Sommaire
La foi au Christ ressuscité
Le Christ est ressuscité
Les apparitions d’anges aux femmes
Les apparitions «privées» de Jésus
Les apparitions de Jésus aux Onze
La structure des textes évangéliques
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Si la découverte du tombeau vide est antérieure aux apparitions annonçant la résurrection de Jésus, et si la crainte que le corps ait été volé a été la première réaction de tous à cette découverte, comment les disciples ont-ils été amenés à croire à une résurrection ? Quel événement a pu leur faire admettre cette résurrection comme raison de la disparition du corps et rejeter ainsi l’hypothèse du vol ?
Les évangiles s’accordent pour nous dire que cet événement a été l’apparition aux femmes, dans le tombeau qu’elles étaient allées visiter, d’anges qui leur annoncèrent que le Christ était ressuscité. Il s’agirait donc d’un événement miraculeux, dû à la puissance de Dieu lui-même. C’est en ajoutant foi à ce prodige raconté par les femmes que les disciples, selon les récits, ont cru à la résurrection, sans exiger d’autre preuve pour écarter le soupçon qu’il y avait eu vol.
Examinons avec attention ces récits des évangiles.
En ce qui concerne l’ange – ou l’envoyé de Dieu – qui apparaît aux femmes, Marc nous dit qu’elles « virent un jeune homme, vêtu d’une robe (stola) blanche » (Mc 16:5). Luc, pour sa part, affirme que « deux hommes leur apparurent en habits éblouissants » (Lc 24:4). Quant à Jean, il écrit qu’elles trouvèrent « deux anges vêtus de blanc, assis là où avait reposé le corps » (Jn 20:12).
Les avis diffèrent aussi, selon les textes, sur les paroles que ces personnages auraient adressées aux femmes.
D’après Marc, le jeune homme dit : « Ne vous effrayez pas. C’est Jésus le Nazaréen que vous cherchez, le crucifié : il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici le lieu où on l’avait placé. Mais allez dire aux disciples, et notamment à Pierre, qu’il vous précède en Galilée ; là vous le verrez comme il vous l’a dit » (Mc 16:6-7).
Les deux hommes de Luc disent : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est pas ici : il est ressuscité. Rappelez-vous comme il vous a parlé, lorsqu’il était en Galilée : Il faut, disait-il, que le fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour » (Lc 24:5).
Analysons ces deux textes. Il est étonnant que, dans celui de Marc, le « jeune homme » dise aux femmes « vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié », leur parlant de lui comme si elles ne l’avaient pas connu en employant les mots « le Nazaréen », « le crucifié », qui définissent sa personnalité vis-à-vis du monde. S’adressant à des personnes de l’entourage de Jésus, qui l’avaient servi, assisté, qui avaient vécu avec lui, il lui aurait suffi de dire « ne cherchez pas Jésus », sans rien ajouter d’autre. Le fait que Marc ajoute ces deux désignations prouve qu’une doctrine est déjà établie en ce qui concerne Jésus, et qu’une foi en la résurrection est non seulement acquise, mais même déjà prêchée et élaborée sous forme de catéchèse.
Étrange aussi le détail selon lequel le jeune homme indique « le lieu où on l’avait placé », car il s’adresse à des femmes – au moins Marie – qui savaient déjà « où on l’avait mis » (Mc 15:47).
À notre avis, ce texte a toute l’allure d’une représentation liturgique, dans laquelle la catéchèse déjà établie est reprise sous forme de dialogue. En tout cas, ces quelques remarques nous amènent à penser que Marc met dans la bouche du « jeune homme » des paroles qui font déjà partie de la liturgie officielle d’une Église. Ainsi, ce n’est pas cette vision qui a engendré la foi au Christ ressuscité, mais la foi au Christ ressuscité, dans sa formulation ecclésiale, liturgique et catéchétique, qui a donné naissance à la vision.
Ce point de vue est confirmé aussi par le fait que le « jeune homme » donne aux femmes l’ordre d’annoncer aux apôtres et à Pierre que Jésus les précède en Galilée. Or cette annonce se trouve déjà dans les évangiles de Marc et de Matthieu ( Mc 14:28 ; Mt 26:32), prétendument prononcée par Jésus avant sa mort. En fait, ces paroles sont tirées d’une catéchèse postérieure à la résurrection, et on peut s’étonner de les trouver ante litteram dans la bouche du « jeune homme » qui apparaît aux femmes.
De la même façon, dans l’évangile de Luc, les paroles que les « deux hommes » disent aux femmes relèvent d’une catéchèse et d’une théologie déjà élaborées sur Jésus. On s’attendrait en effet à ce qu’ils disent « Jésus n’est pas mort, mais il est ressuscité, il est vivant », plutôt que « pourquoi cherchez-vous parmi les morts le Vivant », titre qui montre qu’il s’agit moins de la source de la foi que de l’aboutissement d’une catéchèse déjà formulée comme évangile et liturgie (Ac 1:18). Plus encore que Marc, Luc trahit ce fait en présentant les deux hommes comme des catéchètes de l’Église : ils instruisent les femmes de ce que Jésus avait lui-même dit en Galilée : « Il faut que le fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs… » (Lc 9:22 ; Mt 16:21 ; 20:17 ; Mc 8:31). Ici aussi, comme chez Marc, il apparaît que la foi au Christ ressuscité précède les prétendues visions des femmes.
Nous pensons donc que, puisque la foi au Ressuscité précède les apparitions, elle doit être expliquée sans en tenir compte, et l’analyse de celles-ci remise à un chapitre ultérieur. Ainsi, repoussées après la découverte de la disparition du corps, puis après le soupçon de vol, et maintenant encore après la foi en la résurrection, ces visions n’apparaissent plus comme des événements capables de donner la preuve de la résurrection, mais comme des conséquences de cette foi.
Il nous reste donc à expliquer que la foi ait pu naître sans le secours de ces prodiges : comment la foi a-t-elle pu surgir au cœur de ces disciples, femmes et hommes, en proie au soupçon que le corps du Seigneur avait été volé ?
Reprenons les événements tels qu’ils se sont succédés à partir du moment où les femmes se sont portées au tombeau. À ce moment-là, si elles n’ont pas encore eu de vision, leur étonnement n’est causé que par la découverte que le tombeau est vide. Lorsque Marc affirme qu’elles « sortirent et s’enfuirent du tombeau parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes » (Mc 16:8) il dépeint, dans ces femmes, la déception de ne pas trouver le corps, leur désespoir de ne plus pouvoir accomplir le rite funèbre, leur soupçon d’un vol, leur peur d’être impliquées dans ce crime puisqu’elles sont les premières à le découvrir, l’attente angoissante de conséquences imprévisibles… Elles décident donc de « ne rien dire à personne ».
Un tel état d’âme ne pouvait avoir été provoqué par l’apparition du « jeune homme » puisque, lorsqu’il leur apparaît, c’est précisément pour leur éclaircir le mystère, pour effacer leur peur – comme chaque fois que des anges apparaissent dans les récits bibliques. Et puis, il ne se présente pas comme un spectre, mais comme un homme jeune « vêtu d’une robe blanche », donc avec cette beauté de la jeunesse et de la splendeur qui n’aurait pas dû les épouvanter.
Même si elles se proposent de « ne rien dire », elles vont quand même trouver les apôtres, tant la femme a toujours besoin de l’homme, surtout quand elle se sent en danger et « hors d’elle-même » à cause d’un événement mystérieux !
Si, laissant Marc pour suivre Luc, nous essayons de reconstituer la succession des événements qui, en ce jour de la résurrection, se sont déroulés de « la pointe de l’aurore » au « déclin du jour », nous notons que, après l’annonce de la disparition du corps faite par les femmes, Pierre court au tombeau pour s’assurer de la véracité de leurs dires. Immédiatement après vient le récit des disciples d’Emmaüs. Or ceux-ci, contant les faits du jour à l’étranger, disent bien qu’après l’annonce faite par les femmes, « quelques-uns des leurs sont allés au tombeau et ont trouvé les choses comme les femmes avaient dit, mais (que) lui, ils ne l’ont pas vu » (Lc 24:24).
Qui sont donc ces quelques-uns qui sont allés au sépulcre ? S’agit-il de Pierre ? On pourrait croire que c’est de lui que les pèlerins d’Emmaüs veulent parler, surtout si l’on tient compte du fait que l’évangile en a déjà parlé. Cependant, lorsqu’on approfondit bien le texte, il apparaît qu’en réalité il ne peut s’agir de la visite faite par Simon-Pierre au tombeau. Pour en arriver à cette affirmation, il faut nous poser un certain nombre de questions, dont la première est qui sont ces deux personnages qui se rendent à Emmaüs. Luc les désigne par « deux d’entre eux », à savoir deux d’entre ces personnes auxquelles les femmes ont annoncé la disparition du corps ; selon le même évangile, ces femmes étaient « Marie de Magdala, Jeanne et Marie mère de Jacques, et d’autres femmes qui étaient avec elles ».
Or le même texte nous fait comprendre que, en quittant le tombeau, ces femmes se divisent en deux groupes, les unes – les deux Marie et Jeanne – allant chez « les Onze et tous les autres » (à savoir leurs compagnons), et les autres allant porter la nouvelle « aussi aux apôtres » (Lc 24:9-11). Aux deux groupes de femmes correspondent donc deux groupes d’interlocuteurs : pour les unes les Onze et leurs compagnons, pour les autres les apôtres. Étant donné que ces apôtres sont distingués des Onze et de leurs compagnons, on peut penser qu’il s’agit des disciples que Jésus avait choisis, parmi les soixante-douze, pour préparer le terrain de sa prédication (Lc 10:1). Comme ils avaient reçu le même ministère que les Douze, « envoyés » comme eux pour prêcher, avec le même pouvoir sur les démons et sur les maladies, on ne s’étonnera pas qu’ils soient ici désignés du nom d’apôtres.
Dans lequel de ces groupes devons-nous ranger Cléopas et son compagnon ? Pas dans les Onze et leurs compagnons, puisque Luc nous dit plus loin que lorsqu’ils revinrent à Jérusalem « ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons » ; ils font donc partie du deuxième groupe de disciples, celui vers lequel sont allées non pas Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Jeanne, mais les « autres femmes qui étaient avec elles ».
Ces remarques nous permettent de penser que, lorsque les disciples d’Emmaüs affirment « quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau », il ne s’agit pas de Pierre, qui était des Onze, mais de quelques compagnons de leur groupe. Comme Pierre se précipite au tombeau lorsque Marie lui annonce qu’il est vide, d’autres disciples s’y rendent aussi, de leur propre initiative, lorsque les « autres femmes » leur annoncent la même chose. C’est pour cela que Cléopas et son ami ne savent rien de ce qu’ont fait Pierre et les Onze ; ils savent seulement que quelques-uns de leur groupe, étant allés au tombeau, l’ont trouvé vide, « mais que lui, ils ne l’ont pas vu ». Cette dernière affirmation ne concerne donc pas Pierre.
Au moment du départ des deux disciples pour Emmaüs, ou même après qu’ils soient partis, « Pierre partit et courut au tombeau. Mais en se penchant il ne vit que des bandelettes. Et il s’en retourna chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé » (Lc 24:12). Ce texte ne nous dit pas que Pierre a vu Jésus, il nous dit seulement qu’il est « surpris » ou « émerveillé » de ce qui arrive. On peut, bien sûr, affirmer que l’émerveillement n’est pas une déception, mais le présentiment que quelque chose s’est passé, qui le dépasse et lui pose des questions. Cependant, l’apôtre ne voit rien.
Il est donc certain que le tombeau est vide. Qui a pu voler le corps ? Il nous est permis de supposer que tous se renseignent prudemment, qu’ils questionnent ici et là, mais il n’y a pas d’espoir de recevoir une réponse de la part des membres du Conseil car ceux-ci, coupables du vol, se gardent bien de révéler le mystère du tombeau désert. Ils parleront après que les disciples auront propagé la nouvelle que le Christ est ressuscité, pour les charger de la responsabilité du vol.
On peut supposer que les disciples ont cherché le corps ailleurs : dans les cimetières de la ville, dans les endroits « réservés » aux morts, mais sans trouver la moindre trace, ni rien qui trahisse une fosse fraîchement creusée. Cette hypothèse nous est suggérée par les paroles que les textes font dire aux anges qui se montrent aux femmes : « vous cherchez parmi les morts celui qui est vivant », ou « c’est le Christ, le Nazaréen, que vous cherchez ». Nous trouvons, dans ces paroles, le reflet de toute la recherche des disciples, de leur enquête auprès des gens et sur les lieux où étaient situées les tombes. On s’explique ainsi que ces gens interrogent les disciples : « qui cherchez-vous parmi les morts ? » , à quoi ils répondent « Jésus le Nazaréen, le crucifié ». Cette course pour retrouver le corps du Seigneur est également suggérée par le récit de Jean, lorsqu’il fait dire à Marie « et nous ne savons pas où on l’a mis ».
Mais Jésus n’est pas là, il reste introuvable même parmi les morts, car il n’a pas, comme chacun d’eux, un tombeau pour son corps.
C’est au moment où cette recherche s’avère infructueuse que les disciples se souviennent des paroles du Seigneur concernant sa mort et sa gloire. C’est le moment où entre en jeu le « souvenir » du Seigneur, souvenir qui ne tardera pas à devenir la partie la plus importante de la liturgie, « l’anamnèse ». Les paroles concernant le Seigneur, celles qu’il avait dites lui-même et celles tirées des Écritures, sortent du tombeau de leur inconscient. Ce « jeune homme », ces « deux hommes » et ces « anges » personnifient cette sortie de la parole hors de l’oubli.
Les synoptiques confient aux anges qui apparaissent aux femmes un rôle de catéchètes, car ce n’est pas seulement pour leur annoncer que Jésus est ressuscité, mais qu’il est ressuscité et qu’elles le verront comme il l’a dit (Mc 16:7 ; Mt 28:6 ; Lc 24:6) que ces anges se présentent. Ils sont donc là pour rappeler aux femmes et, par elles, aux disciples, les paroles de Jésus à propose de sa mort et de sa résurrection. Luc, là-dessus, est plus explicite : il fait dire aux « deux hommes » : « Rappelez-vous comment il vous a parlé lorsqu’il était encore en Galilée : il faut, disait-il, que le fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour » (Lc 24:6).
Nous nous rendons compte que ces « rappels » faits par les anges ne sont destinés qu’à nous renvoyer aux passages dans lesquels Jésus aurait explicitement annoncé, à l’avance, sa mort et sa résurrection (Mc 8:31-33 ; 9:30-32 ; 10:33 ; Mt 16:22 ; 17:22-23 ; 20:17-19 ; Lc 9:22 ; 9:44-45 ; 18:31-33). Or, si nous lisons ces textes, nous constatons qu’ils sont tellement explicites et précis qu’il est très étonnant que les disciples ne s’en soient pas souvenus immédiatement après la disparition du corps de Jésus. Au contraire, nous les trouvons encore en proie au doute, soupçonnant un vol, cherchant de tous côtés pour retrouver le corps, bref si éloignés de comprendre la signification de la mort de leur Seigneur et de la disparition de son corps qu’il leur faut la mémoire des femmes – elle-même soutenue par les paroles des anges – pour parvenir à se souvenir de ces paroles pourtant inoubliables !
En réalité, tous les passages que nous venons de citer sont le fruit d’une foi déjà témoignée et articulée par le « credo » des Églises. À propos de l’un de ces passages, d’ailleurs, Luc se croit obligé d’ajouter « mais ils ne comprenaient pas cette parole : elle leur demeurait voilée pour qu’ils n’en saisissent pas le sens, et ils craignaient de l’interroger sur cette parole » (Lc 9:45). Pourquoi Luc affirme-t-il que cette parole devait rester voilée, si elle était en fait aussi claire et sans voile que son texte l’exprime ? Il serait plus juste de penser que Jésus n’a pas annoncé sa mort et sa résurrection par des paroles aussi précises que celles que l’évangéliste lui prête, mais plutôt qu’il a exprimé sa mort et sa glorification par des images tirées des prophéties messianiques : l’image de Jonas ou celle de la destruction du temple nous donnent d’ailleurs des exemples de la façon dont Jésus s’exprimait probablement sur des sujets semblables.
Il n’est pas moins curieux que Luc affirme aussi que les disciples « craignaient de l’interroger sur cette parole ». Pourquoi, en effet, auraient-ils eu cette crainte ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une assertion « du cru » de l’évangéliste, visant à justifier le désarroi des disciples devant la mort du Seigneur et la disparition de son corps, désarroi qui aurait été inconcevable s’ils avaient vraiment entendu ces paroles de la bouche de Jésus, et s’ils les avaient comprises ou se les étaient fait expliquer par lui !
Ce à quoi visent, finalement, toutes ces références, c’est à faire comprendre que, devant ce tombeau vide – mais seulement après qu’ils aient épuisé toutes les autres explications possibles ! – les disciples ont vu se déclencher en eux, dans leur esprit, un processus de « mémorisation » de la vie de Jésus et une recherche de la signification de sa mort dans les Écritures.
Luc semble moins désireux de rappeler les paroles mêmes de Jésus que de convaincre que le Christ devait mourir : il le fait dire par Jésus avant sa mort (Lc 9:44), il le fait répéter par les anges (Lc 24:6), il le fait redire enfin par le Ressuscité (Lc 24:26 ; 46). Or comment les disciples pouvaient-ils savoir que le Christ devait souffrir, si ce n’est en interprétant, dans les Écritures, « tous les passages le concernant, en commençant par Moïse et jusqu’aux prophètes » (Lc 24:27) ? Et cette recherche, ils l’ont faite, la poursuivant non seulement chacun de son côté, mais aussi par groupes, en discussions animées (Jn 20:24-25 ; Lc 24:13-25). Par elles, ils ont été amenés à comprendre que Jésus, parce qu’il était le Christ, est mort conformément aux Écritures qui disaient de lui qu’il devait mourir, mais qu’étant mort comme Christ, il était aussi exalté, comme les Écritures l’avaient dit de la glorification du Christ.
Le tombeau vide était là, toujours sous leurs yeux, donnant à l’interprétation des disciples sur la glorification de Jésus un sens concret, tout comme la passion et la mort avaient donné un sens concret aux prophéties sur la mort du Christ. Le tombeau vide ne pouvait permettre d’interpréter cette gloire autrement que comme un enlèvement du corps du Christ au ciel, autrement que comme une résurrection.
Le quatrième évangile nous décrit ce processus de foi dans son récit de la visite au tombeau de Pierre et de « l’autre disciple que Jésus aimait ». Jean fait la même narration que Luc, mais en l’animant du souffle de la foi.
Après que Marie de Magdala soit venue lui annoncer que le tombeau de Jésus était vide, « Pierre partit… avec l’autre disciple, et ils se rendirent au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble. L’autre disciple, plus rapide que lui, distança Pierre et arriva le premier au tombeau. Se penchant alors, il vit les bandelettes à terre, cependant il n’entra pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arriva à son tour ; il entra dans le tombeau et vit les bandelettes à terre, ainsi que le suaire qui avait recouvert la tête de Jésus et qui n’était pas avec les bandelettes, mais roulé dans un lieu à part. Alors l’autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra à son tour : il vit et il crut » (Jn 20:3-8).
Pas plus que dans le récit parallèle de Luc, il n’est dit dans le récit de Jean que Pierre a eu une vision de Jésus : la seule chose qu’il voit, c’est les bandelettes et le suaire, et c’est par ces signes qu’il croit.
Pourtant, le texte de Jean nous fait entrevoir quelque chose de nouveau : la foi de Pierre naît à cause de celle de Jean, qui « vit et crut ». Le quatrième évangile semble jouer sur le mot « voir », lui donnant tantôt un sens matériel, tantôt un sens symbolique. En voyant les bandelettes, Jean « voit » le Christ, parce qu’il reconnaît en elles les signes de la victoire de Jésus sur la mort : ces bandelettes abandonnées à terre, ce suaire plié et laissé en un autre endroit, sont comme des choses devenues inutiles puisque Jésus n’est plus mort. C’est la vue de ces signes qui amène les deux disciples à la foi, et on peut ajouter que cette vue des signes concrétise dans l’espace et le temps la « vision » du Ressuscité que Jean et Pierre ont eue par la foi.
Il est évident qu’il ne s’agit pas, ici, d’un signe liturgique. À la différence des autres évangélistes, Jean saisit la réalité du Ressuscité moins dans l’ecclesia en tant qu’institution, que dans l’ecclesia en tant que koinonia. La dimension dans laquelle on « voit » Jésus, c’est l’amour. L’écriture fait voir que les bandelettes sont le signe du Ressuscité dans la mesure où l’amour envers le Christ remplit le cœur des disciples et, en le remplissant, les situe vis-à-vis de lui. On comprend alors pourquoi le quatrième évangile fait voir et croire non pas Pierre, mais l’autre disciple, « celui que Jésus aimait » : la « vision » est une rencontre dans une relation d’amour. Ce thème sera repris et développé par ce même évangéliste dans le récit de l’apparition de Jésus à Marie de Magdala (1).
Mais comment ces signes – les bandelettes, le suaire… – peuvent-ils amener les disciples au « voir » propre à la foi ? Toujours par référence à la parole des Écritures. Jean termine son récit de la visite de Pierre et Jean au tombeau en disant : « en effet, ils n’avaient pas encore compris que, d’après les Écritures, il devait ressusciter des morts » (Jn 20:9). C’est la lecture et la connaissance des Écritures qui leur révèlent la signification des bandelettes jetées à terre : Jésus est ressuscité ! Ainsi ce n’est pas Jésus qui sort du tombeau, mais la parole qui, à l’occasion du fait du tombeau déserté, surgit des Écritures et annonce que le Christ est ressuscité. Ce n’est donc pas l’apparition du Christ aux disciples qui amène ceux-ci à la foi, mais bien leur foi en la résurrection, née de leur méditation des Écritures, qui explique les apparitions du Ressuscité.
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(1) Voir. 
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