ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie



Le  Logos  dans  le  monde



Extraits d’un mémoire présenté à la faculté de théologie de Strasbourg,

sous la présidence des professeurs
Étienne Trocmé et Max-Alain Chevallier





Le Logos et le commencement


Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Introduction

Le Logos et le commencement

La dynamique du Logos

Le Logos comme médiation

Le Logos, créateur de vie-lumière

Le Logos était dans le monde

Le Logos est devenu chair

Le Logos et Dieu

En guise de conclusion


Ouvrages cités



n archè èn o logos, kai o logos èn pros ton théon, kai théos èn o logos

Au commencement était le Logos, et le Logos était vers dieu, et dieu était le Logos (Jn 1:1)




   Ce premier verset du Prologue johannique pose un certain nombre de problèmes importants. Le mot « Logos » est le mot-agrafe de toute la phrase. D’au­tre part, des questions se posent au sujet de « ar­chè » (commencement) , du verbe « èn » (était), de « théos » (Dieu) avec ou sans l’article défini « ô » ; enfin au sujet des prépositions « èn » (dans) et « pros » (vers).

   Tous les auteurs consultés justifient la notion de pré­existence du « Logos » à partir de deux arguments littéraires : la signification de « èn archè » (au com­mencement) et celle du verbe « èn » (était). « La pa­role doit exister avant tout commencement – écrit Van den Bussche – résider auprès de Dieu, porter en soi l’être le plus intime de Dieu ».
   Tous font référence au récit de la création dans Ge­nèse 1 ; mais ils précisent que l’« archè » (le com­men­cement) n’est pas la création. Pour eux, il est question d’une réalité « avant le commencement ». « Cette coïncidence – écrit Boismard – n’est pas le fait du hasard ; elle est voulue par saint Jean lui-même... "Au commencement", cela veut dire lorsque le Cosmos, l’ensemble du monde créé, ciel et terre, commença d’exister... "Au commencement", c’est-à-dire "au tout premier devenir du monde"... »

   Nous reconnaissons que l’auteur du Prologue jo­hannique a, sans aucun doute, fait référence au récit de la Genèse. Mais nous ne sommes pas certains que l’interprétation classique de Genèse 1:1-3 fasse réfé­rence à une « création ex nihilo », en conséquence à la doctrine de pré-existence du Dieu UN. Toutefois, il ne nous semble pas que l’auteur du Prologue johanni­que se réfère uniquement au récit de la Genèse. En effet, le Prologue dit : « Au commencement était le Lo­gos... ». C’est pourquoi, il ne nous semble pas possible de réduire le « Dieu dit... » de la Genèse à la parole du Prologue : « Au commencement était le Logos... ».
   Avec Paul Lamarche, nous pensons que l’auteur du Prologue johannique a aussi pensé à l’« archè » de l’hellénisme, c’est-à-dire à cette « raison d’être de l’hom­me et du monde ». Le Logos est « èn archè », c’est-à-dire « dans cette raison d’être » comme « com­mencement », dans ce « pourquoi du monde et des choses ». D’autre part, si le verbe « èn » (était) implique la « durée dans l’être », faut-il le com­pren­dre nécessairement comme une « éternité » en op­po­si­tion au « temps », comme une « éternité intempo­relle » ? Ou plutôt comme une « durée », c’est-à-dire comme une « permanence » ?

   Comment préciser alors le « Logos » par rapport au « commencement » ? L’auteur du Prologue johanni­que a certainement subi l’influence à la fois de la no­tion hébraïque, attestée dans Genèse 1:1-2 et de la culture hellénique. Dans la philosophie grecque que l’auteur du Prologue a connue, vivant au sein de cette culture, l’« archè » était la « raison d’être » de l’hom­me et le « pourquoi » du monde et des choses. Cet auteur n’a pas recopié purement et simplement le dé­but de la Genèse, car il n’est pas possible d’assimiler le « Logos johannique » et le « debar Yahvé » (la pa­role de Dieu).

   Qu’est alors l’« archè » du Prologue ? Nous avons déjà fait observer que pour le début de la Genèse, la notion de « création ex nihilo » n’est pas aussi évi­dente que le prétendent les théologies classiques, à cause de la « coexistence » à l’acte créateur de Dieu de la « matière informe ». C’est pourquoi, le « com­mencement » (berechit en hébreu) n’est pas néces­sairement le commencement du temps ou la cause pre­mière avant laquelle rien ne préexiste.
   Il n’est pas impossible que l’auteur du Prologue ait intégré aussi dans la notion d’« archè » quelque chose de la « raison d’être de l’homme » et de ce « pour­quoi » du monde propre à la pensée grecque. Ce « Logos » johannique qui était « èn archè » (au commencement) se trouve en même temps « èn tô kosmô » (dans le monde), et le « kosmos » (le monde) a été fait par lui. Nous nous trouvons là dans une certaine analogie avec le mouvement de la pensée grecque.

   « Au commencement était le Logos »... Pour la théo­logie classique, « au commencement était Dieu » : c’est-à-dire le Dieu « UN », l’« Être en-soi » dans lequel s’exprime la relation de trois personnes ou trois manières d’être de ce Dieu « Un ». Et la « seconde personne », le « Fils », le « Logos » est devenue « chair ». Mais, est-il possible, à partir de ce verset du Prologue johannique, de prétendre que Dieu, l’Un, l’Être en-soi, était au commencement, préexistant à tout et au monde ?

   L’hypothèse que nous avançons maintenant est osée, certes, pour toute la tradition théologique, pro­testante et catholique. Cependant, une observation plus attentive de la structure du texte du Prologue johannique nous autorise avec humilité à nous en­ga­ger sur une piste nouvelle.

   « Dieu » (ô théos), celui qui est la plénitude de l’ê­tre, celui qui ne justifie aucune vacuité, aucune ma­tière préexistante, même à l’état « informe » (tohou vabohou en hébreu) n’est pas dans le texte « au com­mencement » ; car, une fois encore, nous redisons « au commencement, il y avait le Logos ». Peut-on préciser ce qu’est ce « Logos au commencement » ?
   La position de Bultmann, citée par Giovanni Mieg­ge, dans L’Évangile et le Mythe (page 33), contient une part importante de possible quand il écrit : « Cho­se confirmée (si l’on se rapporte au concept de Logos) par le fait que la spéculation judaïque pré-chrétienne sur la Sagesse est déjà une variante du mythe gnostique fondé sur la foi juive au Dieu cré­a­teur... »

   Restons-en là pour le moment : le « Logos » (la Parole) était « èn archè » (au commencement). Il est impossible de détacher ce premier membre de phrase du second. En effet, aussitôt après le « èn archè », il convient de préciser l’expression suivante du Prolo­gue : « pros ton théon » (vers, ou en direction, de Dieu). Pour l’instant, disons seulement que le « Lo­gos » se situe « dans le mouvement » qui va du « èn » (était) au « pros » (en direction de). À ce mo­ment-là, la structure du texte du Prologue johannique nous autorise à définir le « Logos » comme « un mouvement ».




Mémoire présenté
le 13 mars 1969




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tc191000 15/08/2018