ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Pierre CurieJérusalem, ville de paix ? |
Les positions protestantes1- Les options traditionnelles |
Présentation Les positions protestantes . Options traditionnelles . Options non-conformistes . Options oppositionnelles Les deux grandes lignes culturelles . Messianisme temporel . Mouvement prophétique Jérusalem aujourd'hui |
es options traditionnelles se réfèrent à deux notions : les « lieux saints » et le mythe du « peuple élu ». Dans le protestantisme, il y a unanimité pour déclarer que cette question est dépassée (cf. la déclaration du Bureau de la Fédération Protestante du 15 août 1967 ou l’article du pasteur Pierre Bourguet dans le Christianisme au 20ème siècle du 27 juillet 1967). Pourquoi est-ce un problème dépassé ? 1.2- Le mythe du « peuple élu » Les options protestantes classiques dépassent le problème étroit de Jérusalem en tant que « ville sainte ». Elles accentuent, au contraire, la « spécificité » d’Israël, ce qu'on nomme habituellement « le mystère d’Israël » Comment s’est constituée cette idéologie ? Elle a pris toute son ampleur (bien qu’apparue antérieurement) pendant et après la guerre de 1939-1945, au moment de la persécution des Juifs par les nazis. Elle a été une force pour lutter contre l’antisémitisme. En ce domaine, les maîtres à penser furent Karl Barth et Wilhem Vischer. Comment décrire cette idéologie ? Elle a pour point de départ ce qu’on a appelé la « question juive » chez l’apôtre Paul (Épître aux Romains, chapitres 9 à 11). « Le Seigneur décide uniquement selon sa volonté. Son coeur choisit. Et le coeur de Dieu n’est soumis à aucune loi. Si déjà le coeur humain ne se laisse pas "rationaliser", comment pourrait-on alors demander que le coeur de Dieu donnât raison de son choix... Il aime celui qu’il veut aimer et n’aime pas celui qu’il ne veut pas aimer » (W. Vischer, « Le mystère d’Israël », Foi et Vie, page 446). Ainsi, même si les Juifs, enfants d’Abraham, ont rejeté et crucifié le Christ, Dieu n’a pas rejeté son peuple qui demeure le « peuple élu ». Son « endurcissement » a été l’occasion offerte aux païens de se convertir au Christ. D’ailleurs, un « reste d’Israël » s’est déjà converti, et la conversion totale d’Israël sera une extraordinaire richesse pour tous. Caractère indélébile d’Israël, peuple témoin du Dieu vivant. « Toujours et malgré tout, chaque Juif est et demeure en tant que tel ; même Judas Iscariote participe de la mise à part, de la sainteté qui ne peut être celle d’aucun autre peuple : la mise à part, la sainteté de la racine naturelle dont Jésus est issu, et avec lui l’Église » (Karl Barth). C'est pourquoi, il convient de discerner dans la foi, à travers les événements de l’histoire juive, les traces de la signification de ce mystère. Quelles sont les « expressions culturelles et politiques » fondées sur cette idéologie ? Citons, d’abord, cette lettre de S. Letellier (Foi et Vie, 1967-5, page 52) : « Certains expliquent les réactions d’un grand nombre de protestants devant le problème israélo-arabe par le conditionnement dû aux journaux et à la propagande sioniste. Il me semble personnellement que notre conditionnement est beaucoup moins politique, mais beaucoup plus profond. Il tient à la condition même du protestant. Dès notre plus jeune âge, à travers les images de l’histoire sainte, l’école du dimanche, puis le catéchisme et le lecture de la Bible quand nous continuons à la lire, pour nous la Palestine est le pays des Juifs, terre promise, puis conquise, perdue par l’exil et retrouvée dans la ferveur, la Palestine dont on nous a montré la carte dimanche après dimanche ou que nous trouvons à la fin de notre Bible, c’est la Palestine des Juifs. Combien n’en ont jamais connu d’autre jusqu’à ces dernières années ? Que ce pays soit habité depuis près de 2 000 ans par des Arabes n’a souvent pénétré ni notre culture, ni notre sensibilité. L’Orient est loin, nous n’étudions guère son histoire en classe (à part l’épisode des croisades qui n’arrange rien). Que savons-nous instinctivement de la Palestine ? Que c’est le pays des Juifs. Si bien que lorsque les Palestiniens nous disent qu’ils sont chassés de chez eux, d’un pays qui est le leur depuis des siècles, nous trouvons leur prétention insolente et, ce qui est un comble, contraire à la justice et au droit des gens, sans qu’il soit besoin d’incriminer n’importe quelle propagande politique ou autre, le meilleur agent de l’esprit sioniste, c'est l’école du dimanche ».
Les événements de juin 1967 ont donné l’occasion à cette fraction majoritaire du protestantisme français d’exprimer dans la presse protestante (en particulier dans Réforme) ces attitudes et ces comportements culturels et politiques. Par exemple, Albert Finet, directeur de Réforme, dans un éditorial du 1er juillet 1967, sous le titre « une analyse théologique ». Ayant rappelé le fondement de la foi chrétienne, il écrit : « Je n’ignore pas que de bons esprits, même parmi les Juifs, refusent d’identifier cet État sioniste avec Israël, peuple de la promesse. Ils avancent que cet État, primitivement simple foyer national, puis État souverain à la suite de guerres victorieuses, est un État comme les autres, dont les ambitions conquérantes inquiètent à juste titre le monde arabe. Et c’est vrai qu’Israël, pitoyable dans l’adversité, est sans merci dans la victoire. Il n’y a qu'à relire le livre d'Esther. Mais le fait qu’Israël, en tant qu’État, agit comme les autres États, n’évacue pas sa vocation particulière. Pas plus que le règne éclatant et païen d’Achab et de Jézabel n’a pu éliminer le prophète Élie. Ce sont de vieilles histoires, dira-t-on... Ces vieilles histoires ont pourtant des résonances étrangement contemporaines quand on songe à l’émotion des Israéliens qui va plus loin que la passion nationale, devant le « Mur » retrouvé et Jérusalem reconquise... » De son côté, le professeur Ellul écrit aussi dans Réforme du 24 juin 1967 : « Je déclare qu’il faut, à mes yeux, non seulement sauver Israël, mais le faire par tous les moyens. Je le dis pour une seule raison : Israël est et reste le peuple élu de notre Dieu. Il est le seul peuple élu, donc le peuple que nous devons aimer et protéger par-dessus tous les autres, quels que soient ses fautes, ses erreur, ses torts... » Mais revenons à l’apôtre Paul. Son argumentation théologique aux Romains visait précisément à lutter contre un antisémitisme déjà agissant à Rome, même dans la première communauté chrétienne. Dans cette épître, il ne traitait pas du problème du « sémitisme » en général, et tel qu’il apparaît aujourd'hui. Ainsi, les Protestants traditionnels, par le biais de la notion de révélation biblique, ont opéré un glissement et ont fait un choix exclusif. C’est pourquoi, selon eux, l’idéologie du « mystère d’Israël » qui avait eu pour but la lutte contre l’antisémitisme nazi, a servi à justifier la réalité de l’État d’Israël, de manière parfois excessive comme chez Jacques Ellul, ou de façon plus nuancée chez le professeur Vischer : « De Sion, c’est-à-dire du centre politique du Royaume de Dieu sur la terre, viendra le libérateur… Voici le sionisme biblique, bien différent du sionisme inauguré à Bâle... » Cette idéologie du « mystère d'Israël » n'est, d’ailleurs pas sans ambiguïté. En effet, si elle est défense d’Israël (et parfois justification de l’État israélien), ce n’est pas parce que Israël serait « autonome » (puisque cette « autonomie » a eu pour conséquence le rejet du Christ), mais parce qu’elle contenait la promesse de la conversion d’Israël au Christ. D’une certaine manière, elle a été la « fin d’Israël » en tant que peuple élu. « Les Israélites zélés pour Dieu sont scandalisés par sa grâce accordée aux païens. Ils refusent d’entrer. Mais le Christ leur tend toujours les bras. À la longue, ils ne pourront pas résister à sa grâce ». (W. Vischer, « Le mystère d'Israël », Foi et Vie, page 465). Il y aurait lieu de se demander comment l’apôtre Paul, tout en luttant contre l’antisémitisme dans l’Épître aux Romains, a interprété le mythe d’Agar et de Sara dans une autre lettre (aux Galates, chapitre 4, versets 21 à 31). Ce qui était, dans le livre de la Genèse une occasion de désigner la « séparation » d’Israël et son « élection » comme peuple autonome, est devenu chez l’apôtre Paul le « signe de deux alliances ». Mais il opère une sorte de glissement : l’ancienne alliance, symbolisée par Agar, est celle « de la loi » (et précisément, Agar, l’Égyptienne, mère d’Ismaël, représente ici le « judaïsme », et la nouvelle alliance, symbolisée par Sara, est celle de « la promesse » (et donc le dépassement, l'accomplissement d’Israël dans le Christ et dans l’Église). Ces protestants traditionnels sont, par ailleurs, extrêmement discrets dans leur attitude et leur comportement à l’égard des Arabes et des autres Sémites. Dès lors, ces Protestants traditionnels, qui se défendent contre l’antisémitisme, risquent à leur corps défendant d’effleurer une autre forme d’antisémitisme : l’antisémitisme arabe. |
tc111100 19/12/2019