ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie



Jérusalem,  ville  de  paix ?




Jérusalem aujourd’hui



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





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Les deux grandes lignes culturelles
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Jérusalem aujourd'hui


ous voici parvenus à l’aspect le plus délicat. Je vou­drais éviter une analyse purement économique et po­litique. Cependant, je serai sans cesse en bordure du « politique ». Je souhaite, surtout, dégager un certain nombre de conséquences de l’analyse précé­dente sur les arrière-plans socioculturels et histori­ques de ce problème complexe.

-- D’abord, l’histoire est irréversible et non cy­cli­que. Il est impossible de faire fi de vingt siècles d’histoire compliquée dans tout le Moyen-Orient. Un retour pur et simple au passé du 1er siècle de notre ère est un rêve et une illusion ; à plus forte raison, au passé des siècles antérieurs de l’histoire d’Israël.
   Depuis l’an 70 après J.C., l’existence d’Israël s’est déroulée « hors des limites » de ce territoire ; et il est inimaginable, sous peine de sanglantes confu­sions, de fonder des « droits historiques » sur une « élec­tion », à plus forte raison sur un « mystère ». L’histoire a consacré comme « un fait », après la période byzantine, la présence des Arabes islamisés pendant 13 siècles (de 636 à 1947), mais également la présence de Juifs palestiniens, et encore de chré­tiens d’origines diverses.

-- Il n’y a plus de « peuple élu » : c’est le seconde conséquence. En effet, quel pourrait être aujourd’hui le critère décisif de cette « élection » ? Serait-ce « Dieu » ? Mais alors, comment expliquer que Juifs, Musulmans et Chrétiens qui se réfèrent au même « Dieu unique » soient dans l’incapacité de vivre en paix sur cette terre de Palestine ? Pourquoi, se fon­dant même sur la trame culturelle du mouvement prophétique d’Israël et du christianisme, ce critère ne serait-il pas plutôt à chercher chez « les pauvres du monde » ? Enfin, est-il raisonnable d’amalgamer aujourd’hui les aspects religieux, économique et po­li­tique ? Pourquoi les facteurs mystico religieux se­raient-ils des « instruments d’analyse » de façon pré­fé­rentielle ?

-- Il n’y a plus de « terre promise » ni de « terre sainte ». Ou alors, la terre promise et sainte est l’hu­manité entière. Là aussi, j’essaie de demeurer dans la perspective des prophètes d’Israël et du christia­nisme. La terre de la promesse est le lieu commun à tous les hommes. C’est sur cette terre commune, dure et aliénante souvent, mais aussi sans cesse pro­mise à toutes les libérations que, désormais, doivent se poser les véritables questions des hommes. Israël a sa place sur cette « terre commune à tous », cette « oikouméné » ; et personne n’a le droit de lui porter atteinte. Les peuples arabes eux aussi y ont leur pla­ce, et personne n’a le droit, non plus, de leur porter atteinte. Cette terre du Moyen-Orient doit rester la « terre commune » où Juifs et Arabes, tous deux des Sémites, fils d’Abraham, sont destinés à « vivre en­semble ».

-- Jérusalem n’est ni une « ville sainte », ni une « ville maudite » (pas plus que la terre de Palestine). C’est une terre au passé et au présent complexes. C’est pourquoi, Jérusalem peut devenir une « ville symbole », un lieu de rencontres et d’échanges entre Sémites ; mais aussi entre Sémites et non Sémites, entre croyants et incroyants. Devenir le creuset de cultures complémentaires destinées à s’enrichir mu­tu­el­lement, un terrain de coexistence pacifique de peuples et de nations presque condamnés à vivre ensemble.

-- Et l’« État d’Israël » ? Il existe aujourd’hui. Il faut prendre acte de ce « fait », comme il a existé en d’autres périodes de l’histoire sur cette terre parti­culière. Mais nous devons considérer son existence comme intangible selon les « critères d’aujour­d’hui ». Cet État doit être apprécié avec les mêmes critères qui servent au jugement de « tous les États du monde ». Il est imbriqué dans un contexte inter­national compliqué, soumis à des pressions éco­nomiques, politiques, diplomatiques.
   Dans le même temps, n’oublions pas qu’Israël, au­jourd’hui encore, ne se réduit pas à la dimension géographique et humaine de l’État « israélien », et qu’il existe pour une grande part dans la « Dias­po­ra » mondiale. Cette situation n’est pas sans une certaine analogie avec celle qui a suivi la publication de l’édit perse de Cyrus.

Alors, la question de l’État israélien doit pouvoir être appréciée dans la dialectique de toute l’histoire culturelle, sociale et politique d’Israël, dans cette tension permanente entre le mouvement nationaliste, légaliste et juridique, d’une part, et le mouvement universaliste, prophétique, d’autre part.
   Si l’État israélien persiste dans la ligne nationa­liste, il est à craindre qu’il lui arrive ce qui, autre­fois, est arrivé au Royaume de Juda, puis aux di­ver­ses tentatives de reconstitution d’un État. Par contre, s’il parvient à transcender cette situation, et en parti­culier à surmonter son « complexe de vainqueur », dans la reconnaissance d’une « identité de destin » en­tre tous les peuples sémites du Moyen-Orient, dans cette « transcendance » à l’autre, qui est le « pauvre d’au­jourd'hui » ; si l’État israélien parvient à renoncer à son « pour soi » national et nationaliste en vue d’un « pour l’autre », signifié aujourd’hui par « les peuples du tiers-monde », dont les peuples arabe et palestinien font partie au même titre que ceux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ; si l’État d’Israël se reconnaît dans cette « solida­ri­té »-là, alors sans aucun doute, une chance est of­ferte, et il y a une « chance de paix pour Jéru­sa­lem » !

En ce sens, Jérusalem deviendra une « ville symbo­le », une « ville de paix », un terrain fécond de co­existence pacifique, et même un lieu de « pro­existence », défiant tous les antisémitismes : l’anti­sémitisme juif comme l’antisémitisme arabe. Pour y parvenir, il faudra renoncer à tout dogmatisme, à toute doctrine mystico politique, à tous les faux mes­sianismes des droits acquis par « élection divine ».

Si je devais conclure, je le ferais avec le verbe « comprendre », c’est-à-dire tenter de se dégager des « affinités » culturelles, socio-économiques, théo­logi­ques et religieuses. « Comprendre », afin de main­tenir ensemble l’« amitié des Juifs » et l’« ami­tié des Arabes ».

Comprendre signifiera avoir du courage, le courage de la lucidité : le courage d’aller parfois à contre-courant des opinions établies, des passions, pas tou­jours désintéressées, assises sur des présupposés, des comportements acquis, des idéologies anciennes, parfois des intérêts. Alors, courage qui sera, en fin de compte, aujourd’hui, un « courage politique ».

Je terminerai par ces deux extraits du journal Le Monde. Le premier de Maxime Rodinson du 5 juin 1967 : « L’État sioniste a choisi de vivre en Pales­tine, c’est-à-dire au milieu du monde arabe. Le choix était dangereux. Les avertissements ne lui ont pas manqué, venant surtout de la part des juifs non sionistes, ni sionisants, qui furent très longtemps la grande majorité. Mais enfin ce groupe de juifs qui a projeté, puis réalisé cet État a maintenu ce choix. Celui-ci a maintenant eu le temps de déployer toutes ses conséquences. Il n’est plus temps de revenir là-dessus. Mais tout arbre se juge d’après ses fruits...
   Nous sommes en 1967. Il serait temps de re­cher­cher l’accord des Arabes à qui cette terre fut en­le­vée. Non pas d’Arabes mythiques, d’Arabes sou­hai­tés, d’Arabes tels qu’on les voudrait, convertis mira­cu­leusement aux thèses israéliennes par les exhor­tations des pro sionistes du monde, les leçons de pro­fesseurs de morale, la lecture de l’Ancien Tes­ta­ment ou des classiques du marxisme-léninisme. Mais des Arabes tels qu’ils sont, refusant d’accepter sans contrepartie une conquête réalisée à leur détriment. On peut déplorer qu’il en soit ainsi. Mais ce n’est là qu’une façon de perdre son temps. 
»

Et cet autre extrait de l'éditorialiste du Monde, du 17 février 1968 : « Au Moyen-Orient comme ail­leurs, la seule voix de la paix véritable est celle de la générosité et de la réconciliation. C’est seulement le jour où les Arabes sentiront que leurs voisins Israéliens sont décidés à les traiter en amis, et plus encore en égaux que s’arrêtera enfin, sur cette terre où fut prêché jadis l’évangile de l’amour, le dépri­mant engrenage de la violence ».




Conférence du 27 février 1968




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tc113000 02/11/2017