Les récits de la naissance de Jésus

De Bethléem à Nazareth

   Un problème s’est posé à Matthieu et à Luc lorsqu’ils s’apprêtèrent à raconter la naissance de Jésus. Selon la tradition, la patrie de Jésus avait été Nazareth et Jésus lui-même avait été connu comme étant un nazaréen. Mais selon les Écritures le Christ, étant de la descendance de David, aurait dû naître à Bethléem. Si on ne voulait pas nier un de ces postulats au profit de l’autre, il était donc nécessaire de les accorder.

   Luc, qui avait commencé son récit à Nazareth par l’annonce faite à Marie a été contraint de la faire se déplacer à Bethléem pour son accouchement, trouvant dans le recensement son prétexte littéraire.
   Matthieu au contraire, ayant centré son évangile sur la personne de Joseph, « fils de David », avait commencé sa narration à partir de Bethléem. Ainsi ne trouva-t-il aucune difficulté pour faire naître Jésus dans le lieu de naissance du Christ. Mais il lui restait à expliquer comment, par la suite, Jésus s’était rendu à Nazareth, en y demeurant au point d’être considéré comme originaire de cette ville. La scène de la fuite en Égypte joue ce rôle : la famille est contrainte de fuir en Égypte pour échapper à la persécution d’Hérode, à la mort de celui-ci elle rentre en Palestine, mais, apprenant qu’Archélaos, fils du roi persécuteur, était gouverneur de la Judée, au lieu de revenir à Bethléem elle se réfugie en Galilée, précisément à Nazareth.

   La fuite semble répondre à une exigence structurale du modèle mythologique de la naissance du héros.
   Selon la mythologie le héros, après avoir subi la persécution d’Héra dans le ventre de sa mère, tombe sous celle du roi du lieu où il est né, puisqu’il est destiné à lui ravir le règne. Il faut souligner qu’il prétend à un trône qui ne devrait pas lui revenir, puisqu’il est un fils sans père.
   Comme le héros, Jésus est destiné au trône royal, celui de David, en raison d’une naissance naturelle qui le fait fils de Dieu. Il ne naît pas comme un des rois de la descendance de David, mais comme roi messianique, héritant la royauté de Dieu lui-même. Jésus prétendant au trône de David, sa naissance ne pouvait pas ne pas appeler, au niveau de l’écriture, la persécution d’Hérode, roi reconnu de la Judée. Pour être sauvé Jésus doit donc être, comme tout enfant héros, éloigné et caché.

   Regardé de plus près, cet épisode semble cependant ne pas répondre aux motivations pour lesquelles il a été écrit, car d’une part son sens a une portée plus vaste et plus dense, et d’autre part l’intrigue de l’action ne constitue pas une cause suffisante. Si la fuite avait été contenue dans les limites permises du retour à Nazareth, il aurait suffi de faire partir tout de suite Joseph dans cette ville, sans ce long détour par l’Égypte. En effet la persécution contre le prétendant au trône ne s’était pas étendue à tout le royaume, mais seulement à Bethléem et à ses environs. Et lorsque Joseph rentra d’Égypte, il n’aurait pas dû avoir plus peur de s’arrêter à Bethléem qu’à Nazareth, puisque les deux territoires étaient sous le pouvoir de fils d’Hérode.
   Il doit donc y avoir d’autres raisons qui se situent en-deçà des intentions du texte. D’ailleurs le fait même qu’il ne s’agit pas d’un épisode, comme le recensement chez Luc, mais d’un thème structural, montre bien qu’il faut rechercher les motivations au niveau de la profondeur du texte.