ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie



Jérusalem,  ville  de  paix ?




Les positions protestantes



1- Les options traditionnelles



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation

Les positions protestantes
Options traditionnelles
Options non-conformistes
Options oppositionnelles

Les deux grandes lignes culturelles
Messianisme temporel
Mouvement prophétique

Jérusalem aujourd'hui



es options traditionnelles se réfèrent à deux notions : les « lieux saints » et le mythe du « peuple élu ».



1.1- Les lieux saints

Dans le protestantisme, il y a unanimité pour décla­rer que cette question est dépassée (cf. la déclaration du Bureau de la Fédération Protestante du 15 août 1967 ou l’article du pasteur Pierre Bourguet dans le Christianisme au 20ème siècle du 27 juillet 1967). Pourquoi est-ce un problème dépassé ?
   Pour des raisons « idéologiques » (ou théologi­ques) en premier lieu. Pour Israël, l’importance de Jérusalem tient au Temple. Pour des chrétiens pro­testants (mais aussi pour les autres chrétiens) l’im­portance de Jérusalem tient au fait qu’en ce lieu, Jésus de Nazareth a été crucifié. Ce fait trouve son explication (cf. l’Évangile de Jean) dans la fin de la localisation du Temple comme la demeure de Dieu. Désormais, le temple de Dieu réside dans cet « hom­me mort pour tous les hommes ».
   Ensuite, pour des raisons « historiques ». Depuis l’an 70, en effet, le temple de Jérusalem a été détruit et son emplacement est occupé par la mosquée d'Omar. Cependant, à travers de nombreuses rivali­tés, les chrétiens (principalement catholiques et or­thodoxes) ont tenté de « re-localiser » de nouveaux lieux saints, dont l’incertitude archéologique est pa­tente. C’est pourquoi, la solution souhaitable est l’« internationalisation » comme facteur de paix au Proche-Orient.



1.2- Le mythe du « peuple élu »

Les options protestantes classiques dépassent le pro­blème étroit de Jérusalem en tant que « ville sainte ». Elles accentuent, au contraire, la « spécificité » d’Is­raël, ce qu'on nomme habituellement « le mystère d’Israël »

Comment s’est constituée cette idéologie ? Elle a pris toute son ampleur (bien qu’apparue antérieure­ment) pendant et après la guerre de 1939-1945, au moment de la persécution des Juifs par les nazis. Elle a été une force pour lutter contre l’antisémitisme. En ce domaine, les maîtres à penser furent Karl Barth et Wilhem Vischer.

Comment décrire cette idéologie ? Elle a pour point de départ ce qu’on a appelé la « question juive » chez l’apôtre Paul (Épître aux Romains, chapitres 9 à 11). « Le Seigneur décide uniquement selon sa volonté. Son coeur choisit. Et le coeur de Dieu n’est soumis à aucune loi. Si déjà le coeur humain ne se laisse pas "rationaliser", comment pourrait-on alors demander que le coeur de Dieu donnât raison de son choix... Il aime celui qu’il veut aimer et n’aime pas celui qu’il ne veut pas aimer » (W. Vischer, « Le mystère d’Israël », Foi et Vie, page 446).

Ainsi, même si les Juifs, enfants d’Abraham, ont rejeté et crucifié le Christ, Dieu n’a pas rejeté son peuple qui demeure le « peuple élu ». Son « endurcis­sement » a été l’occasion offerte aux pa­ïens de se convertir au Christ. D’ailleurs, un « reste d’Israël » s’est déjà converti, et la conversion totale d’Israël sera une extraordinaire richesse pour tous. Caractère indélébile d’Israël, peuple témoin du Dieu vivant. « Toujours et malgré tout, chaque Juif est et demeure en tant que tel ; même Judas Iscariote participe de la mise à part, de la sainteté qui ne peut être celle d’aucun autre peuple : la mise à part, la sainteté de la racine naturelle dont Jésus est issu, et avec lui l’Église » (Karl Barth). C'est pourquoi, il convient de discerner dans la foi, à travers les événements de l’histoire juive, les traces de la signification de ce mystère.

Quelles sont les « expressions culturelles et politi­ques » fondées sur cette idéologie ? Citons, d’abord, cette lettre de S. Letellier (Foi et Vie, 1967-5, page 52) : « Certains expliquent les réactions d’un grand nombre de protestants devant le problème israélo-arabe par le conditionnement dû aux journaux et à la propagande sioniste. Il me semble person­nel­lement que notre conditionnement est beaucoup moins politique, mais beaucoup plus profond. Il tient à la condition même du protestant. Dès notre plus jeune âge, à travers les images de l’histoire sainte, l’école du dimanche, puis le catéchisme et le lecture de la Bible quand nous continuons à la lire, pour nous la Palestine est le pays des Juifs, terre promise, puis conquise, perdue par l’exil et retrou­vée dans la ferveur, la Palestine dont on nous a montré la carte dimanche après dimanche ou que nous trouvons à la fin de notre Bible, c’est la Pa­lestine des Juifs. Combien n’en ont jamais connu d’autre jusqu’à ces dernières années ? Que ce pays soit habité depuis près de 2 000 ans par des Arabes n’a souvent pénétré ni notre culture, ni notre sensi­bilité. L’Orient est loin, nous n’étudions guère son histoire en classe (à part l’épisode des croisades qui n’arrange rien). Que savons-nous instinctive­ment de la Palestine ? Que c’est le pays des Juifs. Si bien que lorsque les Palestiniens nous disent qu’ils sont chassés de chez eux, d’un pays qui est le leur depuis des siècles, nous trouvons leur préten­tion insolente et, ce qui est un comble, contraire à la justice et au droit des gens, sans qu’il soit besoin d’incriminer n’importe quelle propagande politique ou autre, le meilleur agent de l’esprit sioniste, c'est l’école du dimanche ».

Les événements de juin 1967 ont donné l’occasion à cette fraction majoritaire du protestantisme français d’exprimer dans la presse protestante (en particulier dans Réforme) ces attitudes et ces comportements culturels et politiques. Par exemple, Albert Finet, directeur de Réforme, dans un éditorial du 1er juillet 1967, sous le titre « une analyse théologique ». Ayant rappelé le fondement de la foi chrétienne, il écrit : « Je n’ignore pas que de bons esprits, même parmi les Juifs, refusent d’identifier cet État sionis­te avec Israël, peuple de la promesse. Ils avancent que cet État, primitivement simple foyer national, puis État souverain à la suite de guerres victorieu­ses, est un État comme les autres, dont les ambi­tions conquérantes inquiètent à juste titre le monde arabe. Et c’est vrai qu’Israël, pitoyable dans l’ad­versité, est sans merci dans la victoire. Il n’y a qu'à relire le livre d'Esther. Mais le fait qu’Israël, en tant qu’État, agit comme les autres États, n’évacue pas sa vocation particulière. Pas plus que le règne éclatant et païen d’Achab et de Jézabel n’a pu éli­miner le prophète Élie. Ce sont de vieilles histoires, dira-t-on... Ces vieilles histoires ont pourtant des résonances étrangement contemporaines quand on songe à l’émotion des Israéliens qui va plus loin que la passion nationale, devant le « Mur » retrou­vé et Jérusalem reconquise... »

De son côté, le professeur Ellul écrit aussi dans Ré­forme du 24 juin 1967 : « Je déclare qu’il faut, à mes yeux, non seulement sauver Israël, mais le faire par tous les moyens. Je le dis pour une seule rai­son : Israël est et reste le peuple élu de notre Dieu. Il est le seul peuple élu, donc le peuple que nous devons aimer et protéger par-dessus tous les autres, quels que soient ses fautes, ses erreur, ses torts... »

Mais revenons à l’apôtre Paul. Son argumentation théologique aux Romains visait précisément à lutter contre un antisémitisme déjà agissant à Rome, même dans la première communauté chrétienne. Dans cette épître, il ne traitait pas du problème du « sémitisme » en général, et tel qu’il apparaît aujourd'hui.
   Il est sans doute excessif de fonder tout un systè­me ou une idéologie sur le « mystère d’Israël ». Les protestants traditionnels ont adopté le « critère juif » comme le « critère de la foi ». Par exemple, la notion d’« élection d’Israël » dans l’Ancien Testament, avant de devenir une notion théologique et religieuse, a été une notion sociologique et culturelle. Elle cons­ti­tue Israël en tant que peuple séparé, mis à part des autres. Ce fut un acte de naissance et d’autonomie. Le mythe d’Ismaël et d’Isaac, d’Agar et de Sara n’exprime pas d’abord une prédestination, une sorte de fatalité qui élirait l’un et rejetterait l’autre. Il ex­prime cette « identité d’Israël ». Cela est si vrai que le texte de la Genèse, à propos d’« Ismaël », ne parle pas de « rejet » au sens métaphysique, mais de « non confusion ». Ismaël s’en ira, mais il deviendra aussi un grand peuple.

Ainsi, les Protestants traditionnels, par le biais de la notion de révélation biblique, ont opéré un glissement et ont fait un choix exclusif. C’est pourquoi, selon eux, l’idéologie du « mystère d’Israël » qui avait eu pour but la lutte contre l’antisémitisme nazi, a servi à justifier la réalité de l’État d’Israël, de manière par­fois excessive comme chez Jacques Ellul, ou de fa­çon plus nuancée chez le professeur Vischer : « De Sion, c’est-à-dire du centre politique du Royaume de Dieu sur la terre, viendra le libérateur… Voici le sionisme biblique, bien différent du sionisme inauguré à Bâle... »

Cette idéologie du « mystère d'Israël » n'est, d’ail­leurs pas sans ambiguïté. En effet, si elle est défense d’Israël (et parfois justification de l’État israélien), ce n’est pas parce que Israël serait « autono­me » (puisque cette « autonomie » a eu pour consé­quence le rejet du Christ), mais parce qu’elle conte­nait la promesse de la conversion d’Israël au Christ. D’une certaine manière, elle a été la « fin d’Israël » en tant que peuple élu. « Les Israélites zélés pour Dieu sont scandalisés par sa grâce accordée aux païens. Ils refusent d’entrer. Mais le Christ leur tend toujours les bras. À la longue, ils ne pourront pas résister à sa grâce ». (W. Vischer, « Le mystère d'Israël », Foi et Vie, page 465).

Il y aurait lieu de se demander comment l’apôtre Paul, tout en luttant contre l’antisémitisme dans l’Épître aux Romains, a interprété le mythe d’Agar et de Sara dans une autre lettre (aux Galates, chapi­tre 4, versets 21 à 31). Ce qui était, dans le livre de la Genèse une occasion de désigner la « séparation » d’Israël et son « élection » comme peuple autonome, est devenu chez l’apôtre Paul le « signe de deux al­liances ». Mais il opère une sorte de glissement : l’ancienne alliance, symbolisée par Agar, est celle « de la loi » (et précisément, Agar, l’Égyptienne, mère d’Ismaël, représente ici le « judaïsme », et la nouvelle alliance, symbolisée par Sara, est celle de « la promesse » (et donc le dépassement, l'accom­plissement d’Israël dans le Christ et dans l’Église).
   Il y a là une certaine contradiction entre l’idéologie du « mystère d’Israël » (soutenue par les protestants traditionnels) et la théologie paulinienne des deux al­liances, fondée sur le symbolisme d’Agar (l’Égyp­tienne qui représente paradoxalement Israël) et Sara (l’Israélite qui représente symboliquement l’Église). Telle est l’ambiguïté de la position des protestants traditionnels, prisonnière de deux options : soit soute­nir Israël soit le dépasser. Le tort de ce protestan­tisme traditionnel est, semble-t-il, de transférer dans l'actualité, qui a ses propres catégories de pensée et ses modes culturelles, les catégories et les modes an­ciennes, même les catégories rabbiniques de l’apôtre Paul et du monde gréco-latin de la fin du 1er siècle.

Ces protestants traditionnels sont, par ailleurs, ex­trêmement discrets dans leur attitude et leur compor­tement à l’égard des Arabes et des autres Sémites. Dès lors, ces Protestants traditionnels, qui se défen­dent contre l’antisémitisme, risquent à leur corps défendant d’effleurer une autre forme d’antisémitis­me : l’antisémitisme arabe.




Conférence du 27 février 1968




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tc111100 19/12/2019