EXEMPLE D’ÉVOLUTION
Il y a dix ans (en 1987) :
« Un thème éculé »
Lors de la sortie du livre
d’
Ennio Floris (
Sous le Christ, Jésus, Flammarion, 1987) les présentations dans la presse ont été plutôt négatives sauf dans
Réforme et, d’une autre manière, dans
Libération (
lire l'article).
Dans
Le Monde en particulier, on trouvait : «
Comme tant d’autres et sans grande nouveauté, Floris postule un "refoulement" de Jésus par l’Église au profit du "Christ", mais il y ajoute pour sa part une figure de Jésus tellement sinistre... » ; et la conclusion (le verdict !) était : «
Une version de plus du thème éculé : "Contre Jésus, le Christ"» (
Le Monde des Livres, 3 avril 1987).
De la
méthode présentée dans
le livre, le commentateur disait seulement : «
Utilisée avec prudence et modestie, [elle]
aurait pu se révéler féconde pour donner un accès renouvelé au Jésus de l’histoire... Dommage ! ». C’était son seul compliment. Il en précisa ensuite la signification : «
On peut appliquer la méthode sans arriver à ce résultat » (celui auquel
Ennio Floris parvient) (
Voir l'article).
Dans
un courrier adressé directement à
Ennio Floris, l’auteur de cette recension nuança ensuite son propos : «
L’idée de trouver dans les apories, les effondrements du texte, des marques d’un texte enfoui, ce texte étant celui d’un Jésus non marqué par la foi des "compositeurs" [des Évangiles]
, est excellente... Les applications que vous faites très finement [de cette
méthode]
m’ont réellement intéressé ». Mais il terminait sa lettre par le même « compliment » que précédemment : «
La méthode, à mon sens, pourra être utilisée avec profit par d’autres qui ne partagent pas vos présupposés ».
Voici ce qu’aurait pu donner à l’époque une analyse « objective » – mais intolérante – de ces péripéties : un commentateur croyant traite l’idée principale
du livre de «
thème éculé », et cela dans un grand journal ; il y affirme que certains «
résultats » sont trop «
sinistres » et que «
l’auteur ne convainc guère » de la valeur de ses thèses
(1); ainsi,
le livre se vendra peu. Pourtant, il reconnaît en privé que cette même idée est «
excellente » et que ses applications sont «
réellement intéressantes » (après les avoir mieux lues ?). Il espère que d’autres chercheurs «
utiliseront la méthode » (en l’améliorant bien sûr, à leur manière, pour parvenir plus sûrement à d’autres «
résultats »), et ceci «
avec profit » (en publications reconnues) pour la plus grande gloire de l’Église (dont
Ennio Floris «
ne partage pas les présupposés »).
L’erreur d’une telle analyse était de minimiser l’aspect positif du commentaire – fort critique il est vrai – qui parlait
du livre dans
Le Monde. Ce n’était pas le « silence mortel » souhaité explicitement par
Jacques Ellul (qui dans ce cas s’est comporté en protestant fondamentaliste), et qu’ont pratiqué tant de «
grands spécialistes », et même certains amis de
Floris. N’importe quelle critique, même mordante, valait mieux que le silence.
Paul Ricœur, par exemple, aurait pu joindre sa voix à celle de
Manuel de Dieguez (
voir l’article) qui, à la fois, a noté «
l’originalité considérable » de la
méthode, salué
un livre qui devait selon lui «
faire événement », et fortement critiqué les limites de sa réflexion épistémologique : «
Floris croit que la science atteint réellement "l’explication du phénomène", alors qu’en mettant lui- même l’accent sur l’existence des codes du sens au sein de la théorie scientifique, il est pourtant entré dans la voie d’une critique de l’imaginaire humain qui pourrait embrasser à la fois le fabuleux religieux et le fabuleux scientifique... Le tort de Floris est de n’être pas allé jusqu’au bout de sa méthode d’analyse de nos métamorphoses du monde » (
Libération, 20 avril 1987).
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(1) Bien que le commentateur l’ait nié explicitement dans sa recension, « la blessure narcissique infligée au chrétien par les thèses de Floris » était devenue de fait « un argument contre leur vérité ».