ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Les Amalécites et la sortie d’Israël d’Égypte
Analyse référentielle du récit
Sommaire
Le texte
d’
Exode
17:
8-16
Introduction
Analyse référentielle
-
Le lieu
de la bataille
-
La voie
du nord
-
Pharaon
laisse sortir
-
Yahvé parle à Moïse
-
Pharaon
poursuit Israël
Le témoignage
égyptien
L’hymne
de Moïse
Entre
mythe et histoire
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Yahvé parla à Moïse
Au fur et à mesure qu’on avance dans la réflexion,
l’hypothèse
est de plus en plus surprenante et séduisante, mais elle ne s’appuie pas encore sur un témoignage certain. Le second texte, d’origine yahviste, vient peut-être nous offrir cet appui.
1 «
Yahvé parla à
Moïse et lui dit :
2
" Dis aux
Israélites de rebrousser chemin et de camper devant
Pi-Habirot… au bord de la mer.
3
Pharaon dira des
Israélites : " Les voilà qui errent dans le pays, le
désert s’est refermé sur
eux ".
4
J’endurcirai le cœur de
Pharaon et
il se lancera à leur poursuite. Je me glorifierai aux dépens de
Pharaon et de toute son armée, et les
Égyptiens sauront que je suis
Yahvé
» (
Ex 14:
1-4
).
Commençons par retracer l’enchaînement logique de ce message de
Dieu à
son peuple.
Celui-ci est en marche pour sortir
d’Égypte par la voie du nord.
Dieu l’oblige à rebrousser chemin et à se diriger vers la «
mer de roseaux » pour sortir
d’Égypte par la voie du
désert.
Dieu profitera de sa dispersion dans le pays et de son rassemblement au bord de la
« mer » pour attirer l’attention de
Pharaon et endurcir son cœur contre les
fils d’Israël au point de les poursuivre. Effectivement,
le pharaon
les poursuivra jusqu’au rivage. Les
fils d’Israël seront-ils pris ? Non, car
Dieu accomplira un prodige par lequel
il se glorifiera aux dépens
du pharaon et de son armée, et les
Égyptiens sauront
qu’il est le
Dieu
d’Israël.
Logique de délire du pouvoir ! Le texte suppose qu’il y a un antagonisme entre
Dieu et
le pharaon, qui ne peut se résoudre que par une lutte mortelle. Rappelons que, quand
Moïse dit à
Pharaon : «
Ainsi parle
Yahvé, le
Dieu
d’Israël : laisse partir
mon peuple
»,
Pharaon répond : «
Qui est
Yahvé, pour que j’écoute sa voix et que je laisse partit
Israël ? Je ne connais pas
Yahvé
» (
Ex 5:
1-2
).
Yahvé se propose alors de faire connaître à
Pharaon qui
il est.
Le peuple, ayant reçu de
Pharaon l’autorisation de partir (
Ex 13:
17
) et choisi de prendre la voie du nord, est déjà en route, ayant probablement franchi le
torrent
d’Égypte.
Yahvé ordonne de rebrousser chemin, avec pour effet la désorganisation
du peuple qui se trouve à nouveau en
Égypte, mais dans une condition bien différente : de travailleurs, les
Israélites sont devenus des fugitifs ; amis du peuple,
ils en sont devenus ennemis, ayant profité de leur départ pour faire des emprunts en or et en argent
qu’ils comptaient bien ne pas rembourser, car
ils les considéraient comme un butin de guerre (
Ex 12:
35-36
). Ayant seulement été autorisés à quitter provisoirement le pays pour rendre un culte à
Yahvé dans le
désert (
Ex 5:
1
),
ils s’étaient enfuis. D’où leur dispersion pour éviter la vengeance des
Égyptiens et la poursuite par
Pharaon à la découverte de leur tromperie.
Mais
Yahvé voulait cela ! Conduisant
peuple et
persécuteur au bord de la
mer de roseaux,
Yahvé refermera son piège stratégique par un prodige qui affirmera son pouvoir contre
le pharaon d’une façon définitive, et l’existence
d’Israël comme
son peuple.
Bien que l’orchestration de cette vengeance soit délirante, je ne pense pas qu’elle ait été attribuée à
Dieu par des fous, si toutefois on est convaincu que la religion n’est qu’une folie… L’exigence rationnelle de l’analyse me pousse cependant à supposer qu’il s’agit ici d’une interprétation théologique et mythique aliénante destinée à censurer des faits que la conscience religieuse considérait comme scandaleux.
Pour retrouver ces faits, il suffit de détacher l’objet du message – la sortie
d’Israël
d’Égypte – de l’
a priori
de la parole de
Dieu pour le resituer dans le contexte phénoménal du possible historique. L’interprétation aliénante est comme le rêve qui refoule les faits réellement accomplis par leur sublimation. Ici la sublimation est obtenue par la transposition du fait du contexte phénoménal à la personne divine. Le phénomène demeure, mais son intelligibilité change parce qu’il est inséré dans une autre perspective et dans un autre niveau d’être. Essayons de le détacher.
Le message suppose que les
fils d’Israël sont en chemin sur la voie de sortie de
l’Égypte par le nord. La parole de
Dieu, raison suprême de cette sortie, leur ordonne de «
rebrousser
» chemin, en d’autres termes de faire marche arrière pour sortir par la voie du
désert. Mais ce message de
Dieu n’a pu être compris et formulé que par l’interprétation théologique du fait que les
fils d’Israël étaient en repli pour des raisons autres que celles du message.
Deux replis donc : le phénoménal de l’expérience, et celui du message, refoulement vécu au niveau des faits et refoulement vécu au niveau du dire, chacun différent dans son être et son intelligibilité, car le premier est déterminé par un processus de causalités empiriques, le second par la volonté de
Dieu. Ainsi ont-ils des causes et des perspectives différentes. Dans les faits, le repli des
Israélites est causé par le refoulement dû à l’attaque de ceux qui défendaient la terre qu’ils avaient envahie, au niveau du message par l’intention de
Dieu de détruire la puissance du
pharaon. Le premier a pour perspective une fuite, le second la sortie par le
désert.
Selon le message
Pharaon, son cœur endurci par
Dieu, poursuit les
Israélites repoussés, mais pourquoi ? Probablement pour
les obliger à accomplir comme esclaves un travail
qu’ils se refusaient à faire comme étrangers rémunérés. Mais cette poursuite se passe dans un certain ordre, car
Pharaon s’aperçoit tout d’abord que
le peuple est à nouveau dans son pays mais dans une situation « d’errance » et ce n’est qu’informé des causes
qu’il détermine de
le poursuivre.
c 1975
t854140 : 20/02/2019