que la personne de Jésus ne se dissout pas, comme celle d’Épaphos, dans sa descendance, mais au contraire que le peuple divin que Dieu insère par lui dans l’histoire relève de la personne même de Jésus. Il est « l’aîné » qui transcende le processus de la génération du peuple de Dieu parce que celle-ci est d’ordre spirituel. Dieu est avec le peuple parce qu’il est toujours avec Jésus, et non le contraire comme pour Épaphos. Il n’y a pas en Jésus une distinction théologique entre « nature » divine et personne humaine, car Dieu agit seulement dans sa personne. Il est divin en vue de son rôle et de la personnalité qu’il représente dans le plan de Dieu sur l’histoire.

   D’Épaphos, le mythe dit qu’il est « amemphe » (Suppl. 581). Il est un enfant sans défauts, car sa semence ne relève pas de la race démesurée des mortels. Sa perfection est totale par le fait qu’elle est physiologique. Épaphos – qui aboutira au long du processus de toute la génération d’Io à Héraclès – est une ente qui se greffe sur le vieux tronc humain pour le renouveler, pour le rendre apte à donner naissance au héros-sauveur. À cette perfection physiologique est aussi liée une perfection morale : il sera aussi sans reproche. Étant né de Dieu, il n’hérite pas les péchés de ses parents comme les autres mortels et, par conséquent, il ne sera pas victime de la loi divine de la vengeance. Par lui l’homme est sur le chemin de la délivrance, il s’approche des dieux en même temps que ceux-ci s’approchent de l’homme.
   Jésus est un enfant saint (Lc 1:35). Conçu par l’Esprit Saint, celui-ci reste toujours en lui. « Saint » signifie plus que « sans défauts », car la sainteté écarte de la personne de Jésus non seulement les défauts, conséquences du péché, mais le péché lui-même. Lui non plus, étant né avant les autres « non de la convoitise de la chair, ni de la volonté des hommes, mais de Dieu » (Jn 1:13), n’est pas soumis à la malédiction des péchés propre à ses ancêtres. Il est un être complètement nouveau : physiologiquement, parce qu’il est né d’une vierge, spirituellement, par rapport à son âme, parce que né du souffle de Dieu.

   Un des attributs par lesquels le mythe caractérise le rôle d’Épaphos est « physizoon genos » (Suppl. 585), générateur de vie. La vie qu’il est appelé à engendrer c’est la nouvelle race, les hommes nouveaux. Ce fait qu’il est générateur de vie non en tant que « païs » mais en tant que « genos » veut signifier que son pouvoir s’exerce par sa postérité, et non par sa personne en vue d’une race (phusis). C’est un salut qui aboutit aux personnes au moyen de la génération.
   Épaphos est plutôt sur la ligne théologique d’Abraham que sur celle de Jésus.
   Tous les attributs qui font de Jésus la « source de vie » (Jn 14:6) sont personnels. Le Christ engendre la vie par un pouvoir que Dieu lui a conféré, celui de répandre sur les autres le même esprit duquel il a été conçu, dans lequel il a été baptisé et par lequel il a été glorifié. Il donne l’esprit de vie non en tant que race, mais en tant que personne du « fils de Dieu ».
   De sa personne, cet Esprit aboutit aux personnes des hommes, sans pour cela changer leur nature. C’est la personne qui est changée, tandis que la nature des humains reste dans toute sa faiblesse et ses limites. Si le Christ vise par son pouvoir à transformer aussi la nature des hommes, c’est par la conversion de leur esprit qu’il atteindra ce but.

   Épaphos est appelé enfin « œuvre de Zeus » (ergon). Cette expression lie la naissance d’Épaphos à la création du monde, et donne à l’enfant d’Io une dimension cosmique. L’univers ainsi que les hommes n’étaient pas des créations de Zeus : en naissant, celui-ci avait trouvé le monde déjà accompli, peuplé de dieux et d’hommes sauvages. Dès ce moment, Zeus a voulu avoir des hommes qui naquissent de lui, afin qu’ils soient obéissants à ses lois, soumis à son pouvoir royal. Épaphos est la première créature de Zeus sur la terre, celui par lequel Dieu manifeste sa toute puissance créatrice. Il est son « œuvre » par opposition aux autres hommes, qui sont œuvre de ces dieux qu’il a enfermés dans l’Adès. Épaphos est l’expression de la nouvelle puissance du divin qui se personnifie dans la paternité de Zeus.
   Jésus est aussi appelé créature de Dieu lorsque Paul le désigne comme « l’aîné de toute créature » (Col 1:15). L’enfant de Marie parvient, comme le fils d’Io, à une dimension cosmique. De même que par lui les hommes condamnés sont sauvés, par lui ils commencent de nouveau à vivre. Ils sont recréés par lui : la parole créatrice de Dieu, qui avait résonné au commencement, se manifeste à nouveau en Christ, qui est le commencement.

   Le récit de Luc reprend au récit de la création d’Adam le thème du souffle, dans l’intention de présenter l’enfant de Marie-vierge comme le nouvel homme, le nouvel Adam, dans lequel Dieu propose à nouveau l’idéal de l’homme. Luc ne pouvait pas ignorer la doctrine du nouvel Adam prêchée par Paul, mais l’évangéliste, comme plus tard Jean, en arrive non seulement à donner au Christ un rôle cosmique, mais à le présenter comme une entité cosmique car, avant qu’il n’apparaisse dans le monde né d’une femme, il est créé par Dieu comme aîné de toute créature, médiateur de la création avant de l’être des hommes. Mais cette expression théologique dépasse le mythe, pour rejoindre la gnosis.



c 1960




Retour à l’accueil La vierge Marie Haut de page Prométhée et Siméon

t920700 : 07/02/2021