ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie



Le  Logos  dans  le  monde



Extraits d'un mémoire présenté à la faculté de théologie de Strasbourg,

sous la présidence des professeurs
Étienne Trocmé et Max-Alain Chevallier





Le Logos et Dieu







Introduction

Le Logos et le commencement

La dynamique du Logos

Le Logos comme médiation

Le Logos, créateur de vie-lumière

Le Logos était dans le monde

Le Logos est devenu chair

Le Logos et Dieu

En guise de conclusion


Ouvrages cités



1- Le « devenir-chair » du « Logos » et sa dynamique « pros ton théon »



   Pour l’auteur du Prologue johannique, la notion d’« incarnation » semble l’aboutissement de celle de « médiation ». Le « réel » johannique n’est pas, com­me dans son milieu culturel ambiant l’« Idée-prin­cipe », le « monde intelligible », la causalité première. Il n’est pas, non plus, d’abord le « kosmos ». Il s’exprime dans la relation très originale qui surgit « dans le monde ». Là, la « zoè », la « poussée de la vie », l’énergie vivante en germe dans ce lieu du Logos donne accès à l’être.
   Le « kai o logos sarks égénéto » (et le logos est devenu chair) du verset 14 apporte l’explication du paradoxe. Entre le « devenir - chair » du Logos et sa « dynamique » « pros ton théon » (vers Dieu), il y a convergence. De part et d’autre, une « dynamique » est à l’œuvre pour aboutir à « l’homme dans le monde », non seulement l’homme « naturel », l’hu­manité équivoque, mais l’homme vivant. Pour l’auteur du Prologue, ce point de convergence est, sans aucun doute, Jésus de Nazareth, en qui la « lumière » qui est « vie » (zoè) jaillit et brille dans le monde ; en qui l’humanité entière peut découvrir son illumination : « to phôs tôn anthrôpon » (la lumière des hommes), verset 4.

   Nous avons dit que cette notion, totalement étran­gère à l’hellénisme et à la « gnose », a des liens étroits avec la pensée hébraïque. L’hébreu n’a qu’une seule expression pour désigner la « parole » et la « chose existante » : le mot « dabar » (cf. Psaume 33:9). Le « devenir - chair » du Logos est un mouvement de la pensée hébraïque.
   Il n’est pas sans intérêt de mettre en rapport ce verset 14 du premier chapitre de Jean avec le récit de Genèse 2:7 : « wayehi haadam le néphêch haya » (et voici, l’homme devint âme vivante). L’analogie est frappante entre cette « âme vivante » de l’« a­dam » (lui-même extrait de l’« adamah », « la terre rouge ») et le « logos sarks égénéto » , le « logos - chair », lui-même situé « èn tô kosmô » (dans le monde).
   Autre analogie entre la « rouah » hébraïque (l’ha­leine, le souffle de vie) et la « zoè » du Prologue johannique. Cette « haleine de vie » de Yahvé n’est pas sans ressembler à ce « mouvement de vie » du Logos johannique.

   L’originalité du Prologue johannique serait dans le dépassement des diverses influences du milieu culturel ambiant. On pourrait comprendre ainsi qu’une pers­pective étrangère à l’environnement culturel de ce temps-là (un logos incarné) soit devenue ce langage inédit pour exprimer la réalité de Jésus de Nazareth comme « évangile libérateur ».

   Pourrait-on aller plus avant ? Le « égénéto » du Prologue johannique serait-il un « devenir accompli », le fait d’un passé révolu dans l’existence historique de Jésus de Nazareth ? Serait-il licite de supposer que ce « devenir - chair » du Logos n’est pas épuisé dans cette personne historique ? Le « devenir - chair » du Logos ne se prolongerait-il pas toutes les fois que du « chaos » surgit « l’être », comme la sortie de « la glaise du sol» de Genèse 2:7, par la médiation du Logos ?
   Le passé du verbe « égénéto » ne serait plus seulement un passé historique (ce que Karl Barth a appelé le « caractère statique » de l’« égénéto »), pour devenir un passé indéfiniment accompli, un « après-chaos indéfiniment réalisé » par le Logos dans l’homme. Ainsi serait préservé le dynamisme permanent, la durée de l’« égénéto ».
   Dans le Quatrième Évangile, cette idée est sous-jacente à l’œuvre du « pneuma » (de l’esprit) (Jean 3:8 ; 16:13-15) ! Le dynamisme de l’« égénéto » n’a pas été épuisé dans l’acte signifiant que fut Jésus de Nazareth ; mais il prolonge son « devenir », il déploie sa « plénitude » (« plérôma », Jean 1:16 ), chaque fois que l’homme prend conscience de sa capacité d’être, chaque fois qu’il transcende son aliénation et qu’il parvient à donner du sens à son existence.





2- Le « devenir » du « Logos » et « ô théos » (Dieu)



   « Dieu » dans l’expression « pros ton théon » exprime ce « devenir » qui contient un appel infini à l’être. Dans ce « devenir », le Logos contient la capacité toujours surgissante qui exprime dans un langage historique l’appel à la transcendance incluse dans le « pros ton théon ». En cela, le Logos est liberté qui ouvre sans répit un chemin de dépas­sement ; car c’est « par lui » (dia) que tout a été fait et que tout se fait sans cesse. Ce « dia » crée le surgissement de l’être, établit une percée, un « pas­sage » des ténèbres à la lumière.

   Parce qu’il est « liberté », le Logos devient libéra­tion (ne dit-on pas que « la parole libère » ?), le re­nouvellement permanent « vers », « pour », « en vue de ». Le paradoxe johannique s’inscrit dès lors dans un langage qui peut devenir notre langage. « Dieu » (ô théos) est à la fois au terme de ce processus et à chacun de ses moments. « Dieu » (ô théos) devient le langage capable de réaliser ce mouvement d’émergen­ce qui transcende sans cesse les situations acquises, bloquées, vers un « sens » dans la conscience et l’ac­tion. Ce « mouvement en devenir » ne devra jamais se fixer quelque part, sous peine de retomber dans la « ténèbre » ; et cette « convergence » appellera tou­jours une nouvelle « émergence »... à l’infini... « pros ton théon ».

   Le « Logos pros ton théon » rejoint ici l’eschato­logie johannique, l’« au-delà » par rapport à l’« en-deça », non en terme d’espace. Cet « au-delà » jo­hannique révèle la finalité de ce devenir. Toutefois, cette « eschatologie » se produit « hic et nunc », dans l’histoire et l’historicité des hommes. Le « Logos » est devenu « chair » : ce qui est le moment spécifique de l’histoire, l’heure des choix qui, selon l’auteur du Quatrième Évangile provoque la « crise », l’auto-jugement entre ceux qui s’ouvrent à la « Parole » (le Logos) et ceux qui se ferment à elle !




Mémoire présenté
le 13 mars 1969




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tc197000 30/08/2018