La création de la femme
à partir de l'homme
Comment
Dieu s’y prend-il ? Rappelons-nous que, dans le récit de la
Genèse,
Dieu crée par sa parole et par son action. Pour ce faire, la création exige une matière : le Chaos (
Gn 1:2) pour la création du monde, et la poussière (
Gn 2:7) pour celle de l’homme. Aussi la matière revêt-elle pour l’action de
Dieu une signification symbolique, qui la relie à l’être. Par exemple, la poussière est investie de la signification de la mort à laquelle l’homme est condamné, mais aussi de celle de la multitude de la
génération
d’Abraham (
Gn 16:10).
La femme, quant à elle, est formée à partir d’une côte prélevée sur l’homme, ce qui implique que la femme ainsi créée, est le prototype de la condition des femmes soumises au pouvoir des hommes selon le code matrimonial juif. L’homme est leur maître, l’arbitre de leur personnalité morale et sociale, de leur féminité, de leur amour comme de leur beauté, de leur mariage comme de leur maternité.
Dans la création, l’être de la femme est à celui de l’homme ce qu’il était dans la réalité de son existence. Le transfert, comme nous l’avons dit, se fonde sur l’analogie entre ces deux niveaux de l’existence de la femme dans sa quotidienneté et de son prototype. En raison de cette analogie, la femme ne pouvait pas être créée, comme dans le récit élohiste, en même temps que l’homme, car elle aurait été son égal. De même, il était exclu que
Dieu l’ait formée de la poussière du sol, comme l’homme, parce que l’identité de création aurait aussi exigé son égalité avec l’homme dans son droit d’appartenance au monde et à la nature humaine. Si son existence était conditionnée à l’homme, la femme ne pouvait dépendre dans son être que de l’homme. Mieux même, elle devait naître de l’homme, afin que toute sa vie soit en son pouvoir.
Comment
Dieu pouvait-il faire naître une femme à partir d’une « côte » de l’homme ? Le texte précise que
Dieu a plongé l’homme dans un profond sommeil, pour lui ôter l’une de ses côtes, à partir de laquelle
il a réalisé une femme. Le symbolisme nous vient en aide pour rendre lisible une description tout à fait incompréhensible. Le verbe utilisé pour cela signifie « édifier ». On peut dès lors imaginer que
Dieu a construit le corps de la femme par la juxtaposition de côtes et l’adjonction de chair, sur le modèle du corps de l’homme. L’analogie des mots fait penser à la maison, dont la signification métaphorique désigne la femme. Le texte ne décrit donc pas la création de la femme, mais le bricolage d’une construction qui appelle l’image de la femme.
Cependant, le symbolisme nous permet de préciser sa signification. Nous avons dit dans l’
excursus que le mot « côte » revêt aussi un sens symbolique. Il dérive de l’expression « être à côté ». Or qui vit à côté de l’homme, sinon la femme qui, par le mariage, est la compagne de l’homme ? Le mot exprime donc symboliquement le corps que l’homme offre à la femme pour qu’elle devienne « à ses côtés », c’est à dire sa compagne, sa fiancée, son épouse. Lui étant offerte, la « côte » devient sa chair, son corps « à côté », lié à lui. Le récit traduit ainsi en un acte créateur (
bara) la relation d’être et d’existence par laquelle la femme appartient à l’homme, et l’homme à la femme.
Nous voici parvenus au cœur du récit, établi sur l’enchaînement de relations symboliques entre « côte » et « être à côté », et entre « être à côté » et « la femme ». Ainsi est affirmée l’identité symbolique entre « côte » et « la femme ». Toutefois, la « côte » a aussi une fonction matérielle et organique car, « prise » à l’homme, elle structure une femme vivante.
Or ce n’est pas la « côte » dans sa matérialité osseuse qui possède cette fonction, mais la « côte » comme symbole d’un organe qui a pour rôle d’engendrer précisément cet « être à côté », qu’est la femme. Cet organe, qui ne peut être que le sexe, symbolise ainsi la femme par la médiation de « l’être à côté ». Ainsi, au sens large,
Dieu « extrait » la femme de l’homme (
ichah de
ich), c’est à dire concrètement que, par son sexe, il engendre la femme.
Ce sens, matériel et fonctionnel,
Adam le confirme
lorsqu’il désigne la femme comme «
la chair de ma chair », ce qui est précisément à l’aboutissement de l’union sexuelle de l’homme et de la femme. Dans la création,
Dieu engendre la femme de la chair de l’homme, et
il exprime ainsi, au niveau de l’être, cette union sexuelle qui donne sens aux relations entre homme et femme au niveau existentiel.
Ce mouvement des relations symboliques entre « l’homme » et la « femme », la « côte » et « l’être à côté », « l’être à côté » et le « sexe », le « sexe » et la « femme » peut s’exprimer par ce graphique :
Côte = être à côté
homme femme
sexe