ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Pierre CurieLe Logos dans le mondeExtraits d'un mémoire présenté à la faculté de théologie de Strasbourg, |
La dynamique du Logos |
Introduction Le Logos et le commencement La dynamique du Logos Le Logos comme médiation Le Logos, créateur de vie-lumière Le Logos était dans le monde Le Logos est devenu chair Le Logos et Dieu En guise de conclusion Ouvrages cités |
ai ô logos èn pros ton théon, kai théos èn ô logos et le Logos était en direction de Dieu, et dieu était le Logos (Jn 1:1) Dans le second membre de la phrase (Verset 1:1) : « kai ô logos èn pros ton théon, kai théos èn ô logos » (et le Logos était en direction de Dieu, et dieu était le Logos), l’intérêt des exégètes traditionnels s’est porté essentiellement sur l’interprétation du « pros ton théon » et du « théos » accompagné ou non de l’article défini « ô ». « Pros ton théon ». Ce qui fait question dans cette expression, c’est l’usage de la préposition « pros ». La majorité des auteurs la traduit par « le "logos" était auprès de Dieu » (ou « avec Dieu ») dans le sens d’une proximité, voire d’une intimité du Logos avec Dieu. Van den Bussche déclare, par exemple : « L’évangéliste insiste sur la préexistence divine de Jésus en rattachant la Parole à la sphère du Dieu personnel, Dieu le Père ». Ou encore : « Le Logos désigne le Jésus historique. De cette personne historique, Jean veut affirmer qu’elle appartient à un autre monde, au monde même de Dieu... d’une existence ancrée en Dieu même, dans le sein, dans l’intimité du Père ». Pour justifier l’usage de « pros » (vers, en direction), suivi de l’accusatif, dans le sens de « para » (auprès) accompagné du datif, ces auteurs se réfèrent à la « koïné », la langue populaire, commune, dans laquelle le Nouveau Testament (et Jean, particulièrement) ont été écrits. Il reconnaît que deux traductions de base ont été proposées : d’une part, « avec Dieu » (idée d’un accompagnement), et il précise : « Quoique "pros" avec l’accusatif implique habituellement un mouvement, il est quelquefois employé dans le sens d’accompagnement, conformément à l’usage dans le grec hellénistique » ; d’autre part, « vers Dieu » (idée de parenté) : « le sens dynamique de "eis" (vers) et "pros" (en direction de) n’est pas perdu dans le grec de Jean. » Brown se montre donc plus hésitant même si, en fin de compte, il se rallie à la thèse commune aux divers auteurs. Sans doute, convient-il de rappeler aussi que Maurice Goguel donne à « pros ton théon » l’interprétation de « mouvement vers ». Il écrit : « L’expression grecque implique l’idée d’une orientation du "Logos" vers Dieu » (in Nouveau Testament, traduction nouvelle d’après les meilleurs textes, page 142, note c). De même : « Le rôle créateur est affirmé d’une manière précise dans le Prologue (1:3), mais cette idée ayant été posée, Jean n’y revient pas dans la suite. Ce qui fait du Christ le révélateur, c’est la position qu’il occupe par rapport à Dieu, du fait qu’en tant que Logos il est orienté vers Dieu (pros ton théon) et même Dieu (théos) » (La Naissance du Christianisme, page 384). L’argument de la « koïné » n’est pas sans valeur et, sans doute, son usage dans le Nouveau Testament peut avoir atténué la pureté et les nuances du grec classique. Il reste, cependant, que certains auteurs estiment pouvoir conserver la dynamique du « pros ». Nous ferons remarquer, par ailleurs, que l’auteur du Prologue johannique a su utiliser la préposition « para » (auprès) au verset 14 du chapitre premier pour exprimer l’idée de « proximité » : « ôs monogénous para patros » (comme la gloire auprès du père). Qu’en est-il aussi de « théos » ? Utilisant l’article défini « ô » ou l’omettant, l’auteur du Prologue johannique a voulu exprimer, semble-t-il, de deux manières différentes la notion de Dieu, et de cette manière indiquer deux modes différents de relation du « Logos » à « Dieu » : d’une part, le « Logos » était « pros ton théon », d’autre part, il était « théos ». Nous avons constaté que les auteurs consultés ont traduit cette différence à l’aide de critères théologiques qui sont ceux d’une herméneutique postérieure au Quatrième Évangile. Que pouvons-nous penser ? Nous ferons à ces auteurs une première remarque. Sans doute, ont-ils raison de relever que le terme « théos» est prédicat ; dans ce cas, la présence de l’article n’était pas requise. Il est donc très vraisemblable que l’auteur du Prologue, pour marquer plus clairement la distinction entre le « Logos » et « Dieu » aura utilisé (ou non) l’article devant « théos », présentant ainsi une position plus « humble » du Logos par rapport à Dieu. Nous ferons une autre remarque. Ces auteurs ne nous ont pas expliqué, selon leur hypothèse, pourquoi l’auteur du Prologue johannique n’a pas commencé par les mots : « au commencement était ô Théos » (Dieu), mais a dit : « au commencement était ô Logos » (la Parole). S’il a préféré cette formulation littéraire et philologique d’un « Logos » précédant le « ô théos », peut-être a-t-il voulu exprimer un autre genre de relation entre eux que celle de « l’unité de substance exprimée en trois personnes » ? Il est clair, en tout cas (à cause de la structure de la phrase : l’inclusion par laquelle un même mot, soulignant une même idée, se répète au début et à la fin du développement) que le terme de « Logos » est le mot-clé, le « mot-agrafe », et que ce n’est pas le mot « ô théos » (Dieu) ! Sans doute, dans la relation « ô logos - ô théos », le Logos est-il aussi « théos » (dieu ou divin), c’est-à-dire dans une situation plus « humble » et distincte par rapport à « ô théos » (Dieu), mais il « est » dieu comme ce qui « tend vers », ce qui est « orienté vers », ce qui est une « possibilité » et un « devenir » par rapport à la « plénitude ». Le Logos est théos dans sa dynamique vers « ô théos » (Dieu). Mais il convient de ne lâcher aucun des deux bouts de la perspective : le Logos était « pros ton théon », et dans le même mouvement, il était « èn archè » (au commencement). Comme pour bien insister sur cette tension impossible à réduire, l’auteur du Prologue, au verset 2 du premier chapitre, reprend comme en le « condensant » ce même mouvement : « outos èn èn archè pros ton théon » (celui-ci était au commencement en mouvement vers Dieu). Ici, l’auteur du Prologue établit un lien direct entre « èn archè » (au commencement) et « pros ton théon » (en mouvement vers Dieu). Il place en tête de phrase le « outos » (celui-ci, c’est-à-dire le Logos), signifiant clairement qu’« au commencement », il n’y avait pas « ô théos » (Dieu), mais « ô logos » (la Parole). Dès lors, nous sommes amenés à traduire : « Le Logos était au commencement en mouvement vers Dieu ». Il apparaît à l’évidence que le deuxième membre de la phrase constitue le second volet d’un diptyque dont le sujet est toujours le Logos. Si, dans le premier membre de la phrase, le sujet (Logos) était situé dans sa relation à l’« archè », ici il est mis en rapport à « ô théos » (Dieu) qui en est l’aboutissement. Après l’alpha, voici l’oméga ; et la préposition grecque qui signifie cette relation du Logos au « théos » est « pros » (en direction de, en mouvement vers...). « Ton théon » indique bien qu’il est question de « Dieu » comme « être » ; mais la préposition « pros » ajoute que cet « être » est l’aboutissement d’une dynamique, précisément celle du Logos. « ô théos » apparaît comme la finalité de ce mouvement, de cette dynamique vers l’être. L’auteur du Prologue johannique semble nous dire que « Dieu » n’est pas un « être préexistant », mais un « être dans son devenir » par le « Logos ». C’est pourquoi, ne disant pas que « Dieu était au commencement », l’auteur du Prologue johannique parle de ce « Logos en mouvement vers Dieu » : ce « Dieu » qui n’existe effectivement que dans la mesure où le « Logos » tend vers lui ! Dans cette perspective d’un dynamisme du Logos engagé entre le « èn archè » (le commencement) et le « pros ton théon » (en direction de Dieu), le « Logos » n’est pas « théios » (divin) au sens de « nature divine » ou d’« émanation de Dieu ». Il est réellement « théos » (dieu). Une commodité de transcription autorise à utiliser la minuscule (« dieu » – « théos ») pour le Logos et la majuscule (« Dieu » – « ô théos ») pour le « télos », la « finalité », la « plénitude » de toute la dynamique de l’être, de l’aboutissement de l’être (Dieu). |
le 13 mars 1969 |
tc192000 15/08/2018