Qui est ma mère ?
La « folie » de Jésus
Peut-être le mot « fou » est-il trop fort, puisqu’il ne s’agit pas d’une aliénation mentale mais de l’éloignement de la vie
qu’il avait toujours menée et
qu’il aurait dû continuer à vivre :
il avait abandonné son travail et la vie dans sa famille. Le terme grec «
exeste » correspond à ce sens. On trouve cette affirmation aussi chez
Jean, selon lequel beaucoup de
Juifs disaient de
lui «
qu’il avait un démon et qu’il était pris par des manies de folie » (
Jn 10:20). On emploie ici le verbe «
maino », qui a aussi ce sens. Nous dirons donc « aliéné » au lieu de fou, ou de « fou » au sens d’aliéné de la vie ordinaire et propre à sa condition sociale.
Le fait que les siens viennent non seulement pour le persuader de retourner à la maison mais, au besoin, pour l’y ramener de force (
kratesai) suffit à comprendre qu’ils
le croyaient vraiment fou. Il y avait donc une rupture entre
lui et sa famille.
Comme elle est suivie par une vie prophétique, cette rupture nous oblige à aller plus au fond dans la qualification de cette folie. Le désir de clarté me pousse à partir de sa toute première existence, telle que je suis parvenu à la comprendre par la critique référentielle des textes.
Nous savons par les évangiles que
Jésus naît d’une
jeune-fille fécondée par
l’esprit de
Dieu, et donc
vierge, en sorte qu’on a pu concevoir sa conception comme l’incarnation de
Dieu dans la chair. Cette affirmation dogmatique est tout à fait en dehors de la voie de la rationalité. Si on se fonde sur ce que
Joseph, son époux, pensait de sa fécondation, on peut affirmer que
Marie, son épouse, avait été violée mais que, du fait du choc subi,
elle ne put rapporter que de «
s’être trouvée enceinte », sans savoir comment (
Mt 1:18). On reste ainsi dans le cadre de la rationalité, quoique aux limites du pensable.
Inéluctablement, sa grossesse fut attribuée par
les évangélistes à une intervention divine, car
ils ne pouvaient pas la supposer diabolique. L’interprétation théologique et dogmatique est le fruit d’une foi opératoire, par la voie de la sublimation et du mythe.
Ce qui demeure historiquement pensable, c’est que
Marie a été fécondée par un homme, et que l’enfant qu’elle a mis au monde, ayant pu échapper à la mort, n’était qu’un bâtard. J’ai cherché à poursuive mes réflexions à ce sujet (
voir et
aussi), mais ici il convient de s’arrêter pour rester dans les limites de notre recherche.
Cette condition de naissance peut nous aider à comprendre la vie que
Jésus mena jusqu’à la veille de sa mission prophétique.
Sa mère se remariant,
Jésus ne pouvait vivre dans la nouvelle famille qu’en se légitimant par son travail, moyen de purification de sa condition d’existence.
Il ne pouvait vivre normalement que comme esclave existentiel de son illégitimité de naissance. Toute sa vie fut conduite par une fonction de purification qui
lui ôtait toute autre possibilité.
Ce qui parvint à faire sortir
Jésus de cette condition d’existence, c’est le baptême annoncé par
Jean le Baptiste. Ce baptême
lui donnait l’espérance de pouvoir être purifié de la tache de sa naissance et de conduire sa vie dans la liberté reconnue à tous les
fils
d’
Abraham. On avait posé effectivement cette question, mais on a dû conclure que le baptême de
Jean n’avait pas cette possibilité. Pour nous, il suffit de constater que
Jésus en a pris conscience :
il quitta
Jean, quand il constata que son baptême ne
le purifiait pas de cette tache.
Au lieu de rentrer à la maison,
Jésus alla dans le
désert, sans doute pour obtenir une réponse de
Dieu lui-même. C’est là
qu’il la trouva à la lecture
d’Osée : «
Vas, prends une femme prostituée et des enfants de prostitution, car le pays se prostitue, il abandonne l’Éternel » (
Os 1:2).
Jésus constata qu’il était né de cette femme prostituée et que, par conséquent,
il avait été appelé à accomplir la mission prophétique
d’Osée. Quant à
sa mère, elle l’avait accouché dans la prostitution, même si
elle aussi en avait été victime. Leur prostitution était réelle comme acte physique, mais non morale puisqu’elle n’avait qu’un rôle prophétique.