ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les récits de la naissance de Jésus





Lecture du récit de Matthieu :

La fuite en Égypte


Sommaire

GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS

LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
La généalogie de Jésus
Marie trouvée enceinte
Les mages
La fuite en Égypte
- De Bethléem à Nazareth
- En danger de mort
- Les rêves de Joseph
- Esclaves pour se sauver

LECTURE DU RÉCIT DE LUC

CONCLUSION



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Marie et Jésus en danger de mort



   Nous avons vu qu’au niveau référentiel du texte de Matthieu, Marie est une femme « trouvée enceinte » (Mt 1:18) et répudiée par son mari, qui ne devient vierge-mère et épouse légitime qu’au niveau intentionnel, par le truchement du songe de Joseph. Si on se rattache donc au niveau référentiel, on doit supposer que Marie, une fois accouchée, est en proie à la peur et en fuite. Si elle a accouché secrètement, comment peut-elle se montrer avec l’enfant sans mettre leurs vies en danger ?

   Un lapsus trahit Matthieu, lorsqu’il fait dire à l’ange : « Va dans le pays d’Israël, car ceux qui cherchaient la vie de l’enfant sont morts » (Mt 2:20). Pourquoi ce pluriel, alors que l’enfant n’était recherché que par Hérode ? Ce lapsus indique que la colère d’Hérode ne sert qu’à exprimer les véritables dangers de mort qui pesaient sur l’enfant du fait qu’il était sans père.
   Parmi ces dangers, il faut rappeler avant tout l’éventualité d’être exposé, exposition qui avait tenté Marie, et qu’on lui avait peut-être conseillée, mais qu’elle avait refusé de mettre à exécution. Il y avait surtout la menace d’être traduite en jugement et condamnée avec l’enfant, car si Marie avait été acquittée ce n’était pas dans la réalité des faits, mais dans le songe de Joseph et donc de l’Église. Autrement dit, celle qui avait échappé à la condamnation n’était pas la jeune-fille « trouvée enceinte » mais la vierge Marie, héroïne de l’épopée évangélique.

   Quant à la Marie du niveau référentiel – celle qui est toute proche de l’histoire – elle est en fuite. Il est important de constater que Matthieu la voit ainsi, même après avoir découvert le sens de sa grossesse et lui avoir donné la possibilité d’accoucher au sein d’un mariage légitime et sacré.
   La projection du réel résiste à l’effort de son imagination, mais celle-ci ne s’arrête pas pour autant, au contraire elle lui offre une catégorie topique qui lui permet de comprendre cette peur : Marie fuit la persécution du roi qui veut la mort de son enfant. Or, dans le contexte de Matthieu, ce roi ne peut être qu’Hérode, qui est assis sur le trône auquel Jésus est appelé par sa naissance. La fuite passe ainsi du niveau du fait à celui de la parole : elle devient dicible.
   De plus, le thème mythologique lui donne aussi le moyen de blanchir la naissance de Jésus car qui est Hérode ? un monarque non-juif qui occupe le trône de David par usurpation et à l’aide de la puissance étrangère. En persécutant Jésus, Hérode montre que celui-ci est l’héritier légitime du trône de David, tandis qu’il se place lui-même parmi les usurpateurs. Ainsi l’illégitimité de Jésus retombe sur lui, qui est dévoilé comme un roi bâtard.

   Les intentions s’accumulent dans le texte, en raison de soucis théologiques et polémiques. Pour ne pas manquer sa cible, Hérode « envoie tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans les environs » (Mt 2:16).
   Une autre image surgit à point, celle de Rachel qui pleure ses enfants parce qu’ils ne sont plus. Sans doute Matthieu exploite-t-il la présence à Bethléem, selon la tradition, du tombeau de Rachel. Mais le surgissement du fantôme de l’ancêtre a une visée théologique très claire. Le moment du salut de Jésus coïncide avec la mort de tous les prétendants au trône de David. Jésus échappe à la mort, au tombeau de Rachel qui s’ouvre pour accueillir tous les autres fils de David, et si tous les prétendants au trône sont morts, il n’en reste qu’un, Jésus.
   Il est important de souligner que Rachel pleure sans se laisser consoler, alors qu’il y avait un motif profond de consolation en ce que Jésus, le Christ, avait pu échapper au massacre. Mais l’ancêtre reste dans son tombeau, qui prend un sens d’eschatologie messianique : une fois accompli son rôle de pleureuse, Rachel rentre dans le tombeau avec les enfants morts, et c’est la fin. La fin de l’ancien, du passé, de l’attente et de la vie pour la mort. Toute la vie future est portée par l’enfant et sa mère, dans leur fuite. Jésus est le reste de l’héritage, Marie la nouvelle mère. Sa vie prend le sens d’un événement messianique, d’accomplissement et de commence­ment nouveau de l’histoire.

   Ainsi les différentes intentions de l’auteur se suivent en un mouvement circulaire, par l’intrication des images avec la parole. Femme en proie à la peur et à la honte, Marie devient, par le truchement d’Hérode, une mère en fuite, persécutée à cause de la dignité royale de son fils. À ce niveau, Matthieu la charge des accusations que portent sur elle les juifs, comme mère d’un bâtard. C’est alors que le massacre des enfants et la plainte de Rachel indiquent en elle la véritable mère du Christ-roi, car son fils est l’unique rescapé par volonté divine.

   Il convient ici d’approfondir la richesse symbolique du tombeau de Rachel, présent dans le silence du texte. Il est l’image de la généalogie messianique qui, parvenue à son accomplissement, s’arrête. Il n’y a plus d’enfants, c’est-à-dire d’enfants aptes à succéder au trône de David. Le sein de Rachel ne peut recevoir que des enfants morts, il devient un tombeau. D’ailleurs cette marque de mort était présente chez Rachel, puisqu’elle était stérile. Sa stérilité devient maintenant définitive, le massacre des enfants en est l’image dramatique.
   Mais dans la mesure où Jésus est le rescapé de cette mort, le tombeau de Rachel devient aussi symbole transfiguré de la grossesse de Marie. Marie avait accouché d’un enfant destiné à la mort et qui ne pouvait être sauvé que par une intervention spéciale de Dieu, l’image latente du tombeau assume cet enfantement en l’inscrivant dans le cadre de l’événement messianique. La fuite de Marie se traduit en une libération de l’enfant d’une situation mortelle, mais dans la mesure où l’enfant échappe à la mort, Marie aussi semble sortir du tombeau de Rachel pour se situer femme nouvelle dans les temps messianiques. Elle n’est plus une femme en fuite, mais une femme qui s’achemine vers l’événe­ment de Dieu sur l’enfant-Christ. L’événement de la résurrection se transpose au niveau de la naissance.



1982




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tj21420 : 01/12/2018