ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


De Jésus-Christ à Jésus


Étude référentielle et archéologique des évangiles




La personne de Jésus :

Jésus prophète de la paternité de Dieu




Avertissement
Sommaire

Introduction

Les Écritures et le salut

Jésus, de sa naissance à sa résurrection

La personne de Jésus
- Conception et naissance
- Prophète de la paternité
   de Dieu

  . L’homme à la main
    sèche
  . Le sourd-bègue
      - Le texte
      - Prologue
      - Regard analytique
      - Regard critique
      - Ultimes réflexions
  . La multiplication des
    pains
  . Qui est ma mère ?
- Le sacrifice de la mort
- Une parole sur la croix
- La vie de Jésus
- La mise au tombeau
- Tombeau vide et
   résurrection



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Le sourd-bègue :
Regard analytique


   « On lui amène un sourd ». On remarquera que Jésus avait l’habitude de soigner les malades tous les jours, sans se sentir empêché par le repos du sabbat. Il montrait ainsi être loin des juifs qui consacraient le jour du sabbat au repos et à la prière, jusqu’à défendre tout œuvre ce jour, y compris celui du soin aux malades. Quant à Jésus, il ne séparait pas, en principe, les soins à donner aux malades de sa prédication, parce que celle-ci n’avait pour but que d’annoncer que les hommes sont tous des frères : chacun est concerné par les souffrances des autres comme par les siennes. Fait par Dieu « à son image et à sa ressemblance », tout homme doit reconnaître son prochain comme étant soi-même.

   Mais cette fois, prenant à part le sourd bègue, Jésus va loin de la foule. Pourquoi ? Pour que la guérison qu’il lui donnera reste le privilège d’une action divine ? On pourrait le croire.
   En réalité, Jésus montre avoir un souci de soigneur plutôt que de guérisseur. Avant de lui « imposer sa main » pour le guérir par un miracle, il veut se rendre compte du mal dont cette personne est affectée. Il constate qu’il est sourd (kofon), mais pas complètement, et en difficulté de parole, (mogilalon), donc bégayant. Homme concret et ayant l’expérience des malades qui vivent d’aumône dans la rue, Jésus sait que les mendiants affichent souvent leur misère et leur malaise pour apitoyer le passant.
   Sans faillir, il fourre ses doigts dans les oreilles de l’homme et, en crachant (ptusas) dans sa bouche, mouille sa langue de sa salive. Son approche est brutale ! Quant à nous, ne soyons pas ridicules en pensant que Jésus croyait que sa salive était douée d’un pouvoir thaumaturgique, car elle était celle du Christ ! Il faudrait dès lors affirmer qu’il doutait de son pouvoir christique, pour recourir à ces moyens !

   Jésus ne se proposait pas d’accomplir un miracle et savait aussi que celui-ci suppose une raison pour être accompli. Mais cet examen lui montrait que cet homme était dans un état de dégradation psychologique, plutôt que victime d’une maladie. Il demandait l’aumône par nécessité, mais cette demande n’aurait pas été efficace s’il n’avait pas joué à l’infirme, et il avait si bien et si longtemps joué ce rôle qu’il s’était éloigné peu à peu de tout comportement d’homme libre. Il avait cessé d’être homme pour avoir son pain !
   Jésus est convaincu que l’homme est devenu bègue parce qu’il mendiait en psalmodiant. Il excite en lui la conscience d’homme par un apparent mépris plutôt que par un sentiment de pitié, en crachant sur sa langue, lieu de sa parole, et en nettoyant ses oreilles de leur crasse. Et il éclate dans un impératif, comme une mère vis-à-vis de son enfant qu’elle découvrirait crasseux : « Eph­phatha ! » Débouche-toi ! Mais à qui s’adresse-t-il ? Aux oreilles et à la langue qu’il aurait guéries, les premières par ses doigts, la seconde par son crachat ? Non, certes, mais à l’homme : la racine du mal n’est pas dans ses oreilles et dans sa langue, mais en lui, par le délaissement de lui-même ; c’est lui, par la condition de sa vie, qui a paralysé la langue dans sa bouche. Il lui lance donc un cri en araméen : « Ephphatha ! », « ouvre ! débouche-toi ! ».

   Ce que nous venons de dire n’explique pas complètement ce que Jésus ressent vis-à-vis de ce mendiant, car en même temps que son impératif jaillit de ses lèvres, il lève ses yeux au ciel « en gémissant » (stenazo). Il ne gémit pas à cause d’une maladie qui affecterait le sourd, mais de sa dégradation psychologique, car il s’est rendu malade par l’abandon de sa conscience d’homme. Jésus éprouve de la compassion devant la situation pénible et triste du mendiant.
   Jésus n’opère aucun miracle, mais ordonne au mendiant de se déboucher, d’ouvrir ses oreilles à son écoute, et de sortir de la boîte de chair où il s’est lui-même enfermé. S’il accomplit un miracle, c’est au niveau psychologique, social et moral : le retour à la conscience humaine de l’homme transformé en sac à aumônes animé ! Jésus assume une attitude dure, transformant la compassion qu’il éprouvait envers lui en agression et en violence, pour le secouer : « Tu t’es bouché, débouche-toi ! » C’est à lui d’ouvrir ses oreilles à l’écoute de la parole et sa langue à son énonciation, et non à un miracle que Jésus aurait pu accomplir !

   Les paroles qui, dans le texte, suivent « l’ephphatha » de Jésus veulent nous convaincre que nous sommes sur une fausse route : « Aussitôt ses oreilles s’ouvrirent, et sa langue se délia » : cette affirmation suppose que l’ouverture de l’ouïe et le dénouement de la langue suivent immédiatement l’impératif de Jésus : « débouche-toi ! ».
   Notre démarche ayant commencé par les tentatives de Jésus pour connaître l’état d’infirmité du mendiant et les remèdes nécessaires pour rétablir sa santé, alors que cet impératif de Jésus redonne instantanément à ce sourd-muet l’ouïe et la parole, il s’est bien accompli un miracle ! Il faut donc en conclure que notre raisonnement sur l’origine non pathologique de la déficience auditive et des troubles du langage du mendiant était faux. Jésus n’aurait pas recherché les origines du mal mais il l’aurait arrêté par sa parole. Le « Ouvre-toi toi-même » résonne dans le texte avec cette même puissance que la parole prononcée par Dieu au commencement de la création de la lumière : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut. » (Gn 1:3)

   Cette affirmation n’empêche cependant pas le doute de persister, car elle ne s’oppose pas seulement à notre interprétation du récit, mais surtout au récit lui-même. En effet, que Jésus crache dans la bouche de l’homme et enfonce ses doigts dans ses oreilles, ce n’est pas nous que l’affirmons mais le récit.
   Ainsi, par rapport à la première partie, l’événement du miracle est un contresens : au lieu d’accomplir le sens du récit, ce miracle lui en donne un autre, puisqu’il ne correspond pas au corps du récit. Certes, tout récit exige de l’écrivain qu’il présente les faits dans la logique de son sens, mais ici il y a un changement qui lui demeure étranger : le récit ne finit que par une sublimation, par un jeu rhétorique imposé par la foi.
   Le « débouche-toi » de Jésus est en contradiction avec sa première attitude envers le sourd-bègue. Cette divergence nous oblige à soumettre le récit à une nouvelle analyse, critique cette fois.



août 2012




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