ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Symposium du récit
- Les miracles du Christ
- Miracle de la croissance
- Miracle de la constitution
- Miracle du rassasiement
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

Mise entre parenthèses du miracle



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   Par la mise entre parenthèses du contexte, la narration de la multiplication des pains se présente comme un récit autonome et accompli, antérieur à la composition des évangiles : son insertion dans ceux-ci lui demeure étrangère. D’où le problème quant à son sens originel car si, en tenant compte de la rédaction des évangiles, on pouvait tenter de chercher à la comprendre en se rapportant, en dernière analyse, à la vie de Jésus, maintenant elle n’est qu’une péricope, dont la référence doit être recherchée dans sa propre articulation. Mais peut-elle posséder en elle-même une dimension référentielle, alors qu’elle est extraite non seulement du contexte marcien mais aussi de tout cadre biographique ?
   La péricope résulte de deux articulations dont l’une concerne le sens et l’autre la figuration. Quant au sens, il se détermine par une succession thématique qui va du besoin de la foule à son rassasiement, en passant par l’action miraculeuse de la bénédiction et du partage du pain par Jésus. L’articulation figurative sert de support à ce sens, qu’elle concrétise par une mise en scène de personnes et de choses qui se coordonnent dans une intrigue. Deux niveaux qui nous obligent aussi à une double activité, à la fois de pensée et d’imagination, en vue précisément de reproduire en nous-mêmes le sens et le schéma figuratif.
   Pour revenir à la recherche que nous nous sommes proposés quant à la référence, celle-ci ne peut être retrouvée que dans l’articulation figurative. En effet, puisque le récit n’adhère à la chose que dans la mesure où il en décalque l’image, on ne pourra, à partir de lui, retrouver la chose qu’en recherchant le schéma de sa structuration. L’ordre du récit est en correspondance avec l’ordre de la chose. Dès lors il est nécessaire de se demander, quant à la péricope, si le schéma de sa figuration est en correspondance avec une chose et donc représentatif, ou bien s’il n’est que littéraire, autrement dit arbitraire, n’ayant d’autre but que de supporter le sens. Il est évident que, dans ce dernier cas, la figuration ne se rapporterait qu’à elle-même : il s’agirait d’un écrit dont la référence est sa propre signification, et dont l’intrigue demeure imaginaire quoique conforme à des schémas topiques de représentation.

   Si, à la suite de cette interrogation, on jette un regard sur la péricope, celle-ci nous apparaît, à première vue, comme tout à fait littéraire.
   D’abord elle est dépourvue de toute détermination concrète, aussi bien au sujet de l’actant que de son action. Il s’agit de « Jésus » mais, du fait que Marc emploie le pronom « il » (autos), on pourrait bien substituer au pronom une personne autre que Jésus, relevant aussi bien de l’histoire que du mythe. De cet actant il est dit qu’il prend les pains, les bénit et les rompt, puis les donne à ses disciples, il n’en demeure pas moins qu’il apparaît hors du temps et de l’espace : le fait pourrait se passer n’importe quand et n’importe où. En ce qui concerne le lieu, il est vrai, on précise qu’il s’agit d’un désert, mais ce mot a-t-il une signification géographique ou exclusivement thématique ?
   L’action, en outre, est aussi générique dans ses conditions matérielles que dans son efficacité : dans le premier récit on présuppose cinq pains qui sont distribués à cinq mille personnes, dans le deuxième il s’agit de sept pains qui sont partagés entre quatre mille hommes.
   Le récit concerne donc moins un fait que la concrétisation littéraire d’un type générique d’action miraculeuse. Il ne décrit pas, mais il sert de canevas pour inscrire une action dans le cadre d’une forme spécifique de miracle.

   Quoiqu’exactes, ces remarques ne sont pas cependant suffisantes pour dénier à la péricope toute valeur de représentativité référentielle, car il reste précisément à rechercher les différents modes de représentation propres au récit. On peut affirmer qu’un récit est représentatif de la chose d’une façon adéquate lorsqu’il entretient avec elle une double correspondance, d’une part entre son ordre et le schéma constitutif de la chose, d’autre part entre son champ sémantique et les catégories qui accompagnent la perception de l’autre :

champ sémantique = catégorie de perception
ordre du récit = schéma constitutif de la chose

   Lorsque je dis, par exemple, « apporte-moi le livre qui est sur la table », l’ordonnance anadygmatique de l’énoncé est en correspondance avec l’ordre d’être et la situation réelle du livre, de même que le champ sémantique des mots « livre » et « table » correspond d’une façon directe à la catégorie de leurs concepts. La correspondance entre les deux ordres étant exacte, l’action peut suivre l’énoncé sans erreur, la parole est représentative de la chose. J’appelle cette représentation « reproductive », dans la mesure où l’ordre de l’énoncé décalque celui de la chose, à la façon d’un portrait ou d’un plan.
   Mais il y a une autre représentation, où la correspondance existe bien entre le schéma constitutif de la chose et l’ordre du récit, mais non entre le champ sémantique de celui-ci et les catégories qui définissent la chose, c’est le mode de représentation propre aux figures dites « rhétoriques », telles que la métaphore, la métonymie, la parabole et l’allégorie, que j’appellerai représentation « de transposition » car le sens est atteint par une transposition sémantique. Dès lors le rapport référentiel, lui aussi, ne pourra que s’inscrire dans le cadre de cette transposition.
   Lorsque Nathan informe David de l’action criminelle d’un riche qui avait tué l’unique brebis d’un pauvre pour préparer un repas à ses amis (2 Sam 12:1-7), le roi interprète les paroles du prophète comme un discours direct, représentatif du fait au double niveau du discours. Il croit en effet qu’il s’agit d’un vol commis par un riche pour épargner ses propres brebis en s’emparant de celle du pauvre, mais lorsque le prophète lui dit « c’est toi cet homme », il comprend qu’il s’agit d’une parabole. Celle-ci, cependant, loin de l’éloigner du fait l’y conduisait inéluctablement, puisque dans le dessin de sa figuration elle reproduisait la ligne tracée par son acte criminel qui l’avait amené à faire mourir Uri pour s’emparer de sa femme. En effet, l’image d’une brebis qui était nourrie par son maître et qui grandissait chez lui avec ses enfants, mangeant de son pain et buvant dans sa coupe, ne pouvait avoir de sens que si on la rapportait non à une bête mais à une personne : la femme d’Uri.

   En raison de ce double mode de représentation, il est légitime de penser que la péricope, en dépit de son caractère topique, se rapporte effectivement à des faits, quoique par un discours parabolique. Cette hypothèse est confirmée par le caractère de la tradition d’où la péricope est tirée. Il s’agit en effet d’une tradition littéraire dont le caractère était théologique et non historiographique, et qui visait moins à décrire la vie de Jésus qu’à induire à la foi en son messianisme. Son objet se déterminait par le passage du fait à l’événement, de la chair à l’esprit, du visible à l’invisible et du temporel à l’éternel, d’où la nécessité de la métaphore. La péricope aurait donc comme référence moins un fait mondain qu’un phénomène propre à la vie et à l’expérience religieuse de l’Église qui l’a exprimé.

   Par la mise entre parenthèses du contexte, la narration de la multiplication des pains se présente comme un récit autonome et accompli, antérieur à la composition des évangiles, son insertion dans ceux-ci lui demeurant étrangère. D’où le problème de son sens originel car si, en tenant compte de la rédaction évangélique, on pouvait tenter de chercher à la comprendre en se rapportant, en dernière analyse, à la vie de Jésus, maintenant elle n’est qu’une péricope dont la référence doit être recherchée dans sa propre articulation. Mais peut-elle posséder en elle-même une dimension référentielle, alors qu’elle est abstraite non seulement du contexte marcien mais aussi de tout cadre biographique ?
   La péricope résulte de deux articulations dont l’une concerne le sens, et l’autre sa figuration. Quant au sens, il se détermine par une succession thématique qui va du besoin de la foule à son rassasiement, en passant par l’action miraculeuse de la bénédiction et du partage du pain par Jésus. L’articulation figurative sert de support à ce sens, qu’elle concrétise par une mise en scène de personnes et de choses qui se coordonnent dans une intrigue. Deux niveaux, qui nous obligent aussi à une double activité de pensée et d’imagination, en vue précisément d’en reproduire en nous-mêmes le sens et le schéma figuratif. Pour en revenir à la recherche que nous nous sommes proposée quant à la référence, celle-ci ne peut être retrouvée que dans l’articulation figurative.



1984




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ti10000 : 15/04/2017