ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  création  de  l’homme



Genèse 1: 26-28




Analyse du récit :



3- L’événement de la création
    de l’homme



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Sommaire

Les textes

Analyse du récit
Le contexte
Le projet
L’événement

Reconstitution du     mythe originel
Indices de censure
Le texte mythique

Regard critique d’ensemble


ieu fit l’homme à son image, à l’image de Dieu il le fit, homme et femme il les fit. »

   Dans ces propositions, Élohim quitte son intériorité pour l’extériorité du monde, passe de l’intention à l’acte. Notons aussi que le « faire », exprimé par le « bara », inclut la création de l’homme dans celle du monde, laquelle à travers l’homme est accomplie par un retour à Dieu. Le texte ne parle plus ici de ressemblance, mais il affirme seulement que l’homme est fait à l’image de Dieu. Serait-ce parce que la ressemblance doit être incluse dans l’« image » ? Ou bien, le texte a-t-il subi une censure et présente-t-il une aporie ?

   La phrase enchaîne trois énoncés dans une détermi­nation croissante de sens : Élohim le fit à son image, à l’image d’Élohim, mâle et femelle.


« Élohim créa l’homme à son image ». Dans cette première proposition le mot « image » en relation avec le verbe « bara » prend une valeur particulière.

   Dieu fait l’homme par la même puissance créative par laquelle il a créé le monde. La création de l’homme est à la fois répétition et accomplissement de celle du monde. Mais aucun des « étant » du monde n’a été fait à l’image de son créateur. Cela n’était pas le cas dans le récit primitif mythique, où le monde a été engendré par Dieu. Mais dans cette nouvelle rédaction, le monde n’est pas à l’image de Dieu car, pour le créer, Dieu n’a pas eu recours qu’aux formes mathématiques et géo­métriques, comme aux lois de l’énergie, qui lui avaient permis de se faire par lui-même. On pourrait affirmer que le monde est à sa propre image. Mais pour l’hom­me, Élohim a eu recours à un modèle, qu’il était lui-même. Dieu crée donc l’homme à son image, parce qu’il le fait à son modèle.


« À l’image d’Élohim il l’a fait ». S’agit-il d’une répé­tition purement rhétorique de la première proposition ? Pas seulement, car toute forme littéraire met en évi­dence un aspect caché de la signification des mots. Étant fait à l’image de Dieu, l’homme est aussi cette image, qu’il porte dans sa chair. Ce qui correspond à l’emploi du mot « selem », qui désigne aussi une statue, une idole. « Beselem », que nous traduisons par « à l’image », peut être aussi traduit par « en image », dans la mesure où, par la création, Dieu fixe son image dans une réalité où elle peut être vue et reconnue. Justement, la Septante traduit « selem » par « icône » ( eikon ).


« Mâle et femelle il les a faits ». La troisième propo­sition semble connaître une transgression des lois de la grammaire et une distorsion du sens. En effet, le pro­nom « les » ne suppose pas le nom mais le précède, privant de sens la proposition, ou contraignant le lecteur à des corrections.

   On peut lire, en supprimant le pronom, l’affirmation: « il a créé l’homme et la femme ». Ou, en remplaçant « les » par « le », qui présuppose l’homme : « Mâle et femelle il l’a fait ». Dans le premier cas, le sens est obtenu par une amputation syntagmatique du texte, dans le second par une substitution. Mais quel est le sens véridique ? Celui du texte ou l’interprétation selon notre bon plaisir ?

   Pour que ces corrections soient fondées et le sens légitime, il convient d’analyser le phénomène qui affecte le texte, pour en déterminer les causes. S’agit-il d’une erreur de rédaction ? Ou bien, est-ce une aporie résul­tant des contradictions internes du texte, ou encore d’une censure qu’il aurait subie lors de la rédaction ?



ERREUR OU CENSURE ?


Je me propose d’exposer et d’analyser les corrections possibles du texte afin d’en dégager un sens, en recher­chant aussi les réactions du récit dans le corpus syntag­matique comme dans la cohérence du sens.

   Dans la mesure où, en raison de sa cohérence, le texte refusera ou acceptera ces corrections, nous serons à même de déceler le phénomène d’écriture qui le ren­dait illisible.


1) La première correction concerne l’abolition du pro­nom « ils », considéré comme une erreur de rédaction étrangère au sens du récit. Ce qui donne : « Dieu a créé l’homme et la femme ». Les rédacteurs modernes, com­me Segond, font cette traduction.

   Mais le texte réagit à ce sens. Comme je l’ai dit, les trois propositions de la deuxième partie s’enchaînent pour former une phrase, dont le sujet est identique : « Élohim », ainsi que l’objet, l’homme. Dès lors, la cor­rection exigée par le texte ne supprime pas le pronom, mais le remplace par le pronom de la troisième personne « il » ( oto ) qui présuppose l’homme, comme dans la deuxième proposition. Ce qui redonne à la proposition un sens cohérent avec la phrase, où l’objet est l’homme en tant qu’image de Dieu : « Il le fit mâle et femelle ». Et il le fait ainsi, précisément, pour qu’il soit à son image.


2) D’où vient cette erreur ? Non certes d’une faute de rédaction, mais d’une altération du texte pour aliéner son sens. C’est le cas de la falsification d’un document, ou de la censure d’un texte pour l’insérer dans un autre discours. Dans tous ces cas, la censure introduit vir­tuellement dans le texte un sens différent, suscitant ainsi une aporie. Il faut en conclure que les énoncés sur la création de l’homme et tout le récit de la création par Élohim, qui les inclut, ont été censurés afin qu’ils soient lus dans un sens diffèrent.


3) La condition scripturaire de ce texte confirme cette hypothèse. Au début de cette étude, j’ai mentionné qu’il s’agit d’un récit élohiste sur les origines du monde, associé à des récits sur le même thème propres à la tradition yahviste. Or ces deux traditions s’opposent sur leur conception de Dieu et de l’homme, et sur leur propre vision du monde. Elles n’auraient pas pu être associées sans que l’une soit adaptée à l’autre.

   Ainsi le récit de tradition élohiste n’a pu être inséré qu’à la suite d’adaptations et de retouches : le récit élohiste fut interprété avec la clé yahviste.


La lecture du texte yahviste sur l’origine de l’homme prouve qu’il est non seulement différent, mais opposé au récit analogue de la tradition élohiste. De plus, cette opposition rejoint les aspects qui le caractérisent en propre. Soulignons-les, à présent.

   Le récit décrit la création d’Adam, qui ne désigne pas l’homme en général mais la personne du premier hom­me. Quant à la femme, elle n’est pas créée par le même acte de création qu’Adam, mais à sa suite, à partir d’une de ses côtes.

Cathédrale d'Amiens, la création d'Eve
Cathédrale d'Amiens


   Dès lors, elle a été faite à l’image de l’homme et elle est aussi à l’image de Dieu par la médiation de son modèle, l’homme, Adam. En effet, elle est appelée « ischa », c’est à dire « tirée de l’homme » ( isch ) Gn 2: 23 ).


Or cette conception de la création de l’homme ne pouvait que s’opposer à celle du texte élohiste, où Adam ne signifie pas un individu mais l’homme. Aussi la femme, « Ischa », contredisait la femme que Dieu avait créée avec l’homme, à son image et dont le nom était « Ève », source de vie Gn 3: 20 ).

   En raison de cette opposition, le texte élohiste ne pouvait pas être inséré dans le récit yahviste sans être soumis à la censure. En effet, si le nom d’« Adam » demeure, il ne désigne plus l’homme, mais le premier individu humain. Même si demeure l’affirmation d’Adam créé à l’image et à la similitude de Dieu, elle se réfère au premier homme et non à l’être humain. La deuxième proposition l’a confirmé puisqu’il s’agit de l’homme fait à l’image et non à la « ressemblance » de Dieu. Enfin, dans la troisième proposition, le pronom singulier est devenu pluriel pour donner la phrase : « Dieu a créé l’homme et la femme ».

   Affirmation cohérente, puisque la création de l’hom­me générique laisse la possibilité de celle des hommes individuels, que Dieu crée mâle et femelle, tout d’abord le mâle, Adam, puis, sur le modèle de celui-ci, la fe­melle, « Ischa ».

   Ainsi le texte élohiste a-t-il été censuré pour éviter de s’opposer directement au récit yahviste ; l’un et l’autre devenaient complémentaires.




Le 10 février 2002




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