Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
La généalogie de Jésus
Marie trouvée enceinte
- Introduction
- Le pivot du récit
- Le rôle de Joseph
- Analyse psychanalytique
- Complexité du texte
Les mages
La fuite en Égypte
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
CONCLUSION
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Marie enceinte, pivot du récit
Le pivot du récit est que Marie devient enceinte pendant sa période de virginité.
En disant « se trouva enceinte » (Mt 1:18), et non « fut trouvée enceinte » avec emploi de l’aoriste passif, Matthieu montre qu’il entend relater l’événement lui-même et non se rapporter au moment où il devint notoire. On peut aussi traduire cette expression en disant « il se trouva que Marie fût enceinte ». Matthieu veut donc souligner le caractère événementiel du fait, puisqu’il arrive à l’insu de l’intéressée elle-même, sans qu’il soit rattaché à des phénomènes précédents et dont le sens demeure mystérieux. Il s’agit donc d’un prodige, qui doit être compris dans le cadre des « signes ».
Sans doute nous est-il impossible aujourd’hui de nous approcher d’un phénomène comme on s’approche d’un signe. Après la mathématisation de la physique opérée par Galilée et Descartes, l’univers ne s’offre plus à nous comme un système de signes, mais comme un ensemble de forces qui s’opposent et interfèrent. Selon notre mode de pensée, il n’y a pour une femme qu’une façon de devenir enceinte mais, au temps du Nouveau Testament, lorsque l’univers était considéré comme un livre dont l’interprétation était réservée à la parole de Dieu, tout phénomène insolite ou qui ne pouvait pas être communément expliqué prenait la valeur d’un signe qui demandait à être déchiffré. Ainsi Matthieu montre-t-il l’intention de dépouiller la grossesse de Marie de toute interprétation préalable, pour la laisser dans la situation d’interrogation et d’équivoque où elle se posait en tant que signe.
Mais en dépit de cette intention, il n’en demeure pas moins que, dans le texte, le fait de se trouver enceinte coïncide avec celui d’être trouvée, c’est-à-dire découverte, enceinte. D’ailleurs, le discours de Matthieu s’articule à partir de cette découverte, puisqu’il vise précisément à écarter du fait toute interprétation scandaleuse. Pour que les deux faits fussent distincts, il aurait fallu que Marie, quoiqu’émerveillée et craintive, fût consciente de sa grossesse. Au contraire, elle en est tellement victime qu’elle n’a d’existence que comme objet de discours. Elle ne parle pas, mais on parle d’elle comme d’une accusée, objet de soupçon et d’acquittement.
Cependant, s’il s’était rapproché de plus près du modèle mythique, Matthieu aurait trouvé – comme plus tard Luc – la façon de faire apparaître Marie en personne pour dissiper tout soupçon à son égard. Mais sans doute était-il conditionné par un contexte fortement marqué par la nouvelle que Marie avait été « trouvée enceinte ». Il se peut qu’il s’agisse d’une information qui venait de la polémique avec les juifs et qui avait suscité l’étonnement et le scandale même dans l’Église. Matthieu n’aurait pu la dissimuler sans que son silence fût apparu comme une confirmation. Il commence donc son récit par elle, mais en lui ôtant, par une simple transposition modale du verbe, sa pointe de scandale et passe du fait qu’elle avait été trouvée enceinte à ce qu’elle se trouva enceinte. C’était sans doute déjà traduire le fait en termes qui permettaient de l’interpréter dans le cadre d’une conception virginale.
Ainsi Matthieu ne nie pas l’information reçue, mais l’interprétation qu’en donnaient les juifs, afin de lui substituer celle de l’Église. Mais il fallait pour cela que Marie fût libérée de tout soupçon, il en confia la tâche à Joseph.
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