ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  création  de  la  femme



Genèse 2: 18-25




Analyse et interprétation
du récit

La création de la femme







Texte et contexte

Excursus exégétique

Analyse et inter­pré­tation du récit
- Introduction
- La création de la
   femme

  . Introduction
  . La solitude de
    l'homme

  . Profil existentiel
    de la femme
  . Création des ani-
    maux
  . Création de la
    femme
  . Adam, andro-
    gyne ?
  . Comme une nais-
    sance
- Les fiançailles
- ...




La solitude de l’homme


   Dieu décide de créer une femme après s’être convain­cu, par la situation existentielle de l’homme, « qu’il n’était pas bon qu’il soit seul. » Cette constatation est exprimée sous la forme d’un principe éthique dont la vérité apparaît à l’évidence. Dieu ne prononce pas cette parole comme un reproche fait à l’homme, qui n’est pour rien dans sa soli­tude, mais pour lui-même, dans une intime conviction.
   Cependant elle est déconcertante. Même véridique et évidente, elle semble étrangère à un Dieu qui vient de cré­er l’homme. Comment Dieu peut-il savoir par expérience qu’il n’est pas bon que l’homme n’ait pas de femme, s’il l’a lui-même créé ainsi ? N’aurait-il pas dû le savoir d’avance ? La connaissance de Dieu est différente de celle des hommes, puisqu’il connaît a priori, à partir des cau­ses, tandis que l’homme ne connaît qu’a posteriori, à partir des effets. Dieu savait donc ! Alors pourquoi s’en convainc-t-il maintenant seulement ? On pourrait lui de­man­der : « Pourquoi as-tu créé l’homme ainsi, si tu savais qu’il n’était pas bon qu’il soit seul ? Et si tu l’ignorais, comment as-tu fait pour le créer ? »
   Reportons-nous au premier chapitre de la Genèse, où Élohim crée l’homme mâle et femelle dans le même acte de création, parce qu’il sait que l’homme ne peut pas vivre sans la femme, comme elle sans l’homme. Au cours de l’exégèse, nous avons avancé l’hypothèse qu’Élohim (que le récit associe à Yahvé comme co-créateur), voyant Adam solitaire et sans femme, aurait dit à Yahvé « il n’est pas bon que l’homme soit seul » ! Yahvé aurait ainsi créé la femme à la suite de la remarque d’Élohim.
   On pourrait alléguer que le texte utilise ces paroles dans le but pédagogique d’amener l’homme à comprendre qu’il est bon pour lui de se marier. Mais cette interprétation ne serait pas conforme au texte, car alors Dieu aurait créé l’homme dans le cadre d’une nature partagée, où la femme serait déjà inscrite dans le plan de création. Il ne semble pas en être ainsi, car pour donner une femme à l’homme, Dieu a eu besoin de le soumettre à un nouvel acte de créa­tion ! De plus l’homme, qui semble ne pas en avoir con­science, n’éprouve pas sa solitude comme un mal.

   Ces questions, déjà posées dans l’excursus, n’ont pas encore reçu de réponse appropriée, parce que nous avons cherché à comprendre le récit par des modes de pensée qui lui sont étrangers. En effet, ces questions exigent une réponse qui procède par induction de données de l’expé­rience, ou par déduction de principes de rationalité, tandis que le récit argumente par analogie, c’est à dire par des rapports de similitude qui caractérisent Dieu, l’homme et la femme à partir de l’expérience vécue.
   Ce mode de pensée n’est pas celui des philosophes, mais celui des poètes, des peintres, des romanciers, et aus­si des hommes dans leur discours quotidien. Ordinaire­ment, on ne s’exprime pas à l’aide de concepts universels et ra­tionnels des choses, mais par des images issues du vécu de l’expérience, qui se traduisent dans notre esprit en des structures formelles qui deviennent les modèles empiri­ques de nos actions. La pensée courante se développe au mo­yen de catégories par lesquelles nous classons les objets de la perception et les définissons par leurs images. Or, cette façon de penser analogique est aussi employée pour des objets qui sont au-delà des limites de l’expérience et de la connaissance rationnelle, comme Dieu, les origines de la vie, ou la finalité de l’homme. Par ces catégories empiri­ques et pratiques, nous cherchons à appréhender ce dont nous n’avons aucune perception, non dans son essence mais par son impact sur notre existence.
   Quand les récits de la création sont nés, le peuple juif était au commencement de son histoire, accaparé par le souci de donner un sens et de l’élan à l’évolution de son existence dans le monde. Il ne le pouvait qu’en cherchant à déchiffrer ses origines en Dieu, en transférant son expé­rience et son existence au-delà du temps. L’analyse de ce récit exprime ce transfert de l’expérience que le peuple juif avait de la femme dans la praxis de sa vie et dans ses lois. C’était la femme que l’homme recherchait pour qu’elle lui appartienne comme épouse, dans une suite d’actes, de rencontres, de rites et de situations, qui allaient du désir de la posséder à la cohabitation avec elle. Ce récit est la sublimation de l’expérience de la femme réelle vécue et rê­vée par les hommes de l’histoire. Il traduit en événements originels les schémas empiriques des relations entre hom­me et femme.

   La femme désirée, fiancée puis épouse de l’homme, de phénomène d’expérience devient événement prototype ; la femme des origines a été imaginée sur le modèle de celle de l’histoire, pour jouer le rôle d’image exemplaire, por­teuse de sens.
   Je me propose d’approfondir ici ce transfert constitutif du mythe. Pour l’heure, ces remarques suffisent pour ac­céder à la compréhension du récit par ses propres catégo­ries de pensée et d’expression.

   L’affirmation « il n’est pas bon que l’homme soit seul », avant d’être l’expression du Créateur, a été enten­due dans les familles, surtout celles du judaïsme. En effet, ce texte est propre à l’éthique du peuple juif, selon laquelle le célibat est un mal, pour la société comme pour l’indivi­du. Plus que les autres nations, le peuple juif est obsédé par son expansion quasiment eschatologique dans le mon­de. « Je rendrai ta postérité comme la poussière de la terre » (Gn 13: 16), dit l’oracle de Dieu à Abraham ! Cette descendance constitue non seulement une lignée généa­logique, mais aussi l’héritage du père comme source de sa moralité, le sens de son histoire, de sa force et de son bonheur. Chez le peuple juif, le mariage n’a d’autre but que la procréation, qui prime sur l’amour. Ainsi, si un mari meurt, son frère survivant doit s’unir à sa femme, afin que le défunt ne demeure pas sans descendance (Dt 25:5) ; Dieu intervient lui-même auprès de la femme, si elle est stérile. Non, il n’est pas bon que l’homme soit seul !
   Remontant du temps historique à celui du commence­ment, ces paroles attribuées à Dieu font de lui un père et d’Adam son fils. Aussitôt créé, il entend de la bouche de son créateur, comme tout juif majeur le reçoit de celle de son père, le principe qui gouverne sa morale et sa marche dans l’histoire, « il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Et Adam, comme tout homme juif, chemine à la recherche de la femme, selon le processus du statut du mariage qui conduit la femme des rêves de son désir à la situation d’épouse, qui cohabite avec l’homme comme sa servante amoureuse.






Le 6 juin 2001




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