Sommaire
Avertissement au lecteur
Introduction
Le Christ et les Écritures
La foi en Jésus-Christ
Le Christ selon les apôtres
- L’annonce du Christ
- Trahison et meurtre
. Introduction
. Le récit de Joseph
. Une parole prophétique
L’action des apôtres
. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .
|
Il suffit de jeter un regard d’ensemble sur les récits de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus pour constater qu’ils s’articulent sur le modèle du récit de Joseph (1). Cherchons à suivre les moments décisifs de leur sens.
Les récits des évangiles expriment la situation d’existence de Jésus par le verbe « livrer ». Jésus est livré par Judas, un des Douze, aux juifs, qui le livrent aux Romains. La narration évangélique décalque le récit biblique où Joseph est livré par ses frères à des Ismaéliens, qui le livrent à des Égyptiens. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’une vente, car les frères reçoivent vingt sicles d’argent des Ismaélites, et Judas trente deniers.
On trouve une différence dans la motivation : Judas livre son maître en sachant que les juifs veulent sa mort, alors que les frères de Joseph le livrent pour ne pas commettre un crime de sang. Mais ces différences ne sont pas contradictoires, car si les Ismaélites ne cherchent pas la mort de Joseph, ils ne sont pas sûrs de la lui éviter, quant aux juifs, tout en voulant la mort de Jésus ils savent ne pas avoir le droit de la lui donner. Dès lors on peut supposer que Judas ne cherchait pas la mort de Jésus et que ses frères cherchaient celle de Joseph en évitant la responsabilité de la lui donner.
La différence des deux récits est plus marquée dans la situation des deux personnages, sous le pouvoir l’un du procurateur romain, l’autre de Pharaon. Sous le procurateur romain, Jésus est prisonnier, soumis à un procès qui aboutit à sa condamnation à mort, il meurt donc et est enseveli. Joseph, lui, est mis en prison suite à l’accusation de la femme de Putiphar, qui prétend qu’il a cherché à la séduire. Joseph n’est donc pas mort, mais retenu dans une prison d’où il ne peut sortir que par une intervention divine, car le seul témoin est la femme qui l’accuse et qui ne peut pas témoigner en sa faveur. Jésus a été mis dans un tombeau, mais puisqu’il « était écrit » que sa chair n’aurait pas à subir la corruption (Ac 2:31), son tombeau était comme une prison, de même que la prison de Joseph était comme un tombeau.
Continuons à examiner le parallélisme entre les deux récits. Joseph sort de la prison, interprète le songe des sept vaches grasses et des sept vaches maigres, et est nommé par le pharaon gouverneur du royaume. Jésus ressuscite des morts par la puissance divine : il donne sens aussi bien aux Écritures qu’à l’histoire, et il est « fait Christ et Seigneur » (Ac 2:36).
L’appellation de « Christ » convient aussi bien à Jésus qu’à Joseph, qui est nommé seigneur du royaume parce qu’il en est le sauveur. Ainsi, dans sa seigneurie, il accomplit la bénédiction de Dieu à Abraham : « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité » (Gn 22:18). En Joseph une nation régit son État en reconnaissant Dieu et sa parole. La bénédiction de Dieu à la descendance d’Abraham atteint donc les nations de la terre, qui sont appelées à faire partie de son alliance : « J’établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai à l’extrême… On ne t’appellera plus Abram mais Abraham, car je te rends père d’une multitude de nations » (Gn 17:2-4 ; Rm 4:17).
Le parallélisme des récits dans leur dernière scène, la reconnaissance, s’inscrit dans la même analogie du sens, mais avec des divergences dans son attribution.
Joseph, déclaré seigneur du royaume, rencontre ses frères, sans cependant se faire reconnaître. Il veut que cette reconnaissance survienne au terme d’une épreuve qui les mènera à souffrir dans leur cœur les peines souffertes par leur père et par lui-même du fait de leur trahison et du faux témoignage de sa mort par la faute d’une bête féroce. Il ne se dévoilera auprès de Juda, son frère, qu’après qu’il se soit offert comme esclave à la place de Benjamin.
Jésus ressuscité reste incognito et ne s’annonce que par des signes qui mènent les disciples à prendre conscience qu’ils ne l’ont pas reconnu de son vivant et qu’il faut le retrouver par l’interprétation des Écritures. C’est au contact de celles-ci que le ressuscité se manifeste et qu’il se fait reconnaître : « Je suis ce Jésus, que tu persécutes » dira-t-il à Paul. L’analogie est parfaite, car il n’y a pas de distorsion dans le parallélisme entre Jésus et Joseph, entre les Douze et les frères de Joseph, entre les juifs qui livrent Jésus aux Romains et les Ismaélites qui livrent Joseph aux Égyptiens.
Il reste cependant que, dans le récit biblique, les frères représentent tous les peuples juifs, alors que dans le récit évangélique les frères sont ceux qui « restent », tandis que les juifs sont ceux qui ont livré et fait tuer Jésus, devenant étrangers aux promesses et à l’alliance, devenant « Ismaélites ».
La divergence découle de la distance historique entre le texte de Joseph et celui des évangiles, en d’autres termes entre le personnage de Joseph et celui de Jésus-Christ.
Le peuple puisait le sens de son histoire dans les bénédictions de Dieu, qui lui traçaient le chemin vers la conquête de la terre promise, son développement en nation puissante, son action de justice auprès des peuples, jusqu’à vouloir s’agenouiller à ses pieds et être béni par lui. Mais son contact avec les grandes nations lui apprit que tel n’était pas le sens des bénédictions : il ne vit pas les peuples plier les genoux devant lui mais il dut plier les siens devant elles. Il comprit, surtout par les chants du serviteur de l’Éternel, que les bénédictions de Dieu s’accomplissaient dans le Christ, et que le peuple ne pouvait y accéder que par la foi au Christ.
Les évangiles parlent du Christ sur le modèle de Joseph, mais en tenant compte de la nouvelle situation de valeur et de foi. Les héritiers des bénédictions sont les disciples du Christ, qui sont douze en référence aux douze tribus d’Israël. Quant au peuple juif, il est un peuple qui a cédé son droit d’héritage par naissance au droit d’héritage par grâce. Il ne peut hériter que par la foi au Christ, c’est pourquoi la parole des apôtres s’adresse à eux pour qu’ils croient.
Le problème se pose de savoir pourquoi ils n’ont pas cru au Christ et, n’étant plus héritiers des promesses, ont été éloignés des bénédictions originelles pour devenir comme le peuple ismaélite ; pourquoi, ne pouvant être le « Christ », sont-ils devenus meurtriers du Christ ? Il convient de pénétrer plus profondément la christologie des origines.
______________
(1) Voir le résumé du récit. 
|