ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Michel Bruston

Corpus Christi







L’EFFET  ANALYSEUR 
de  CORPUS  CHRISTI



Un événement culturel


Effet analyseur de Corpus Christi

- Un révélateur
- Réactions spécifi-   ques
- Louanges et critiques
- Analyseur des évolu-   tions récentes
  . Le Monde : "De la
    dynamite"
  . Fondamentalistes
  . Laïques
  . Protestants et Juifs
  . La Croix : "Oui,
    mais"

- Exemple d’évolution

Stratégies de Corpus Christi



. . . . . . - o 0 o - . . . . . .

UN  ANALYSEUR  DES  ÉVOLUTIONS  RÉCENTES

La Croix : Oui à l’histoire...
mais à certaines conditions




    Le quotidien catholique La Croix a publié 9 articles et 6 lettres de lecteurs (les 22/3, 27/3, 1/4 12/4 et 24/4/97). L’article de Frédéric Mounier (paru en page 2, le 22 mars) annonce qu’« à l’image, on ne voit que deux sujets : d’abord le texte, dans tous ses états... lus, puis disséqués, commentés, replacés dans leur contexte... par des chercheurs amoureux des textes... C’est tout : le texte et ceux qui le travaillent. Ainsi le corps du texte prend corps pour évoquer le corps de Jésus. D’où le titre de cette série ».
    Ainsi le projet de Mordillat et Prieur est non seule­ment accepté, mais déjà intégré dans une « théologie » du texte grâce à la polysémie du mot corps, celle-là même sur laquelle joue le titre de la série : Corpus Christi. Je laisse aux théologiens le soin de comparer ce rapport au texte, nouveau (ou en tout cas récent) chez les catholiques, avec celui que les protestants ont construit au fil du temps, depuis la Réforme. Néanmoins, trois phrases importantes de l’article de Mounier, dans les­quelles celui-ci parle de « spiritualité », de « croyance » et de « foi », sont intéressantes à analyser ici.

    La première phrase est : « Mordillat et Prieur ont incontestablement réussi un pari, parmi les plus dif­ficiles : faire entrer la télévision dans l’intimité intellec­tuelle et, quoi qu’ils s’en défendent, spirituelle, des plus grands exégètes, historiens... ». Il y a donc contiguïté de deux zones, ici dénommées « intellectuelle » et « spirituelle » (à l’intérieur d’un unique champ : « l’intimité »), et l’auteur présuppose l’impossibilité que l’une s’exprime sans l’autre. Ainsi, Mounier ne sépare pas les champs respectifs de la science et de la foi. (1)
    Selon Mordillat, les chercheurs, eux, « ont bien fait la part des choses entre leur foi, leurs connaissances et leurs recherches scientifiques », même ceux qui étaient « partie prenante dans des institutions religieuses » (Sud-Ouest, 23/3/97).

    Les deux autres phrases se suivent : « La distance qui sépare le texte [évangélique] de l’histoire n’est pas ici un obstacle à la croyance. Les hypothèses contemporaines de la recherche historique, de la linguistique, sont ren­dues abordables et respectueuses de la foi, concourant à la fortifier ».
    « La distance ... n’est pas ici un obstacle... ». Est-ce là une manière de rassurer les fidèles qui ont appris au catéchisme qu’une telle « distance » n’existait pas ? Pourtant, dans ce cas Mounier pouvait dire sans équi­voque qu’elle « n’est plus un obstacle ». Pourquoi rajouter le mot « ici » ? Est-ce que cette distance reste a priori un obstacle ailleurs qu’« ici », c’est à dire en dehors de limites – non précisées – que respecte le documentaire ? L’ambiguïté – sûrement voulue – de la formulation me fait pencher pour les deux explications simultanément : dans l’absolu, la « distance » est « un obstacle à la croyance », mais – fait nouveau – cet obstacle s’évanouit dans « certaines conditions » (comme dans Corpus Christi) et les laïcs sont alors pleinement autorisés – et même conviés – à s’intéresser à l’histoire. (2)

    La dernière phrase (« Les hypothèses contempo­raines... sont rendues... ») confirme que certaines condi­tions sont remplies « ici » (dans le documentaire) : ces « hypothèses » ont été « rendues respectueuses de la foi ». Mounier ne pourrait exprimer plus clairement que la recherche historique et linguistique, dans son état « brut », est irrespectueuse vis à vis de la foi. Ne pouvant la « fortifier », elle constitue un « obstacle à la croyance » et doit par conséquent rester réservée aux clercs et aux savants.
    Ensuite, la phrase signifie tout simplement qu’il s’agit « ici » d’une bonne vulgarisation de la recherche histori­que et de la linguistique : leurs « hypothèses contempo­raines » ont été « rendues abordables » par le docu­mentaire, et c’est heureux. Mais pourquoi se limiter aux hypothèses « contemporaines » ? (3)

    Est-ce pour être à la pointe de la recherche ? Mais quand on connaît un peu l’histoire des sciences, on sait que la recherche avance souvent en réévaluant certains aspects oubliés de théories plus anciennes. On voit ainsi repris, par des chercheurs de haut niveau, certains aspects de vieilles théories, certes contredites pas les travaux contemporains, mais... on n’avait pas pensé que... en réexaminant les choses autrement... il y aurait encore des idées à en tirer ! Se limiter aux hypothèses les plus récentes relève de la mystification, car c’est faire passer pour des certitudes les derniers résultats en date. Ces résultats sont en effet forcément provisoires, et seront bientôt nuancés, modifiés par de nouvelles recherches. Ils seront même contredits, sauf s’il s’agit d’un de ces grands tournants de la pensée à propos desquels on ne revient jamais en arrière (tel : la Terre tourne autour du Soleil, et non le contraire). Mais même dans ce cas, il est utile de connaître les théories antérieures. Les passer sous silence serait de la mauvaise vulgarisation, et la plupart des scientifiques le savent.
    Alors est-ce que Mounier souhaiterait que ne remontent pas à la surface certaines hypothèses que la recherche actuelle a – provisoirement – enterrées ? soit parce qu’elles sont réellement anciennes ? soit parce que les chercheurs, dans leur majorité, les considèrent comme telles ?

    Là encore, je pense que diverses explications peuvent être simultanément valables. Une mauvaise vulgari­sation, à base de certitudes, est bien plus rassurante – et moins subversive – qu’une bonne. Et puis il y a toutes les hypothèses qui ont été condamnées par l’Église catholique à diverses époques, dont les auteurs n’ont pas été réhabilités, et que Mounier préférerait ne pas voir étalées, côte à côte avec celles des exégètes catholiques patentés. (4)
    Enfin, il y a des recherches très récentes que les chercheurs – parce qu’ils travaillent en majorité dans des cadres religieux – préfèrent passer sous silence, ou bien qu’ils qualifient publiquement de « version nouvelle d’un thème éculé » (tout en les examinant soigneusement afin d’en tirer – à leur manière – tout le profit possible).

______________

(1) On notera aussi une inversion dans la phrase de Mounier : ce n’est pas la valeur intellectuelle des savants qui s’est exprimée à la télévision pour l’intérêt du plus grand nombre, c’est « la télévision » qui est « entrée dans l’intimité intellec­tuelle » des savants. En écrivant cela, l’auteur nie que ces « plus grands exégètes » aient souhaité participer au film et faire connaître les résultats de leurs recherches.
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(2) Les clercs semblent se réserver la responsabilité de dire aux laïcs dans quels cas les dites « conditions » sont remplies – en fonction de critères qu’ils ne se sentent pas tenus de faire connaître, comme on le voit dans cet article de Mounier. Mais le pourront-ils ? C’est une autre question.
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(3) L’expression « hypothèses contemporaines » se trouve dans le « Dossier de Présentation » de Corpus Christi. Mounier la reprend à son compte et l’utilise ici dans un autre contexte textuel (à ce sujet, voir note 1).
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(4) Ernest Renan (auteur lui aussi d’une célèbre Vie de Jésus); Loisy et les autres historiens « rationalistes »; plus récemment Drewer­mann. Et très anciennement au contraire, Celse. Mis à part Drewermann, tous sont cependant cités par Mordillat et Prieur dans la bibliographie des livrets Corpus Christi.
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Paris, le 21 juin 1997




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tb012045 : 29/12/2017